Rien de tel qu’une touche de design premium pour booster l’image d’une marque. En invitant les Eames et Arne Jacobsen à sa table, McDonald vise une clientèle sophistiquée qui prône un style de vie résolument panaché. Menu détaillé.

« Acheter du Chanel n’a jamais empêché personne d’aller faire ses courses chez Lidl.  » La formule choc, digne de Karl Lagerfeld, ne doit pourtant rien au fantasque directeur artistique de la maison parisienne. Elle est de Charles Beigbeder – le frère de l’autre… – auteur d’un très sérieux rapport sur les vertus du low-cost déposé, en décembre dernier, sur le bureau du président français Nicolas Sarkozy.  » Le secteur, dit-il, loin de se limiter aux voyages aériens à bas prix, serait en pleine expansion.  » Une conséquence directe de la baisse du pouvoir d’achat des ménages, mais pas seulement.  » Le low-cost séduit également un consommateur plus alerte, plus sophistiqué qui n’hésite pas à faire des achats malins, écrit Charles Beigbeder. Il n’est pas réservé à un segment précis de la population, le plus démuni, mais touche même des catégories aisées qui redéfinissent leur rapport au prix, aux marques et même leur attitude par rapport à la société de consommation. « 

Ces adeptes du panaché passent sans état d’âme d’un extrême à l’autre : prennent un charter à bas prix pour rejoindre un palace, mixent Chanel et Karl Lagerfeld pour H&M, mangent un jour chez Ducasse et le lendemain, chez McDo avec leurs gamins, sans bouder leur plaisir. Après tout, le chef le plus étoilé du monde n’a-t-il pas avoué dans une interview au Financial Times qu’il avait un faible pour les Chicken McNuggets à la sauce curry ? Un aveu qui a dû faire sourire Denis Hennequin, CEO de la division européenne du géant du burger. L’homme vient d’entreprendre une vaste opération de rénovation des quelque 6 400 restaurants que compte la chaîne. Un bon tiers d’entre eux se sont déjà offert un lifting premium. Oubliés les  » meubles  » jaune et blanc, inconfortables et cheap, qui ne vous donnaient qu’une envie : prendre la porte une fois votre sandwich avalé. Désormais, on passe à table dans des Plastic Chairs de Charles et Ray Eames ou des fauteuils Egg de Arne Jacobsen.

En Belgique, quatre restaurants – entre autres celui d’Ixelles – sont déjà passés par cette opération de lifting design. En 2008, 3 millions d’euros seront investis dans la rénovation de quatre autres établissements.  » Dans les années 1980, dans nos restaurants, l’objectif était de servir les gens vite et bien, détaille Stephan De Brouwer, managing director de McDonald Belgique. Mais la tendance a évolué. Aujourd’hui, nous travaillons davantage sur l’expérience totale du client, en fonction de ses attentes qui peuvent être très différentes selon le moment de la journée et le type de personnes avec lequel il se trouve. « 

Le studio de design du groupe a donc imaginé neuf types d’ambiances. Selon l’environnement du restaurant et la clientèle existante – sans oublier celle potentielle à attirer… -, l’on passe ainsi d’un décor flashy agrémenté de photos d’aliments XXL à une atmosphère cosy, réchauffée par le bois et les chaises de couleurs sombres de Maarten Van Severen.  » Nous voulions créer la surprise, poursuit Stephan De Brouwer. Nos restaurants sont des lieux de vie, de rencontre, pas des fast-foods. Le client peut prendre son temps. C’est aussi pour cette raison que nous avons installé le wi-fi en accès libre partout. La rapidité reste essentielle chez nous. Dans le service, pas dans la consommation.  » Et pour faire passer ce nouveau mantra, rien de tel qu’une déco familière, en phase avec l’image que le client a de lui-même et qui fera qu’il se sentira presque comme chez lui.

 » On assiste aujourd’hui à un virage de plus en plus design des espaces communs, des restaurants et des magasins, analyse Christophe Gazel, directeur général de l’Institut de promotion et d’étude de l’ameublement, à Paris. Dans une société où tous les produits se ressemblent, qu’il s’agisse de vêtements ou de hamburgers, il est devenu essentiel de développer une identité forte. Dans un marché où le consommateur est en quête de repères, les icônes de design peuvent être perçues comme telles. Ces beaux meubles que l’on voit dans les magazines ont un côté rassurant. Ils sont familiers, même si la plupart des gens sont incapables de vous dire quels sont les designers qui les ont créés.  » Quant au design addict, surpris de découvrir un classique des Eames dans la devanture du McDo, il pourrait bien se laisser aller à pousser la porte pour un simple café. Ou plus si affinité.

Pour Christophe Gazel, l’image un peu froide, voire clinique que l’on prête au design convient finalement plutôt bien à ces lieux de passage que sont par essence les établissements de restauration rapide, les hôtels low-cost où l’on ne reste qu’une ou deux nuits et les magasins.  » Jouer la carte design ne peut que tirer l’image de la marque vers le haut « , ajoute-t-il. A la manière de ce qui se passe dans le secteur du meuble ou vêtement où des chaînes comme Ikea, New Look, Mango, et bien sûr H&M multiplient les accords de collaboration avec des grands noms de la mode et du design. Le géant suédois qui vient aussi de monter en gamme en lançant le label Cos – ici les produits ne sont pas high fashion et les stylistes ne sont pas des stars connues du grand public – a choisi de mettre le paquet sur l’aménagement de ses boutiques qui comportent même des petits coins salon en faisant appel à l’architecte londonien William Russel dont le studio avait déjà travaillé pour Alexander McQueen. Quant aux chambres capsules de 10,5 m2 des Yotel, ce nouveau concept dérivé des hôtels japonais, elles ont été conçues par Priestman Goode, le designer d’intérieur de l’Airbus A380.

Gare toutefois à l’excès de hype.  » En décoration d’intérieur, il y a aussi des modes, poursuit Christophe Gazel. Il y a quelques années, les ambiances cosy, lounge, bourgeoise mises au goût du jour par les frères Costes dans leurs hôtels parisiens tenaient la corde. Cette tendance date aujourd’hui. Plus on se positionne design et fashion, plus on sera tenu de se renouveler constamment. « 

Chez McDonald toutefois, la croissance du chiffre d’affaires est bel et bien là pour conforter le choix de Denis Hennequin : dans les restaurants relookés, les ventes ont augmentés de 4,5 %. Et le client, à l’aise et valorisé par une déco haut de gamme, semble aussi davantage respectueux des lieux.  » Il y a moins de vandalisme, reconnaît Stephan De Brouwer. Sans conteste, le bon design n’est pas seulement cosmétique. Ces objets sont de qualité, conçus pour durer, pour supporter le passage et l’usage intensif.  » A condition toutefois de bel et bien s’offrir l’original. En Grande-Bretagne, il semble pourtant que quelques franchisés aient succombé au chant des sirènes de fabricants chinois capables de leur livrer à meilleur compte des chaises inspirées des créations originales d’Arne Jacobsen. En toute légalité. Une faute de style pas très flatteuse pour l’image de McDonald, ni pour celle de Fritz Hansen, détenteur des droits de reproduction des £uvres de l’architecte danois qui avait pourtant accepté de participer à l’opération de relooking de la chaîne américaine et voit aujourd’hui ses originaux côtoyer des modèles au rabais.

Trop de design, partout et surtout dans le low-cost, risquerait-il donc pas de brader le design ? Chez Vitra, qui a déjà équipé 490 restaurants McDo en Europe avec des chaises signées Eames et Maarten Van Severen, on n’est pas de cet avis.  » Le statut d’icône design de la Plastic Chair des Eames en a presque fait oublier qu’elle était à l’origine un produit de mass-market, rappelle David Alleman responsable marketing et branding chez Vitra. Cela fait plus de 50 ans qu’on l’utilise dans les écoles, les stades, les aéroports, les auditoires et bien sûr les restaurants. Parce que c’est un classique, cette chaise a su conserver son attrait et sa pertinence jusqu’à aujourd’hui. Et les chaises de Maarten Van Severen sont en train de prendre le même chemin. « 

Car le design, au sens industriel du terme, n’a jamais été une affaire d’élite.  » Mais un moyen d’apporter le meilleur, au moindre coût, à un maximum de gens.  » Une petite phrase dont aimerait sûrement s’enorgueillir Charles Beigbeder. Signée Charles et Ray Eames.

Isabelle Willot

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