Cité des utopies, San Francisco n’est pas avare en quartiers qui bougent, de Haight-Ashbury à Mission. Re-découverte d’une ville dynamique à travers une balade qui traverse toutes ses composantes : hippie, gay, asiatique, sans oublier l’influence des nouvelles technologies.

San Francisco cache bien son jeu ! La ville aux allures de carte postale compte le plus grand nombre de milliardaires au mètre carré après New York, Moscou et Londres. Pourtant, le bling-bling n’est pas d’actualité au pied du Golden Gate Bridge. Les fortunes bâties sur l’Internet et l’informatique sont discrètes. Creuset d’innovations et d’idées nouvelles, le vrai San Francisco se découvre au-delà des vieilles bâtisses victoriennes et colorées. Yves Béhar, designer suisse installé ici, résume avec justesse l’état d’esprit local :  » J’ai choisi de m’établir ici car j’avais besoin d’un environnement créatif. La ville est superbe et possède une fabuleuse énergie qui pousse à aller de l’avant. San Francisco est à l’origine des cinq révolutions les plus importantes de ces dernières années : la Beat Generation, le mouvement hippie, l’ordinateur, la révolution gay et Internet. « 

On n’imagine pas meilleur ambassadeur de la ville qu’Yves Béhar ! Son agence de design, Fuseproject, est à l’origine des innovations parmi les plus excitantes que l’on puisse dénicher à San Francisco. Le designer a su se servir du formidable potentiel de la Silicon Valley pour mener à bien des projets comme l’ordinateur XO, le mini-portable créé pour le programme à but non lucratif  » One Laptop Per Child  » (OLPC). Ces ordinateurs à moindre coût réduisent la fracture numérique dans les pays en voie de développement, permettant à une génération d’écoliers de s’initier à l’informatique. Il développe sur le même modèle un programme de lunettes de vue offertes aux écoliers mexicains en partenariat avec une ONG et le gouvernement fédéral.  » L’important pour moi est de travailler à un design utile qui change la vie. San Francisco est un terrain fertile pour cela, car on y trouve à la fois une conscience sociale et environnementale très en avance sur le reste du monde et des entrepreneurs audacieux « , explique-t-il.

La bulle économique associée au développement des sociétés liées à Internet a profondément changé San Francisco. Au début des années 2000, les prix de l’immobilier se sont envolés et les quartiers les plus populaires comme Mission sont devenus très recherchés. C’était la période des start-up et des New Beetle à chaque coin de rue. Le tempo a nettement ralenti sous les coups de boutoir de la crise économique, bien que la ville semble moins touchée que d’autres régions du pays.  » La Silicon Valley, les vignobles de Napa et l’industrie des services semblent préserver San Francisco d’une forte récession « , se félicite Jason Kitt, étudiant en informatique. Parallèlement à cette soif d’innovation technologique, SF se distingue par son activisme social et environnemental.  » Nous sommes toujours à la recherche d’innovation en matière d’urbanisme. Je me souviens de groupes de réflexion sur le co-voiturage ou le développement des véhicules électriques, bien avant que cela s’impose à travers les États-Unis « , commente Sacha Gret qui travaille dans une ONG.

UNE VILLE VERTE ET ENGAGÉE

L’activisme a toujours accompagné l’histoire de San Francisco, des mouvements en faveur de la paix au moment de la guerre du Vietnam aux plus récents combats politiques.  » San Francisco est verte et engagée. Elle est sans doute le symbole le plus marquant des contradictions américaines, entre développement économique frénétique et invention de nouveaux modes de vie « , ajoute Sacha Gret. Des mouvements comme les Yes Men – qui parodient le discours des multinationales – sont nés ici. Harvey Milk, le film de Gus Van Sant où Sean Penn tient le rôle-titre, a retracé l’histoire d’un autre activisme, celui du quartier de Castro et de la reconnaissance des communautés homosexuelles.  » Dans les années 70, le quartier de Haight-Ashbury inventait chaque semaine une nouvelle utopie. Je me rappelle des premières épiceries fonctionnant sur le troc, des appartements sans loyer. Cet état d’esprit est toujours présent. Haight est trendy mais cette réflexion sur le mieux vivre ensemble n’a pas tout à fait disparu « , épingle Zia Polado, qui tient une boutique au c£ur d’Ashbury.

Pam Brennan anime dans le quartier des circuits-découvertes de ce passé utopique. On y découvre à la fois l’architecture des années 60 et des centaines d’anecdotes sur Haight-Ashbury. Cette guide plutôt originale ne quitte jamais son pin’s  » Hippies were right  » (les hippies avaient raison), pointant l’idée qu’ils portaient déjà les valeurs de protection de l’environnement et une réflexion critique sur nos modes de consommation. Son mari présente l’une des premières émissions culinaires vantant les mérites du bio sur une chaîne de télévision locale. Car l’activisme de San Francisco est également politique ; la ville s’est énergiquement opposée à la guerre en Irak et a majoritairement soutenu Barack Obama aux élections présidentielles de 2008.

NOUVELLES FRONTIÈRES ARTISTIQUES

Bien que San Francisco ait longtemps été dans l’ombre de New York du point de vue artistique, on assiste aujourd’hui à une effervescence dans tous les champs d’intervention culturelle. Le SFMoMA va doubler de volume d’ici à 2016. Le musée a désigné le bureau d’architecture Snøhetta pour concevoir cette nouvelle aile qui accueillera la fabuleuse collection de la famille Fischer, à l’origine de la marque de vêtements GAP. Le quartier autour du musée est lui aussi en plein renouveau : galeries et lofts s’y déploient. San Francisco compte également de nombreux collectionneurs qui soutiennent à la fois le marché artistique local et international. Le couple d’architectes Luke Ogrydziak et Zoë Prillinger, basé à San Francisco, a conçu pour un duo de collectionneurs une maison appelée Gallery House dans le quartier en plein boom de South Park. Cette maison contemporaine bouscule les préceptes sages de la ville où toute architecture contemporaine est sévèrement contrôlée par une commission plus portée sur la préservation du bâti victorien que sur l’innovation. Gallery House est semi-publique et abrite une collection dédiée aux femmes artistes.  » San Francisco possède une scène artistique très dynamique qui se détache des préceptes sages du monde de l’art. Les artistes ne se contentent pas d’exposer, ils sont très engagés, cherchent à concevoir de nouvelles formes d’expression, à explorer de nouveaux champs d’intervention « , explique Sean Hazarian, qui travaille dans une boutique du quartier de Mission, un coin historiquement pauvre et latino.

Comme South Market sous l’impulsion du SFMoMA, Mission est en pleine évolution. Mais les galeries d’art et les boutiques branchées qui remplacent les commerces traditionnels le long de Valencia n’ont pas vidé le quartier de son esprit communautaire.  » Mission a su se préserver. Cette partie de la ville attire des projets individuels : vous ne trouverez ni GAP ni Gucci. Sa richesse vient de la diversité des populations et des origines sociales. C’est très rare aux États-Unis d’avoir un mélange aussi affirmé et réussi. La spéculation immobilière a peu joué, le développement se fait plutôt en douceur « , pointe Carmen Mendoza qui anime un programme de préservation des peintures murales que l’on retrouve partout dans le secteur et qui relatent l’histoire des populations latino-américaines. Le quartier possède aussi sa propre radio et semble quasi autonome, avec ses codes et usages.

UN AIMANT POUR LES ARTISTES ET LES ÉPICURIENS

San Francisco est une des villes les plus récentes des États-Unis (elle est née avec la Ruée vers l’or, durant la deuxième moitié du XIXe siècle). L’histoire de son immigration est toujours très présente.  » Dans les années 70, le monde entier était le bienvenu à San Francisco. Les jeunes arrivaient dans le quartier de Haight-Ashbury, c’était alors la ville la plus ouverte des États-Unis. Janis Joplin, débarquée un matin de son Texas natal, donnait son premier concert seulement quelques heures après « , s’enthousiasme Izu, guide du Flower Power Tour, sur les traces d’un passé poétique et coloré. Et la ville continue d’attirer le monde entier : les communautés française et allemande y sont plus nombreuses qu’à New York. L’Europe de l’Est et l’ensemble des pays asiatiques sont très représentés. Chinatown n’est pas qu’une zone pittoresque, il reflète une intense diversité de communautés et d’enjeux économiques et sociaux.  » Une colline de poésie « , disait à propos de San Francisco le poète beatnik Lawrence Ferlinghetti, compagnon de Kerouac.

Une ville posée sur de petites montagnes verdoyantes dans une des plus belles baies du monde. Cette situation géographique exceptionnelle a toujours attiré les artistes et épicuriens.  » San Francisco cultive une esthétique à part. C’est la ville qui compte le plus de voitures de collection : on croise chaque jour de vieux modèles de BMW ou de Porsche. On s’habille moins sportswear que dans le reste des États-Unis. Cela peut passer pour du snobisme… C’est le cas parfois, mais c’est aussi l’expression d’une certaine résistance. Les looks sont très étudiés ici !  » détaille Abby, qui tient une boutique de vêtements dans Mission. L’avenir de San Francisco se joue sur la poursuite de cet appétit d’innovation et sur cet esprit à part qui forment un art de vivre pointu, exigeant et rafraîchissant, à découvrir sur une mélodie de Janis Joplin ou Chris Isaak. Vous partez quand ?

PAR JEAN-MICHEL DE ALBERTI

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