Célèbre pour ses grandioses gratte-ciel érigés aux quatre coins du globe mais aussi pour ses scénographies de défilés pour Prada, l’architecte néerlandais Rem Koolhaas, à la tête de l’agence OMA, lance sa première collection de mobilier pour Knoll International. Le mot-clé de cette ligne baptisée Tools for Life : le mouvement, puisque la plupart de ces meubles sont ajustables en hauteur et en forme.

Après plusieurs décennies à parcourir le monde, vous êtes revenu vivre dans la ville de votre enfance, Amsterdam…

C’est une ville incroyablement  » introvertie  » et je pensais que le retour serait difficile, parce que j’ai passé ici une grande partie de ma vie, de ma naissance à mes 22 ans. Depuis la baie vitrée de ma maison actuelle, j’aperçois d’ailleurs l’école maternelle où j’ai joué sur les genoux de Maria Montessori (1870-1952). Cette médecin et pédagogue italienne connue pour sa méthode éducative a vécu aux Pays-Bas après la guerre. C’est horriblement intime ! Néanmoins, ce retour à Amsterdam a été une sorte de révélation. Le fait de travailler sur un appartement a accru ma confiance en moi et mon intérêt pour l’aménagement intérieur. Tools for Life en est la conséquence directe.

Qu’est-ce qui vous a retenu si longtemps à créer du mobilier ?

Un certain agacement face au consumérisme ambiant, mais aussi une réticence à faire la même chose que tout le monde : fabriquer des objets. J’ai débuté comme architecte à l’époque où Aldo Rossi concevait des cafetières et Michael Graves des draps de lit, ce que je trouvais un peu décourageant. Et puis il y a eu le groupe Memphis (NDLR : un collectif lancé en 1980 en Italie et qui revendiquait des créations mélangeant les genres, les couleurs, les matériaux, non sans humour, l’objectif étant de se distinguer du Style international), qui par sa réflexion m’a rendu ce domaine encore plus étranger. Ce qui m’a finalement permis de vaincre mes réticences, c’est de me plonger dans l’oeuvre des designers Shiro Kuramata (1934-1991) et Ettore Sottsass (1917-2007) : après avoir vu plusieurs expositions à leur sujet, j’ai pris conscience du caractère impressionnant et passionnant de leur travail. Pour pouvoir m’engager dans ce projet, j’ai donc dû surmonter mes oeillères, mon ignorance.

Vous avez écrit un livre pour Taschen sur les Métabolistes, ce mouvement d’architectes japonais de l’après 40-45 qui a planché sur la flexibilité et l’extension de la ville du futur confrontée à une masse critique d’habitants…

Nous avons en effet rencontré de nombreux créateurs dans le cadre de l’écriture de l’ouvrage Project Japan. Metabolism Talks (Taschen, 2011). Mon regain d’intérêt pour le design découle aussi en partie de ce travail préparatoire : cela a vraiment été une révélation pour moi de découvrir combien la recherche en design pouvait parfois avoir un caractère de nécessité. Par la suite, j’ai aussi fait connaissance avec des gens qui avaient bossé pour Shiro Kuramata et vu les créations fantastiques qu’ils continuaient à produire… On peut donc dire que Tools for Life est aussi le fruit d’une redécouverte du Japon.

Le mouvement, la performance et la transformation semblent être, pour vous, des thèmes récurrents, des obsessions presque, que ce soit pour le Prada Transformer, le pavillon Serpentine à Londres ou cette ligne de meubles…

C’est vrai, même si personnellement je n’y vois pas tant une obsession qu’une nécessité. Lors de l’hiver 2011, nous avons présenté une rétrospective, OMA/Progress, au Barbican à Londres. C’est le collectif bruxellois Rotor qui était en charge de la conception de cette expo. Il avait prévu tout un espace spécifiquement dédié au mouvement… alors que nous n’avions nous-mêmes jamais vraiment noté l’importance de celui-ci dans nos réalisations. En fait, mieux vaut sans doute ne pas trop penser à des  » thèmes  » récurrents pour réfléchir. Sinon, ils risquent, à notre insu, de nous manipuler.

Au vu de cette collection où les systèmes mécaniques de transformation des meubles ont un rôle important, on a l’impression que vous prenez du plaisir à intégrer une machinerie lourde et industrielle dans le cadre domestique…

C’est vrai… Peut-être parce que ce qui est mécanique est aujourd’hui tellement délaissé en faveur du numérique. Nous avons eu la chance de nouer des contacts avec la firme italienne Goppion, qui s’occupe de la conception technique de grands dispositifs d’exposition pour des musées comme le Louvre. Grâce à eux, nous avons découvert à notre grande surprise que l’ingénierie peut être aussi intéressante à l’échelon d’un meuble qu’à beaucoup plus grande échelle.

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous concentrer sur le segment du mobilier  » de luxe  » ?

Avant tout, le fait que ce type de design a été bien réalisé dans le passé et continue à l’être aujourd’hui. C’est une catégorie qui a atteint un niveau qualitatif extrêmement élevé, et il y a là une foule de créateurs absolument extraordinaires…

C’est réellement votre première mission dans ce domaine de production industrielle. Aura-t-elle eu un impact sur votre manière de considérer les intérieurs ? Jusqu’ici, vous aviez toujours tablé sur des collaborations avec des créateurs comme le Belge Maarten Van Severen, aujourd’hui décédé, ou votre compatriote Petra Blaisse…

Nous continuons à travailler ensemble ! Le projet pour Knoll avait quelque chose de différent, comme une impression de découvrir des territoires nouveaux dans un domaine déjà surpeuplé.

PAR JOSEPH GRIMA

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