Isabelle Spaak

Sans nouvelles de sa fille durant plusieurs semaines, Colette s’insurge.  » Pourquoi penses-tu que tu m’écris quand tu m’écris ? Qu’est-ce que ça fait qu’une lettre soit « stupide » ? Une lettre n’est pas un devoir de style. Une lettre « spirituelle » s’adresse à des étrangers, pas à des proches. Comment ! sous prétexte que tu crains de ne pas briller, tu me laisses un mois sans signe de vie, sans signe affectueux ? C’est morbide, voyons !  » La  » Petite Colette  » a 15 ans. Dix ans plus tard et plusieurs dizaines de lettres après, nouveau reproche de sa mère. En juin 1938.  » Je sais que tu es de retour, ou de passage à Paris. Car depuis la fenêtre de la cuisine, je t’ai vue passer – voiture rouge découverte, foulard sur la tête, chien – et tourner dans le sens du Crédit industriel. Mais tu n’es pas entrée ici. « 

Colette n’a rien d’une mère exemplaire. Enceinte tardivement d’Henry de Jouvenel, elle a confié son bébé – prénommé comme elle – dès les premiers jours à une nurse anglaise, Miss Draper, puis à divers pensionnats.  » Petite Colette  » avait beau supplier sa maman de venir la chercher, l’écrivain menait sa vie. Mais, elle avait du mal à admettre que sa fille mena la sienne.

Tour à tour drôle, tendre ou irascible, l’auteur des Claudine tient durant des années et jusqu’à son dernier jour la chronique d’elle-même, de son amour maternel. Une centaine de Lettres à sa fille 1916-1953 (Gallimard, 2003) publiées vingt ans après la disparition de la Petite Colette témoigne de cette omniprésence. La romancière donne des conseils, fait des recommandations, se lamente souvent, se montre insupportable. Elle s’interroge. Pourquoi est-ce si simple et parfois si pesant de dire à ses enfants qu’on les aime ?

Je suis comme Colette. Je me plains, me morfonds. Mon fils voyage autour du monde. Je le supplie. Ecris-moi, s’il te plaît, écris-moi. Une carte postale, un courriel, un appel. Dans quelques jours, c’est Noël. Où est-il ? Saint-Pétersbourg ? Moscou ? Shanghai ? Pékin ? Delhi ? Antananarivo ? Je m’inquiète. Où qu’il soit sur la terre, je le serre dans mes bras. Tant pis si cela ne se fait pas.

(*) Chaque semaine, la journaliste écrivain Isabelle Spaak (Prix Rossel 2004 pour son roman d’inspiration autobiographique Ça ne se fait pas, Editions des Equateurs) nous gratifie de ses coups de c£ur et coups de griffe.

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