L’industrie du vêtement avait déjà mis à mal le rythme des saisons à coups d’éditions limitées, de capsules, de lignes prefall ou croisière – entendez ces collections qui apparaissent en boutique en dehors des grands rendez-vous de l’automne et du printemps, alimentant ainsi l’offre en permanence. Voilà qu’elle efface aussi les frontières entre les vestiaires masculin et féminin. C’est du moins ce que laissent penser les récents défilés. Chez Gucci, Alessandro Michele donnait à voir des mannequins aux mensurations et aux traits androgynes semant délibérément le trouble, alors que certaines silhouettes Femme étaient portées par des garçons. Miuccia Prada ou Hedi Slimane, déjà rompus à cet exercice de confusion volontaire, ont de leur côté poussé la démarche un peu plus loin, la première rédigeant même un Manifesto dévolu au sujet. Quant à Nicola Formichetti, directeur artistique de Diesel et styliste de Lady Gaga, il a présenté sa griffe personnelle, Nicopanda, comme allant à tout le monde, quel que soit son âge, sa corpulence ou sa nature – pour autant que l’on aime le mix d’influences kawaï, punk et streetstyle, ce qui n’est pas forcément donné à chacun.

Au-delà de l’anecdote, la lame de fond qui envahit les podiums ne se résume pas à des emprunts d’attributs classiquement réservés à l’un ou à l’autre genre mais se veut un véritable effacement des signes distinctifs. Le troisième sexe serait-il une sorte de troisième voie suivie par la mode pour nourrir ce storytelling dont elle est si avide ? Remettrait-elle tout simplement au goût du jour des mouvements déjà apparus par le passé, des dandys british de la fin du XVIIIe aux beatniks des fifties en passant par les garçonnes de l’après-guerre ? Ou traduit-elle, de manière plus profonde, un basculement sociétal qui serait en train de se produire et qui laisserait émerger une neutralité, où le distinguo entre féminin et masculin serait gommé ?

Preuve, en tout cas, que la question ne se résume pas à un parti pris intellectuel dont on se gargarise dans les ateliers des créateurs les plus pointus, les grands magasins Selfridges à Londres ont récemment consacré trois étages à cette garde-robe dite Agender. Et & Other Stories, la marque premium de groupe H&M, propose désormais une série de pièces qui obéissent aux mêmes codes.

Conservez donc précieusement ce numéro Homme automne-hiver, un jour il aura peut-être valeur de document historique, témoin d’une époque où l’on s’habillait encore en fonction de son sexe et de la période de l’année.

Delphine Kindermans

Le troisième sexe serait-il une sorte de troisième voie suivie par la mode ?

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