Une poupée en acier trempé

La belle comédienne est à l’affiche de Secret défense, de Philippe Haïm, un film sur la lutte antiterroriste. Dans Weekend, Vahina Giocante se livre au jeu de la vérité. En toute sincérité.

V ahina Giocante a 27 ans. Une jeune comédienne, donc. Elle n’en fait pas moins voler en éclats le poncif de la jolie poupée qui n’a rien à dire. C’est que la demoiselle a déjà treize ans de carrière derrière elle, un petit Nino de 7 ans, et de la lucidité à revendre. Un caractère en acier trempé, aussi. Du genre à ne faire que ce qui lui plaît. Jusqu’à présent, c’était surtout de l’art et essai transformé dans certains cas (Vivante, Lila dit ça, de Ziad Doueiri, en 2005). Et puis, d’un coup, la voici dans le grand bain des productions musclées, tel Secret défense de Philippe Haïm, où elle devient un agent manipulé par Gérard Lanvin et Simon Abkarian. Entre deux gorgées de thé, elle se réjouit de ce changement de registre qui la rend un peu plus inclassable et mystérieuse. Et, entre deux sourires, elle nous éclaire néanmoins sur sa personne.

Mes origines

Giocante veut dire, en corse,  » en jouant « . Et Vahina, selon les pays,  » étrangère « ,  » bienvenue « ,  » cosse de petit pois « ,  » fourreau de glaive « ,  » quel problème ! « ,  » combat « ,  » guerre « … Tout me va ! Je suis attachée à mes origines : andalouse par ma mère, éducatrice spécialisée ; et corse par mon père, qui a travaillé dans l’import-export de bijoux. Avec sept frères et s£urs, je suis très famille. Mon grand frère est parti très tôt de la maison pour entrer dans un cirque, un plus petit est dans une école hôtelière, un autre se dirige vers la musique, un plus jeune veut être photographe… On est des saltimbanques.

Mon caractère

Ma personnalité, assez forte, c’est vrai, s’est façonnée avec deux éléments fondamentaux. D’abord, la danse. J’ai quitté le foyer familial à 12 ans pour cette passion. Nous vivions en Corse, j’entrais à l’Opéra de Marseille et je ne pouvais déraciner une famille nombreuse pour mes petits plaisirs personnels. La danse est un sacerdoce qui demande un investissement absolu, de la discipline, de la rigueur, une détermination totale. Et, quand on se retrouve seule, on doit se créer ses propres repères. Comme c’est un milieu où il y a beaucoup de compétition et de méchanceté aussi, j’ai appris à faire respecter mes plates-bandes. Ensuite, le cinéma. J’y ai été propulsée à l’âge de 14 ans (pour Marie baie des Anges, de Manuel Pradal, en 1997). A cet âge, on se révolte, on rue dans les brancards, on enfonce des portes ouvertes, on s’en prend aussi dans la gueule… Tout cela forge. C’est un milieu qui nous oblige à grandir très vite, à comprendre plus vite que les autres.

Mes pudeurs

Me déshabiller à l’écran ne me met pas forcément à l’aise. Après, il faut voir de quoi on parle. Lila dit ça revient souvent, parce qu’il a touché par son aspect provocant et sexuel, mais le film est très chaste. Tout passe par les mots : je dis des choses extrêmement crues avec un naturel déconcertant. Du coup, c’est encore plus choquant que si j’avais montré mes fesses – celles qu’on voit ne sont même pas les miennes, mais celles d’une doublure que j’ai choisie. C’est dire si je fais gaffe ! Le plan était justifié, mais on tournait au mois de décembre, et je n’avais pas envie de me cailler. C’est un métier fondé sur le désir et le mystère. Dès lors qu’on donne tout, il ne reste plus rien. D’un autre côté, le cinéma est le reflet de la vie. Or de quoi est-on composé ? De sexe, d’amour, de passion, d’émotion, de nudité. Il y a forcément un pourcentage qu’il faut restituer à un moment donné. Cela fait partie du jeu.

Mon bonheur d’être mère

Voilà sept ans que je suis maman et que ma façon de voir les choses, de relativiser les problèmes, de choisir mes priorités, a changé. J’ai un être humain à ma charge. J’ai pris conscience de cette responsabilité dès sa naissance. J’avais 20 ans, un âge auquel on pense plus, en général, à se construire soi-même. Il m’a aidée à me surpasser, à ne plus faire n’importe quoi. Je parle sur un plan personnel. Car, professionnellement, j’ai toujours eu trop de respect pour ce métier pour le négliger. Je préférerais faire autre chose que de me fourvoyer.

Mes drogues

J’ai quasiment tout essayé, mais rien ne m’a jamais satisfaite. C’est aussi lié à mon orgueil : je refuse de perdre ma dignité. La vie est si intense, si riche, dans la souffrance comme dans le plaisir… Qu’est-ce qu’on va aller s’anesthésier la tronche ? C’est une perte de temps. Je peux mourir demain. Et alors ? J’aurais passé la moitié de ma vie dans une autre réalité ? Non merci ! Je ne suis pas intéressée. Les blessures de la vie, je les supporte sans Mercurochrome.

Mon regard

Avant d’être avec Ito (le designer Ora Ito), je faisais plus attention, pour mon intérieur, à l’ambiance qu’aux objets. L’environnement lumineux, le feng shui, l’harmonie. Et, de même que l’on peut éduquer une oreille, Ito a éduqué mon regard. En plus, j’étais complètement miro. Au début de notre rencontre, chaque fois qu’il me montrait quelque chose, dans la rue ou ailleurs, je le loupais. C’est vite devenu frustrant. Car il avait accès à la beauté du monde et à sa précision, quand moi je restais dans le flou artistique. J’ai donc décidé de me faire opérer. J’ai eu l’impression de vivre un miracle : je retrouvais la vue ! Et mon esprit est devenu plus clair.

Ma passion

Tous les raccourcis me gonflent. Comme être cataloguée actrice de films d’auteur intello. Secret défense et, bientôt, Le Premier Cercle (de Laurent Tuel, avec Jean Reno) sont des films avec des jambes et des neurones. Des univers assez masculins, mais pourvus de rôles féminins essentiels. Pour Secret défense, j’ai dévalisé le rayon des livres sur les conflits géopolitiques actuels, avec quelques manuels du parfait agent secret, mais, au bout du compte, ça ne m’a pas servi à grand-chose. Car mon personnage est catapulté dans un milieu dont il ignore tout. Il doit s’adapter et comprendre son environnement. Une chose est sûre : du peu que j’ai appris sur les services secrets, je refuserais d’en faire partie. D’autant qu’agent secret, c’est un fantasme ! On n’en connaît que le prisme cinématographique. Mais, en réalité, c’est la parano, le secret… Moi, je veux vivre dans l’honnêteté absolue. Ce n’est pas compatible.

Propos recueillis par Christophe Carrière

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