comédienne atypique, jeanne balibar balise désormais son art théâtral de sons et de chansons à travers un premier album aux atmosphères délicieusement suaves. Rencontre avec une femme épanouie qui a joué en prime, pour notre magazine, au mannequin d’un jour en l’honneur des créateurs belges.

Jeanne Balibar,  » Paramour », Dernière Bande / Bang !

Césarisée à deux reprises pour l’espoir féminin en 1998 et le meilleur second rôle féminin en 2001, Jeanne Balibar fait partie de ces comédiennes insaisissables qui naviguent avec jubilation entre théâtre et cinéma. Paul Claudel, Anton Tchekhov et Léon Tolstoï sur les planches ; Olivier Assayas, Benoît Jacquot et Jacques Rivette derrière la caméra : l’actrice est volontiers étiquettée  » intello  » dans ses choix professionnels et sa propension naturelle à opter pour les chemins de traverse plutôt que les autoroutes de la facilité.

Déterminée, Jeanne Balibar n’a peur de rien et s’élève impunément au fil de ses envies. A 35 ans, elle s’offre même le luxe d’enregistrer un premier album de chansons aériennes, coachée par Rodolphe Burger (ex-leader de Kat Onoma et fondateur du label Dernière Bande). Baptisé  » Paramour « , cet ensemble de 14 chansons franco-anglaises surfe sur des sonorités étrangement  » rockmantiques  » qui révèlent surtout la voix envoûtante d’une femme sensuelle au talent décidément multiple.

En exclusivité pour Weekend Le Vif/L’Express, la Parisienne pure souche a accepté d’afficher justement cette dualité de comédienne-chanteuse à travers une séance de photos de mode dédiée aux créateurs belges ( voir pages 14 à 19). Rencontre au crépuscule de son dernier coup de flash…

Weekend Le Vif/L’Express : Appréhendiez-vous cette séance de photos de mode pour notre magazine ?

Jeanne Balibar : Non parce que j’adore faire des photos et des photos de mode en particulier. D’une part, j’aime me déguiser et cela rejoint d’ailleurs un peu la comédie. D’autre part, je trouve qu’il y a, dans la photo, quelque chose qui est du même ordre qu’au théâtre ou au cinéma, c’est-à-dire un moment spécial que l’on saisit. C’est un état de soi qui est vrai et que l’on doit juste garder un tout petit peu plus longtemps que dans la vraie vie pour lui laisser le temps de passer la rampe. J’adore faire des photos et cette séance restera un très bon souvenir. Mais j’ai un temps de résistance limité. Au bout de trois heures, je fatigue. Si on m’avait donné la chance d’être mannequin professionnel, je pense que je n’aurais pu le faire qu’à mi-temps ( rires) !

Etes-vous une fana de mode au quotidien ?

J’étais une fana de mode avant d’être actrice. Depuis que je suis comédienne et que je travaille beaucoup, je m’habille plus simplement dans la vie de tous les jours parce que j’assouvis mon désir de recherche vestimentaire dans mon travail. Cela ne veut pas dire que je ne fais pas attention à ce que je me mets sur le dos le reste du temps, mais je vais vers des choses plus simples. Et puis, il y a aussi les contraintes matérielles. Quand il faut s’habiller en cinq minutes le matin pour emmener les enfants à l’école, ça joue ! Donc, aujourd’hui, il y a toute une part fantasque de moi qui s’assouvit dans le travail…

Aujourd’hui, il est de bon ton de se demander si la mode est un art ou pas…

Moi, je la considère comme un art parce que je pense d’abord que les arts décoratifs sont des arts à part entière. Je pense que le travail des matières, des formes, des mouvements… bref, tout cela rattache la mode à l’art.

Certains font néanmoins la distinction entre les arts mineurs et les arts majeurs…

Je ne pense pas qu’il y ait des arts majeurs et des arts mineurs. Je pense qu’il y a des grands artistes et des mauvais artistes. Et puis, il y a des tas de gens entre les deux qui sont ni mauvais ni grands, mais qui ont des éclairs de génie de temps en temps…

Que répondez-vous alors aux gens qui estiment que la mode est une chose futile et superficielle ?

Je leur dis de se regarder dans le miroir ! C’est un faux débat parce que tout le monde s’intéresse à son corps, à la séduction, à son époque, à la société et à la manière dont on se situe dans cette société. Et la mode, justement, exprime tout cela. La mode peut être un vecteur de communication entre les gens. Elle peut être un lien social. Et puis, il y a une chose qui est très amusante à faire : cela consiste à s’approprier des objets qui appartiennent à tout le monde. C’est comme la reprise d’une chanson ou le fait de jouer un texte de théâtre qui a déjà été récité mille fois. Interpréter à sa manière quelque chose qui est commun à tout le monde, c’est un des grands plaisirs de l’existence. C’est une façon d’exprimer sa personnalité et son charme. C’est une manière de dire qui on est. Et il est utile de dire qui on est dans la vie, même si ce n’est pas toujours facile. La mode sert aussi à cela.

Quelle est votre définition de l’élégance ?

La douceur.

Précisément, la douceur est omniprésente dans les chansons de votre premier album…

Oui, ce sont des espèces de ballades rock. Je crois que c’est assez sentimental. J’ai toujours chanté pour moi et, un jour, j’ai décidé de le faire avec d’autres gens. C’est plus que l’album de mes rêves. Jamais je n’aurais osé rêver cela.

On a le sentiment que le désir d’une actrice de vouloir chanter est d’office considéré comme quelque chose de suspect dans la presse française. Le journal  » Libération  » parle, à votre sujet, d’un disque  » a priori énervant « …

Je pense que c’est du blabla pour remplir des articles. Parce que toutes les actrices ont toujours chanté et toutes les chanteuses ont toujours joué. Je pense qu’il y a quelque chose de complètement naturel de vouloir chanter quand on est actrice et de vouloir jouer la comédie quand on est chanteuse. Après, c’est presque le hasard et, surtout, le recul et le temps qui permettent de dire :  » Cette personne a eu une carrière à la fois de comédienne et de chanteuse. Chaque versant de ses deux activités a eu autant d’importance que l’autre.  » Judy Garland, Marlene Dietrich et Liza Minnelli sont autant des actrices que des chanteuses. Serge Reggiani et Yves Montand sont autant des acteurs que des chanteurs. Et il y en a beaucoup d’autres : Courtney Love, Vanessa Paradis… Mais moi, c’est le cadet de mes soucis. Je fais un disque. On me propose de faire de la scène et j’en ferai parce que ça m’amuse. Mais j’ai envie de dire que tout cela n’a absolument pas d’importance. On retiendra de moi ce qu’on retiendra de moi, si on retient quelque chose ! Mais cela, ce n’est pas à moi de m’en occuper…

Etes-vous sensible à la critique ?

Non, parce que je trouve que tous les critiques sont nuls. Bon, c’est un peu exagéré, mais j’avoue que je n’estime pas intellectuellement les critiques dans l’exercice de leur travail. Je pense que l’industrie du journalisme oblige les critiques à une espèce d’asservissement à l’actualité, à la rapidité de jugement et de découverte qui empêche forcément la ré-flexion. Dans le privé, je pense que les critiques sont des gens comme tout le monde. Il y a des types bien et des idiots. Mais, au sein de leur journal, ils se retrouvent dans un lieu où on ne peut pas penser les choses. Je suis désolée ( rires)…

Pour l’actrice que vous êtes, le plaisir de chanter est-il comparable au plaisir de jouer la comédie ?

C’est très comparable. C’est le fait de se livrer dans tous les cas de figure. Et, pour le moment, j’ai envie de continuer cela parce que c’est lancé. Mais peut-être que dans deux ans, je n’aurai plus du tout envie de faire de la musique ou, au contraire, je ne ferai que de la musique. Je trouve que c’est encore une des rares libertés que l’on peut s’octroyer. C’est de se dire qu’on ne sait pas. C’est agréable…

Quelle vertu placez-vous au-dessus de toutes les autres ?

La sincérité.

Le titre de votre album sonne très français. Et pourtant,  » Paramour  » est un mot anglais…

Oui, c’est un mot anglais qui veut dire amant. En fait, je cherchais un mot qui puisse vouloir dire quelque chose dans les deux langues parce qu’il y a beaucoup de chansons en anglais sur l’album. Un jour, Pierre Alferi ( NDLR : un jeune auteur qui a écrit la moitié des chansons) a eu cette idée. Et comme il n’y a que des chansons d’amour dans ce disque…

Dans l’une de ces chansons, vous affirmez d’ailleurs :  » L’anglais dit cent fois mieux les choses.  » Ce n’est pas très sympa pour la langue de Molière !

Oui, je le pense vraiment. J’adore l’anglais que je connais bien. Il y a une espèce de concision et des onomatopées dans l’anglais qui en font quelque chose d’extraordinaire, surtout d’un point de vue musical. Quand je chante cette phrase, je veux dire aussi que l’on est tellement habitué à retrouver sa propre sensibilité dans des £uvres en anglais, que ce soit au cinéma ou dans la chanson, que l’on peut avoir l’impression, à un moment donné, que l’anglais dit effectivement mieux les choses. C’est comme ça !

Le genre idéal qui rencontrerait tous vos désirs de chanteuse et de comédienne ne serait-il pas la comédie musicale ?

Oui, j’adorerais parce que j’ai commencé par être danseuse. Mais, pour le moment, on n’est pas dans une époque où la comédie musicale est une chose très intéressante comme genre théâtral et cinématographique. Donc, il y a peu de chance, pour l’instant, que je rencontre quelqu’un qui me fasse envie et avec qui je puisse monter une comédie musicale. Si ça se trouvait, ça serait merveilleux, mais je pense qu’au jour d’aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup de chance que cela se produise…

Au départ, votre père philosophe et votre mère physicienne voyaient d’un mauvais £il cette envie de carrière artistique…

Non, ce n’était pas mal vu, mais dans ma famille, personne ne pensait qu’on pouvait avoir suffisamment de talent pour en vivre. Donc, effectivement, j’ai eu du mal, plus jeune, à m’investir dans la danse, mais quand j’ai commencé la comédie, j’étais beaucoup plus vieille ! J’avais 23 ans, j’étais majeure et autonome financièrement. Mais c’est vrai qu’au début, mes parents se sont demandé quelle mouche m’avait piquée…

Quelle image aimeriez-vous laisser à vos enfants ?

Quelque chose qui serait de l’ordre de la gentillesse et de l’ouverture d’esprit. Et puis, de la fantaisie aussi…

Et sur le plan de la postérité pure, accorderiez-vous de l’importance à l’idée de vous retrouver dans un dictionnaire ?

Non, ça, ce n’est pas important. Et puis, je pense vraiment que sont les metteurs en scène qui inventent quelque chose. Nous, les comédiens, nous servons des £uvres. Nous sommes des outils.

Avez-vous déjà songé à votre épitaphe ?

( Consternation et long silence.)  » Elle a trop travaillé  » ( rires) !

Pensez-vous avoir déjà trouvé, aujourd’hui, un sens à la vie ?

Cela dépend de quel point de vue on se place. Si on se place d’un point de vue privé, je pense que l’amour est ce qu’il y a de plus important. Cela donne un sens à la vie. Et je ne parle pas seulement de ce que l’on éprouve pour son amoureux, mais de ce que l’on ressent pour les êtres qui vous sont les plus chers. En revanche, si on donne un sens public ou politique à cette question, je suis plutôt désespérée. Je trouve que c’est vraiment douloureux d’assister à la guerre de tous contre tous et à l’oppression toujours cruelle des forts sur les faibles. C’est terrible…

Si vous rencontriez Dieu demain, que lui diriez-vous ?

Je lui dirais :  » Tu fais chier !  »

Propos recueillis par

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