Une poupée de chair

La comédienne s’est affranchie de l’image de lolita qui lui collait à la peau. Elle joue actuellement dans Baby Doll, une pièce sensuelle et crue de Tennessee Williams, au théâtre de l’Atelier, à Paris. Et sera aussi bientôt de retour au cinéma dans Le Dernier pour la route, de Philippe Godeau, et dans Je vais te manquer, d’Amanda Sthers. Interview.

Silhouette gracile, visage de poupée à la bouche charnue, MélanieThierry, 27 ans, a tout de la femme-enfant. Mais, dès qu’elle joue, elle dégage une force incroyable. Son actu ? Elle incarne Baby Doll sur les planches du théâtre de l’Atelier (*), à Paris. Mélanie Thierry a grandi à Sartrouville (Yvelines) :  » Une banlieue sans danger, sauf quand il n’y avait plus de bières…  » A 14 ans, elle quitte l’école, préférant poser devant l’objectif de Peter Lindbergh. Mais la petite Française, qui mesure 1,58 m, veut conquérir le grand écran et les planches. Son talent éclate en 2006, dans Le Vieux Juif blonde, une pièce d’Amanda Sthers. Depuis, Mélanie enchaîne les films : Babylon A.D. , de Mathieu Kassovitz, Largo Winch, avec Kristin Scott Thomas…

Weekend Le Vif/L’Express : Baby Doll est le personnage le plus érotique de Tennessee Williams… Qu’est-ce qui vous a poussée à interpréter ce rôle ?

Weekend Le Vif/L’Express : J’ai découvert Tennessee Williams en regardant les films d’Elia Kazan adaptés de ses pièces : Un tramway nommé Désir et, surtout, Baby Doll, la poupée de chair… Ce rôle me correspondait. L’histoire se déroule en 1939, dans le sud des Etats-Unis. Baby Doll, 19 ans, est mariée à un exploitant de coton beaucoup plus âgé qu’elle. Le mariage n’est pas consommé. Confrontée aux avances d’un jeune homme, elle connaît un éveil sexuel bouleversant. Il y a en elle un mélange de désirs et de pulsions bestiales que Tennessee Williams décrit d’une façon très violente. Cela faisait dix ans que ce personnage me fascinait et que je le travaillais dans mes cours de théâtre.

L’affiche a été réalisée gracieusement par Peter Lindbergh. Qui est-il pour vous : un ami ? Un mentor ?

J’avais 14 ans quand Peter a frappé à ma porte. Il m’avait vue défiler et voulait que je pose pour lui. J’étais consciente de la chance qu’il m’offrait, car je connaissais son travail. Il a une façon incroyable de capturer des instants fugaces, de vous mettre à nu sans vous déshabiller. Il y a entre nous une connivence profonde. Peter Lindbergh a été un père pour moi. Le lendemain de mes 15 ans, il m’a emmenée en Californie pour un voyage à la Jack Kerouac. On dormait dans des motels miteux. Mais on voyait le soleil se lever dans les vallées, avec une lumière bleue incroyable. Qu’est-ce qu’on était heureux ! Ensuite, on a tracé jusqu’à Los Angeles dans un van bringuebalant. Je rêvais de voir l’écriteau  » Hollywood  » qui surplombe la ville.

Vous avez quitté l’école à 14 ans. Mais vous êtes passionnée de cinéma, de peinture, de littérature…

Pour mes parents, la culture n’était pas la première préoccupation. J’avais un grand-père clarinettiste, mais tous ses enregistrements ont été perdus… Il me reste des photos de moi, à 6 ans, assise à ses pieds, l’écoutant jouer. J’ai tout appris par moi-même. D’abord, en regardant des tonnes de films. Et je nourris mon esprit de scènes de cinéma. Comme la première séquence de L’important c’est d’aimer, où Romy Schneider doit se faire prendre en photo. Son maquillage coule, elle est complètement perdue et elle implore :  » Non, s’il vous plaît, ne me photographiez pas !  » C’est un moment bouleversant. J’adore Faye Dunaway dans Bonnie and Clyde, adossée à la voiture, avec son béret sur la tête. Moi, la première fois où je me suis retrouvée devant une caméra, je disais :  » Je veux du poulet !  » C’était une pub pour des surgelés. Ça ne faisait pas exactement partie de mes répliques de rêve. Heureusement, deux ans plus tard, en 2001, je jouais avec Francis Huster dans Crime et châtiment, de Dostoïevski, l’un de mes auteurs préférés.

Quand est né votre amour pour la littérature ?

Tard, à 20 ans. Mon ami, le chanteur Raphaël, un  » boulimique livresque « , m’a beaucoup aidée. Aujourd’hui, j’ai toujours un livre dans mon sac. J’aime les écrivains comme Bukowski. Dans Souvenirs d’un pas grand-chose, il raconte les coups reçus et donnés, les désespoirs d’un jeune homme laid qui n’a jamais la bonne attitude, la bouteille. Il parle vrai et dur. Mon dernier coup de c£ur est La Route, de Cormac McCarthy : un homme et son petit garçon, survivants d’une apocalypse. J’ai peur qu’un jour mon fils se retrouve dans un monde pareil et que je ne sois plus là pour l’aider.

Amanda Sthers a été une rencontre déterminante…

Et surréaliste ! Elle m’a abordée, un soir, dans un ascenseur de l’Olympia et m’a lancé :  » Un jour, j’écrirai pour vous.  » Je l’ai revue un an plus tard, toujours à l’Olympia, lors d’un concert de Raphaël. Elle m’a appelée le lendemain pour me dire qu’en me regardant, elle avait trouvé la fin de sa pièce et que je devais absolument la jouer. Ce qui représentait pour moi un vrai défi : Le Vieux Juif blonde est un monologue d’une heure vingt qui met en scène une ado persuadée d’être un vieil Ashkénaze de 77 ans, rescapéd’Auschwitz. Pour m’imprégner du rôle, j’ai fréquenté la synagogue, j’ai fait shabbat. Je suis allée à Jérusalem voir le mur des Lamentations…

Vous faites ce travail d’appropriation pour chacun de vos rôles ?

Je n’envisage pas ce métier autrement. J’ai disséqué le personnage du film Le Dernier pour la route pendant six mois. C’est une adaptation du livre d’Hervé Chabalier. Je joue le rôle d’une jeune femme alcoolique qu’il a rencontrée pendant sa cure de désintoxication. Avant le tournage, j’ai participé à des réunions des Alcooliques anonymes. J’ai joué sans maquillage, les cheveux filasse. Ce personnage a fini par me coller à la peau. Heureusement, à la fin de la journée, j’étais avec mon fils et j’allais très bien.

Comment gérez-vous votre vie de mère, le théâtre, les tournages et un fiancé toujours sur la route ?

Roman a 7 mois. Je l’emmène sur tous mes tournages. Il a décuplé mon énergie et m’a donné une assurance que je n’avais pas. Enceinte, j’ai accompagné Raphaël à New York pour l’enregistrement d’un disque et j’ai passé mes journées dans les musées. Avant, je me sentais trop ignorante pour y entrer. J’ai aussi commencé à tourner avec une caméra 8 mm et j’étudie la façon de filmer de Wong Kar-wai et de David Lynch. Un jour, c’est sûr, je réaliserai un film.

(*) Baby Doll, au théâtre de l’Atelier, 1, place Charles Dullin, à 75018 Paris. Jusqu’au 28 juin prochain. Internet : www.theatre-atelier.com

Propos recueillis par Paola Genone

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content