La designer française Catherine Memmi crée des intérieurs dont l’élégance n’a d’égale que la sobriété. Rencontre avec une jeune femme sincère qui privilégie un style de vie empreint de spiritualité.

Initiatrice de la tendance néo-minimaliste qui a vu le jour au début des années 1990, Catherine Memmi voit la vie en rose même si ce ton est  » interdit de séjour  » dans ses collections. En effet, la créatrice de meubles et d’articles pour la maison vient d’ouvrir une troisième boutique dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, à Paris. Baptisée  » Catherine Memmi Galerie « , cette ancienne librairie de la rue Saint-Sulpice accueille toute la gamme des meubles, des canapés, des luminaires et des objets de décoration de la marque. Tous les trois mois, des peintres, des sculpteurs et des photographes pourront y présenter leurs oeuvres lors d’expositions culturelles. Un concept résolument original qui s’inscrit à merveille dans la démarche créative de la designer française.

Weekend Le Vif/L’Express: Selon vous, la sobriété est-elle un luxe?

Catherine Memmi: La sobriété est la seule manière d’envisager, voire de vivre le luxe. Les belles matières et les finitions impeccables que l’on retrouve dans les produits haut de gamme m’attirent tout naturellement. En revanche, je ne supporte pas le  » trop « . Je déteste les fioritures qui rendent les objets artificiels, excessifs et donc inutiles.

Dans vos créations, vous privilégiez les tons clairs ou, au contraire, très sourds. Qu’évoquent ces couleurs à vos yeux?

Je travaille ce que j’appelle les couleurs fondamentales: les blancs, les beiges, les bruns, le noir et le gris. Pourquoi ces tons? Parce qu’ils sont extrêmement élégants, intemporels. Ils constituent une base qui ne lasse jamais. Et rien n’empêche d’introduire des petites notes de couleurs qui, elles, peuvent évoluer et changer au fil des humeurs et des saisons. Mais je ne m’imagine pas un seul instant installer un canapé rouge dans mon salon, même si c’est tendance.

Justement, la décoration semble de plus en soumise à la mode. Que pensez-vous de cette évolution?

Je pense qu’il y a deux types de personnes qui travaillent dans la décoration. Il y a d’une part les stylistes et les directeurs artistiques qui suivent des tendances ou plutôt des pseudo-tendances. Ces gens n’ont pas de personnalité intrinsèque, ils s’adaptent au monde qui les entoure. D’autre part, il y a les véritables créateurs qui véhiculent leur image, leur goût, leur façon de vivre et leur mode de pensée par le biais de leurs créations. Ce sont des êtres  » vrais  » qui ne pourront jamais tricher. En fait, il convient d’opérer une distinction nette entre le secteur de la décoration et celui de la mode. La mode est faite pour nous donner envie et nous pousser à des achats d’impulsion. Les gens qui travaillent dans le secteur du design et de la décoration ont une autre vocation. Ils doivent prouver à leurs clients que ce qu’ils ont acheté est intemporel et les sécuriser dans leurs choix. La décoration est un travail très authentique. D’ailleurs, on s’amuse moins avec la déco qu’avec la mode. La création de meuble est une démarche quasi intellectuelle qui met le créateur à nu…

Vos créations sont diffusées au Japon et en Grande-Bretagne. Comment sont-elles accueillies?

Ma rencontre avec le public nippon a été une véritable révélation. Un an après l’ouverture de ma boutique parisienne, des hommes d’affaires japonais sont venus me proposer d’ouvrir une boutique à Tokyo, à Kobe ou à Yokohama. Leur enthousiasme vis-à-vis de mes créations m’a réellement surprise. Je me suis rapidement rendu compte qu’il y avait un lien très étroit entre l’esprit japonais et mon style. Mystérieusement, les Japonais et moi avons des goûts très proches. Et, apparemment, cela les a séduits. En outre, je pense qu’on assiste actuellement à un rapprochement des tendances esthétiques orientale et occidentale. Les Anglais qui adoraient les petites fleurs et les  » froufrous  » commencent à aimer très fort tout ce qui est épuré et japonisant. Les Japonais, eux, manifestent une forte envie d’évolution. L’Occident les attire beaucoup mais ils ne sont cependant pas prêts à renier leurs traditions et leur culture.

Vous créez des meubles, du linge de maison, des senteurs… Ces différents éléments font-ils partie intégrante de votre univers intérieur?

Je privilégie un certain style de vie. Je m’adresse à un groupe sociologique international que l’on peut trouver partout dans le monde. Il s’agit d’un groupe de personnes qui partagent un même mode de vie et de pensée tout en présentant une même aspiration esthétique. Ces gens partagent la même philosophie de vie: ils entendent vivre le quotidien d’une manière sublimée et accordent donc beaucoup d’attention à tout ce qui les entoure. Parallèlement, ils refusent catégoriquement de devenir des fashion victims et de suivre des pseudo-tendances en matière de décoration. Ils entendent donc miser sur des valeurs sûres. Quand on raisonne en ces termes, on adopte la même démarche pour le mobilier, le textile, les parfums d’intérieur, les produits de bain et le  » home wear « . Plus qu’un mode de pensée, c’est un style de vie.

La mode du zen, n’a-t-elle pas nui à la pureté de la démarche?

Cela fait sept ans que j’ai proposé ce style sur le marché. Il reflète à merveille ma personnalité et ce que j’aime profondément. Il y a environ trois ans, pour des raisons sociologiques, d’une part, et de politique  » marketing « , d’autre part, le courant zen s’est transformé en véritable  » entonnoir « . En effet, les décorateurs, les boutiques et les industriels du monde entier se sont engouffrés dans cette tendance pour produire des objets qu’ils qualifient de minimalistes. Cela n’a pas  » fonctionné  » parce que beaucoup de gens ont triché avec leur personnalité pour se conformer à un phénomène de mode. Aujourd’hui, la réalité est enfin rétablie. Deux grandes tendances se dessinent: le néo-minimalisme qui vise l’épure et le baroque, très coloré. Ces deux tendances constituent deux propositions de style de vie.

Pensez-vous un jour proposer des meubles ou des accessoires colorés?

Les décorateurs et les créateurs sont soumis à une pression d’échéance depuis que les salons professionnels et les journalistes les poussent à montrer des nouveautés à tout prix. Je ne travaille absolument pas comme cela. Je crée d’une manière extrêmement naturelle. Mes objets voient le jour à partir d’un moment d’émotion, d’un besoin profond. Je ne me fixe pas de délai et je suis donc incapable de répondre à cette question. Je viens cependant d’inclure le bleu marine dans mes collections. A mes yeux, il s’agit d’un ton très logique, très cohérent. C’est très sobre, chic, un peu austère. Mais le bleu marine dans la maison ne s’impose pas d’évidence. Je le mélange au noir et au blanc. Cette combinaison se marie bien aux éléments végétaux. Les couleurs vives, elles, sont antinomiques avec ce que j’aime et ce que je suis.

Vos intérieurs sont-ils plutôt féminins ou plutôt masculins?

J’ai l’impression de m’inscrire totalement dans la tendance androgyne. J’aime le masculin/féminin. Je n’apprécie pas ce qui est trop masculin ou trop féminin. Je joue beaucoup sur l’équilibre entre ces deux styles. Il y a des créateurs que je trouve beaucoup trop masculins et d’autres que j’estime beaucoup trop désuets, romantiques. J’ai très envie, il est vrai, de proposer un style d’une grande mixité pour l’homme et la femme.

Estimez-vous que nos intérieurs évoluent en fonction de notre style de vie?

Nous traversons une période assez fascinante où les comportements sociologiques sont bouleversés. Les différentes pièces de la maison et les meubles n’ont plus de vocation précise. Ils sont de plus en plus polyvalents. C’est pour cette raison que nous venons de créer des meubles avec des roues en acier brossé. J’adore ce côté mobile et nomade. Une table peut servir de bureau la journée et accueillir des amis pour partager un repas le soir. On n’hésite pas à travailler dans sa chambre et à recevoir ses amis dans la cuisine. C’est une attitude très moderne.

Comment envisagez-vous l’avenir?

Le concept Catherine Memmi est assez large. Nous avons trois grandes familles de produits: le design, le textile pour la maison et les parfums, bougies, produits de bain… J’ai l’intention de décliner ces familles. J’espère aussi étonner dans d’autres domaines. Notamment grâce à mon nouvel espace où un créateur (peintre, photographe ou sculpteur) pourra exposer ses oeuvres pendant trois mois. Ce concept d’ouverture sur le monde au départ d’un intérieur me semble pour ma part original et novateur.

Que vous inspirent ces vers du poète Alphonse de Lamartine  » Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme… « ?

Je pense que nous pénétrons dans une nouvelle ère. Nous allons de moins en moins nous encombrer d’objets inutiles. Avant d’acheter un objet nous nous demanderons si nous en avons réellement besoin. Cette démarche me semble extrêment saine, voire décente par rapport à la surconsommation que l’on associe trop souvent au luxe. Je pense que nous allons découvrir une nouvelle notion de richesse et sublimer les objets essentiels et utiles. Oui, nous allons essayer de donner une âme à ces objets. Je ne pousserai pas l’exercice intellectuel jusqu’à dire qu’un bain moussant ou une serviette de toilette aura une âme… (rire). Mais nous accepterons volontiers l’idée de payer un meuble ou un objet très cher parce que nous n’aurons pas envie d’en posséder cinquante. L’utile chasse automatiquement le futile et la décoration exerce un rôle psychologique important sur nous.

Carnet d’adresses en page 79.

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Propos recueillis par Serge Lvoff

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