A quelques enjambées du littoral belge, Dunkerque offre sa plage, ses maisons malouines, son port ou ses beaux musées à qui veut profiter d’un bord de mer qui n’est pas forcément le nôtre. A bons entendeurs…

Depuis Bruxelles, il faut à peine 1 h 45 pour rejoindre cette cité de la côte d’Opale qui, il y a mille ans, n’était qu’un village de pêcheurs parmi d’autres. Baptisée Dunkerque en raison de ses dunes et de la petite église ( » kerk  » en néerlandais) que les évangélistes y ont plantée dès leur arrivée, la bourgade n’a jamais cessé de prendre du galon au cours de l’histoire. Les marins, jadis pros du hareng, y ont développé les activités portuaires, creusé des canaux et écumé les mers pour façonner leur réputation. L’essor urbain et la position stratégique de la ville se sont occupés du reste, faisant d’elle un repaire convoité par une armada de gouvernances successives : Flamands, Bourguignons, Autrichiens, Anglais ou Espagnols. En 1662, quelques années après la fameuse Bataille des Dunes qui, en une seule journée, vit trois armées différentes en prendre la tête, le lieu devint la propriété définitive des Français. Et plus précisément celle d’un certain Louis XIV qui, très vite, convaincu que la zone méritait une attention particulière, lui octroya des budgets faramineux permettant un développement sans précédent. Au point que Versailles elle-même en fut jalouse…

Fouiller le passé, c’est également faire la connaissance du dénommé Jean Bart, dont la statue trône aujourd’hui fièrement sur la place qui porte son nom, en plein centre. Ce corsaire, anobli par le Roi-Soleil, reste considéré comme le plus vaillant et le plus téméraire de son époque. Né et mort sur ces terres, il y a notamment laissé des… doigts. Rassurez-vous : ceux-ci sont en chocolat, aux amandes et à la crème de café. On les déguste à la pâtisserie Vandewalle, entreprise centenaire qui façonne ce succulent hommage sucré depuis 1958 et qui en a même fait une marque déposée. Thé ou café accompagnent ces  » doigts de Jean Bart  » qu’on ne trouve que là, en se promenant dans les rues qui dévoilent les surprises au compte-gouttes. Ici, le beau beffroi de Saint-Eloi, dont l’ascension mène à son impressionnant carillon – cinquante cloches, ça en jette – et à une vue panoramique sur toute la cité. Là-bas, la Tour du Leughenaer, plus vieux monument de l’endroit qui, autrefois, se serait amusé à tromper les marins ennemis pour qu’ils s’échouent sur les redoutables bancs de sable…

PREMIÈRE STATION BALNÉAIRE

Saint-Eloi, tout comme le beffroi de l’hôtel de ville, sont tous les deux classés au patrimoine de l’humanité par l’Unesco. Ils constituent des petits miracles dans le décor dunkerquois, puisqu’il faut se rappeler que la Seconde Guerre mondiale a anéanti pratiquement 90 % du territoire. Les bâtiments ayant survécu à ce carnage urbanistique occupent une place précieuse dans le coeur des habitants. A l’instar, notamment, des superbes villas malouines qui, vers la fin du XIXe siècle, furent bâties par des architectes renommés ayant répondu aux exigences des artistes, journalistes et écrivains séduits par le charme de la Belle Epoque. Quand elles ne sont pas sur la digue elle-même, elles ne sont jamais loin des plages, rappelant au passage qu’elles furent les premiers témoins de l’engouement pour la  » station balnéaire  » si chère aux Britanniques dont l’économie florissante, jadis, les poussaient à traverser la Manche pour s’offrir un peu de détente. Ces maisons sont un excellent prétexte à une balade à pied parmi des façades à l’architecture Art nouveau, néo-flamande, Art déco ou même anglo-normande.

Pas moins de 15 kilomètres de sable s’étirent le long des Dunes de Flandres. De Malo-les-Bains à Bray-Dunes, en passant par Zuydcoote, il y a largement de quoi s’offrir une place au soleil. Les férus d’activités nautiques y trouveront leur bonheur, entre le kitesurf, la planche à voile, le kayak, le char à voile ou la pêche. Ils pourront même découvrir une discipline qui a été imaginée en 2005 sur le littoral dunkerquois : le longe-côte, qui consiste à enfiler une combinaison anti-froid, à s’immerger dans la mer jusqu’à hauteur des épaules et à marcher en longeant la côte. Les adeptes sont de plus en plus nombreux, s’offrant ces promenades aquatiques revigorantes en toute saison et par tous les temps. Autre suggestion : explorer les fonds marins via une petite plongée qui s’aventure dans le passé même de la région, à la rencontre des nombreuses épaves de bateaux, reliques de l’opération Dynamo. Celle-ci, en 1940, constitua le sauvetage le plus célèbre du conflit mondial et même de l’histoire militaire : alors que les Allemands avaient encerclé les Alliés à Dunkerque, l’Angleterre improvisa une évacuation de ses soldats vers le large. Un chapitre clé du pré-Débarquement, qui allait donner naissance au terme de  » Dunkirk spirit  » dont les locaux restent si fiers aujourd’hui…

HISTOIRES D’EAU

Plus à l’ouest, en marchant sur la digue, on arrive à la passerelle du Grand Large, inaugurée récemment. Un pont piétonnier qui mène directement au FRAC, le Fonds régional d’art contemporain, bâti sur les cendres d’un ancien entrepôt naval. Ses six étages abritent des oeuvres par dizaines et des expositions proposant des rencontres passionnantes entre l’art et le design. Un lieu aéré, moderne et lumineux, qui dispose également d’un belvédère permettant d’admirer le panorama… jusqu’à la Belgique. Une visite à poursuivre au LAAC, musée à tiroirs où l’architecture, les arts sonores, graphiques ou conceptuels s’émancipent au coeur d’un jardin de sculptures. Après cela, direction le gigantesque port pour une excursion en bateau au gré du vent et des impressionnants bâtiments industriels. Ses quais, ses écluses immenses, ses paquebots de marchandises parmi les plus gros du globe, ses containers à minerais, à charbon ou à fruits en font tout simplement le troisième plus important port de France (après Marseille et Le Havre). A bord du Texel, les passagers explorent un décor qui a vu défiler près de 1 000 ans d’Histoire… et d’histoires.

Retour sur la terre ferme, ou presque, pour admirer le superbe trois-mâts baptisé Duchesse Anne, qui a longtemps servi d’écolage aux marins marchands allemands, avant de s’amarrer définitivement ici. Monter à bord équivaut à entendre et imaginer le quotidien des (futurs) officiers qui restaient sur le pont durant des mois entiers, coupés du monde, sur des flots souvent lunatiques. Juste à côté de ce bijou d’ingénieurie maritime, se trouve le Sandettié, bateau-feu autrefois destiné à prévenir des dangers en approche ou à guider les marins. Tous deux classés  » monuments historiques « , ces attractions phares du quai de la Citadelle bavardent à longueur de journée avec le musée portuaire qui les côtoie. Celui-ci, bâti dans un ancien entrepôt de tabac du XIXe siècle, offre sans aucun doute l’un des plus remarquables résumés de l’histoire locale. La preuve : on y croise même le preux Jean Bart, qui a récemment failli ressortir son épée lorsque Catherine Deneuve a déclaré que Dunkerque ne respirait que la tristesse. Mais les habitants lui ont dit que c’était inutile : à deux pas de la statue du corsaire, aux abords de la fromagerie du coin qui ressemble à celle d’un village, on en sourit doucement en attendant le prochain carnaval… où quelques Dunkerquois ne manqueront sûrement pas d’enfiler un déguisement de l’actrice. Parce qu’ici, c’est comme chez nous : la dérision n’est jamais en vacances…

PAR NICOLAS BALMET

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