LORSQUE LA MINISTRE FéDéRALE MARIE ARENA RENCONTRE L’éCRIVAIN FRANçAIS FRéDéRIC BEIGBEDER, LE FANTôME DU 11 SEPTEMBRE 2001 S’INVITE éGALEMENT AU RENDEZ-VOUS. ATTENTION, ENTRETIEN EXPLOSIF !

Révélé au grand public en l’an 2000 avec son avant-dernier roman  » 99 Francs « , Frédéric Beigbeder fait partie de ces intellectuels mondains dont Paris raffole. Ex-publicitaire, ex-homme de télé, cet écrivain brillant excelle aussi dans la critique littéraire et l’art plus difficile de la formule qui claque. Son dernier livre,  » Windows on the World  » (éditions Grasset), est toujours dans le peloton de tête des ventes en librairie et raconte, sous forme romanesque, ce qui s’est passé à l’intérieur de la tour nord du World Trade Center le matin du 11 septembre 2001.

En exclusivité pour Weekend Le Vif/L’Express, Marie Arena û la ministre fédérale de la Fonction publique, de l’Intégration sociale et de la Politique des grandes villes û a accepté de lire cette £uvre palpitante et de rencontrer Frédéric Beigbeder, de passage à Bruxelles, au c£ur du restaurant cosy de l’hôtel Méridien. Histoire de détendre l’atmosphère, les deux protagonistes se sont lancés dans une partie de Jenga, un jeu de stratégie audacieuse qui consiste à empêcher qu’une tour de bois ne s’effondre en enlevant, un à un, les blocs de l’édifice. Inutile de préciser que le cynique Beigbeder a adoré…

Frédéric Beigbeder : Je suis désolé, mais je ne suis pas ministre ! Je suis vraiment navré. J’ai fait mon possible. J’ai exercé plein de métiers…

Marie Arena : Mais vous avez travaillé un peu en politique, tout de même ?

F.B. : Oui, j’ai été le conseiller en communication du Parti communiste français aux dernières élections présidentielles.

M.A. : Par conviction ?

F.B. : Oui, oui, bien sûr ! Je crois qu’il faut prendre l’argent des riches et le donner aux pauvres. Je trouve ça pas mal. C’est comme Robin des Bois ! Mais vous savez, les communistes français ont rénové leur parti et sont devenus des sociaux-démocrates depuis longtemps. Mais vous, vous êtes plutôt de quel bord ?

M.A. : Moi, je suis socialiste.

F.B. : Bienvenue au club !

M.A. : J’ai lu votre livre. Vous auriez pu en faire deux parce qu’il y a deux histoires en fait…

F.B. : Oui, il y a deux livres pour le prix d’un.

M.A. : C’est très socialiste !

F.B. : ( Rires.) Oui, oui…

M.A. : Et en plus vous êtes féministe. Je trouve que la description de l’homme, dans votre livre, est assez intéressante.

F.B. : Lâche, salaud, démissionnaire, irresponsable, obsédé sexuel… Enfin, c’est un roman réaliste dans la grande tradition balzacienne !

M.A. : Comment vous est venue l’idée de ce roman ?

F.B. : J’étais allé au Windows on the World, le restaurant qui se trouvait au 107e étage de la tour nord du Word Trade Center. Je connaissais un peu cet endroit pour l’avoir fréquenté plusieurs fois à une époque où j’étais très décadent. Quand j’ai lu, dans le  » New York Times « , qu’il y avait 171 personnes dans ce restaurant le 11 septembre 2001 à 8 h 30, je me suis dit que cela a quand même dû être bizarre. C’est un endroit un peu comme ici, très luxueux mais un peu kitsch. Il faut imaginer ce qu’on ferait si, tout à coup, on se retrouvait coincé ici avec 40 tonnes de fuel enflammé sous les pieds, dix étages plus bas. C’est un peu spécial. C’est un drôle de huis clos…

M.A. : Mais vous êtes-vous basé sur des vrais témoignages pour l’écrire ?

F.B. : Oui, on a une quarantaine de coups de fil, des messages sur des répondeurs, des SMS, quelques mails… Bon, on n’a pas grand-chose parce que les Américains retiennent les informations. Par exemple, je sais que des bandes vidéo des caméras de surveillance ont été retrouvées, mais tout cela est tenu secret.

M.A. : Il risque d’y avoir du voyeurisme aussi…

F.B. : Oui, bien sûr. D’ailleurs, mon livre est aussi le résultat d’un voyeurisme frustré. Mais, aux Etats-Unis, il y a tout de même un grand débat sur l’autocensure de la presse à ce sujet. Quand les Américains traitent d’un crash aérien n’importe où dans le monde, il y a des images. Mais lorsque ça se passe à New York, il y en a le moins possible. C’est deux poids, deux mesures ! Donc, personnellement, j’ai essayé d’enfreindre ce silence.

M.A. : La deuxième partie de votre livre est plus autobiographique…

F.B. : Oui, parce que le 11 septembre est très fascinant, mais en même temps cet événement n’a d’importance que par ce qu’il représente pour chacun de nous. Comment avons-nous, personnellement, abordé et digéré l’événement ? D’ailleurs, chacun sait exactement ce qu’il faisait le 11 septembre 2001. Par exemple vous, où étiez-vous le 11 septembre 2001 ?

M.A. : J’étais en avion…

F.B. : Ah bon ( rires) !

M.A. : Je partais à Séoul, mais on s’était d’abord arrêté à Francfort, si ma mémoire est bonne. On était en transit et on a vu une foule agglutinée aux télévisions qui se trouvaient dans l’aéroport. On était pressé car notre avion repartait dix minutes plus tard…

F.B. : Et il a décollé ?

M.A. : Oui, il a décollé. On ne comprenait pas très bien ce qu’il se passait. On a vu les images des avions dans les tours, mais c’était en allemand et les informations étaient floues…

F.B. : Vous n’avez pas vu l’effondrement des tours.

M.A. : Non, je n’ai pas vu l’effondrement des tours… Pendant les dix heures de vol qui ont suivi, on n’a pas eu une seule information à ce sujet. C’était l’horreur. On avait l’impression d’être coupé du monde…

F.B. : Mais le fait de voir les avions percuter ces tours et ensuite devoir vous-même reprendre un avion juste après, je trouve ça d’un fatalisme ! C’est très courageux ou alors c’est la preuve d’un désespoir total ( rires) ! Vous êtes peut-être complètement désespérée et vous vous dites :  » Quitte à crever, autant…  »

M.A. : Non, je crois beaucoup en l’aléatoire. Il y a deux avions qui viennent de se crasher, donc il y a peu de chance que le mien s’écrase, surtout dans cette direction-là ! Les probabilités sont faibles…

F.B. : C’est marrant, ça. Parce que moi, je suis plus parano que vous. Dans le livre, j’explique que j’étais complètement paniqué. Je cherchais à joindre ma fille, je voulais savoir où elle était, j’étais complètement débile !

M.A. : Moi, pas du tout ! Ce sont plutôt mes enfants qui étaient inquiets. Mais lorsque j’ai enfin pu leur parler au téléphone, je les ai calmés. Je ne suis pas parano. En politique, il vaut mieux…

F.B. : Je vous parle de ma fille parce que mon roman est aussi un livre qui culpabilise sur la paternité. J’essaie d’analyser tout ça. La naissance de ma fille est la plus belle chose qui me soit arrivée, mais en même temps, c’est une catastrophe dans un monde comme le nôtre. Est-ce vraiment un cadeau ?

M.A. : Je ne pense pas que faire un enfant soit un cadeau à qui que ce soit. C’est d’abord la survie de l’espèce. Même si, aujourd’hui, cette survie de l’espèce peut supposer que l’on choisisse d’adopter un enfant en Chine ou ailleurs, plutôt que de le faire soi-même. D’ailleurs, personnellement, si je voulais avoir un troisième enfant, je pense que je l’adopterais. Mais le fait d’avoir un enfant, c’est surtout une remise en question permanente. Cela permet de se construire soi-même et de se dire aussi, à mon niveau, qu’il n’y a pas que la politique dans la vie.

F.B. : Oui, mais est-ce que le modèle du pater familias est encore très fashion ? Je pense que les hommes d’aujourd’hui ne rêvent pas forcément de fonder une famille. Ce n’est pas leur premier fantasme. Ils ont plutôt tendance à fuir les responsabilités et à vouloir être des rock stars complètement écervelées. Construire une famille n’est pas archi-glamour ! Donc j’essaie d’avoir l’honnêteté de dire tout ça. Un jour, le magazine  » Technikart  » a titré au sujet des trentenaires :  » Toujours glandeurs et déjà pères « . Bref, sommes-nous compétents pour cette charge immense qui consiste à élever un enfant ? Parfois, je me dis qu’on devrait faire passer un permis de paternité. On fait bien passer un permis pour conduire une voiture, alors que n’importe quel idiot cynique et noctambule peut devenir père du jour au lendemain. C’est hallucinant ! Le permis de paternité : ça, c’est une proposition de loi très impopulaire…

M.A. : Ce n’est pas une question d’être impopulaire ou non. Là, je pense que l’on touche à la vie privée des gens et ce n’est jamais bon quand les lois vont trop loin dans la vie privée…

F.B. : Mais ne trouvez-vous quand même pas incroyable que quelque chose d’aussi grave soit le fruit d’un acte aussi léger ?

M.A. : Moi, je ne trouve pas que le fait d’avoir un enfant soit quelque chose de grave. Je ne suis vraiment pas parano. C’est comme l’avion ( rires) ! Vous savez, moi je suis devenue mère très jeune. J’ai décidé d’avoir un enfant à 22 ans et cela s’est super bien passé. Les choses sont venues au fur et à mesure. Donc, introduire un observateur extérieur qui va dire de manière assez normative :  » Vous, vous êtes de bons parents et vous pas !  » cela n’est jamais opportun…

F.B. : Non, bien sûr.

M.A. : Mais responsabiliser, oui ! C’est-à-dire que quand l’enfant est là, il faut prendre ses responsabilités. Et là, on peut véritablement faire un travail d’éducation parce que c’est vrai qu’on a eu des pères qui ont été absents. Il faut donc les responsabiliser. C’est la raison pour laquelle je dis toujours aux femmes, à propos de la lutte pour l’égalité entre les sexes :  » Arrêtez de demander aux mecs de passer l’aspirateur et de faire la vaisselle ! Donnez-leur votre bébé, mettez votre enfant dans les bras du père dès la naissance !  » C’est pareil pour la garde de l’enfant quand un couple se sépare. Si on veut l’égalité, il faut privilégier la garde partagée. Il faut partager les bons moments pour responsabiliser les pères.

F.B. : Mais cette absence du père, c’est tout de même une nouveauté ! Pendant les siècles qui ont précédé, les pères ne s’occupaient peut-être pas beaucoup de leurs enfants, mais le modèle paternel était bien présent. Aujourd’hui…

M.A. : On est dans une période transitoire et c’est pourquoi les mecs sont mal ! Mais on est en train de changer tout cela. Il faut que le droit du père soit correctement défendu. C’est le seul moyen pour que l’on aille vers l’équilibre de l’enfant, de la mère et du père.

F.B. : A un moment donné, je parle de l’homme défectueux dans mon livre.

M.A. : C’est vraiment votre génération !

F.B. :  » Les enfants de 1968 sont des hommes sans modèle. ( Il se met à lire toute la page 222 de son livre.) Je suis un dommage collatéral.  »

M.A. : Oui, c’est vrai, le père doit se reconstruire.

F.B. : Et c’est peut-être pour ça aussi que les barbus jettent des avions dans des tours. Ils désapprouvent sans doute cette déliquescence et cet excès de liberté. En Occident, il n’y a plus de repères et ça leur fout les jetons ! Ils voient la mondialisation arriver, non seulement avec Coca Cola, mais aussi avec ce modèle de vie ultralibertaire. Vous savez, je suis plutôt un hédoniste, un libertaire, et heureusement que l’on peut s’en aller si on n’aime plus quelqu’un. En revanche, est-ce qu’on a vraiment réfléchi aux conséquences de cette liberté ? J’ai écrit un livre qui s’appelle  » L’amour dure trois ans  » pour me remettre d’un divorce désastreux et dans lequel j’échafaude une théorie assez primaire : dans toute relation amoureuse, il y a un an de passion, un an de tendresse et un an d’ennui. Et c’est vrai que j’ai constaté statistiquement, autour de moi, cet état de fait. La société dans laquelle on vit et surtout la liberté sexuelle font que l’amour durable est difficile à construire. Je me demande si la publicité, les tentations et la mode du zapping permettent vraiment de vivre très longtemps un amour avec la même personne…

M.A. : C’est vrai que je constate de plus en plus, autour de moi, un sentiment de consommation dans l’amour. On multiplie les aventures, mais, finalement, les gens ne sont pas forcément plus heureux dans cette consommation. Donc, je crois qu’il faut, à un moment donné, se remettre en question et savoir ce que l’on cherche vraiment. Mais, contrairement à vous, je pense que l’on n’est pas nécessairement obligé de changer de partenaire pour atteindre ce que l’on cherche vraiment. Vous savez, je rencontre aussi beaucoup de personnes qui ne sont pas heureuses dans cette liberté-là…

F.B. : Moi, je crois qu’il faut défendre cette liberté, mais je pense aussi qu’il faut l’analyser. Mais, finalement, je suis assez réac parce que, à la fin de ce livre-ci, je demande une fille en mariage et cela prouve bien que je suis un utopiste…

M.A. : Et a-t-elle accepté ?

F.B. : Oui, je me suis marié le 17 juin dernier.

M.A. : La pauvre ! Le compte à rebours a commencé ( rires) !

F.B. : Oui, c’est terrible ! Je disais justement que je cherchais une utopie. Là, j’en ai trouvé une : essayer de rester plus de trois ans avec la même femme. C’est un défi. Il faut arriver à se fixer des interdits et y désobéir. Peut-être que je serai bientôt un lâche et un menteur, mais j’ai toujours envie de réessayer et de faire ce pari avec moi-même. Et vous, depuis combien de temps êtes-vous mariée ?

M.A. : Je ne sais pas, je ne compte pas ( rires) ! Je dirais quatre fois trois ans…

F.B. : Hou… bravo ! Donc, tous les trois ans, vous resignez un bail ?

M.A. : Voilà ! Tous les trois ans, on analyse la situation ( rires) !

F.B. : Comme quoi, le titre de ce roman, qui était au départ très provocateur, suscite des conversations. Les gens se confient et cela les pousse à réfléchir. C’est assez étrange. On s’interroge sur l’amour et la passion. Peut-on séparer le sexe et l’amour ? Personnellement, je pense qu’on peut séparer les deux, mais si on arrive à combiner les deux, c’est mille fois plus aphrodisiaque…

M.A. : On se revoit dans trois ans ?

F.B. : Ils sont pas mal les ministres en Belgique ! Moi, je ne pourrais pas faire de politique parce que j’ai fait trop de bêtises dans ma jeunesse. On ressortirait des photos où je suis habillé en fille dans des orgies. Non, là, je suis totalement grillé ! C’est terrible, la politique ! On vous ressort votre passé…

M.A. : Ah oui, ça !

F.B. : Et moi, j’ai trop déconné ! Mais peut-être qu’un jour, en France, on élira un président de la République partouzeur et cocaïnomane. Et à ce moment-là, j’aurai mes chances ( rires) ! Voterez-vous pour moi ?

M.A. : ( Rires.) Je ne sais pas !

F.B. : Cela dit, il y a déjà eu peut-être des présidents de la République française avec ce profil ! Non, sérieusement, je n’ai pas d’ambition politique. Je n’ai que des ambitions artistiques. Et vous ?

M.A. : Je me vois mal écrire un livre parce que je pense que j’écris très mal. Cela me prendrait beaucoup trop de temps. J’ai juste écrit quelques lettres d’amour…

F.B. : Ah, ça m’intéresse ! N’oubliez pas que je suis éditeur !  » Les Lettres d’amour de Marie  » aux éditions Flammarion, ce serait bien…

M.A. : ( Rires.) En revanche, j’adore la musique. Je ne joue d’aucun instrument, mais j’adore la musique électronique. Par exemple, j’adore Amon Tobin.

F.B. : C’est fou, ça ! Une ministre techno !

M.A. : Et j’aimerais bien pouvoir faire un jour DJ. C’est un truc qui me plairait vraiment…

F.B. : Mais c’est un scoop, ça ! Marie avec le casque ! Si vous mixez au Fuse, j’y vais tout de suite…

M.A. : C’est vraiment une sensibilité que j’ai.

F.B. : C’est marrant parce que j’ai écrit un livre, il y a dix ans, qui s’appelle  » Vacances dans le coma  » et qui raconte la vie d’un DJ. Et je trouve qu’il y a des points communs entre le travail d’un homme politique et celui d’un DJ. Il s’agit avant tout de s’occuper des autres et de veiller à ce qu’ils se sentent bien. Le DJ est seul toute la soirée et il travaille pour que les autres s’amusent. Il se sacrifie et, en plus, il adopte un comportement très démocratique parce qu’il regarde les gens qui dansent et il essaie de deviner ce qu’ils attendent comme musique. Un homme politique, c’est la même chose. Donc, votre désir de vouloir être DJ est tout à fait cohérent.

M.A. : Vous êtes psychanalyste, en plus ( rires) !

F.B. : Oui, vous voulez que tout le monde danse, s’amuse, s’embrasse, soit heureux…

M.A. : Voilà ! C’est le bien vivre…

F.B. : Par DJ Arena ( rires) ! Vous voyez que je suis bon ! Je vais vous conseiller en communication. Je vous enverrai ma facture…

Propos recueillis par Frédéric Brébant Photos : Frédéric Sierakowski/ Isopress Sénépart

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