Barbara Witkowska Journaliste

Atypique, cette jeune styliste bruxelloise d’origine italienne, dotée d’une solide formation universitaire, défend une mode cérébrale et intellectuelle. Dans le sillage de Martin Margiela, dont elle est l’une des plus ferventes et plus fidèles admiratrices.

Les Bruxellois ont connu Valeria Pesci en octobre 2004, lors du parcours de stylistes Modo Bruxellæ. Ils ont tellement apprécié son installation mode/vidéo/danse/musique  » Nach der Welle  » qu’ils lui ont d’ailleurs décerné le prix du public. Valeria s’est inspirée très librement des pionniers du mouvement New Wave, autrement dit des ambiances musicales et du style vestimentaire qui faisaient fureur dans les années 1980.  » Je sais, qu’actuellement, on parle beaucoup du ôretour » des années 1980, confie Valeria. Je voudrais toutefois préciser que je m’intéresse à cette période non pas parce qu’elle est à la mode, mais par conviction personnelle. Je suis fascinée par les années 1980 depuis toujours et j’ai tendance à les sublimer. Même si je ne les ai pas vécues, étant donné que je suis née en 1975.  » L’autre originalité du concept : Valeria souhaitait s’adjoindre la collaboration d’artistes, issus de plusieurs disciplines. L’installation a été produite par Transcultures, une association bruxelloise active dans le domaine des arts contemporains et numériques. Valeria a fait appel à Elisabeth Maesen, une jeune danseuse et chorégraphe flamande et à Régis Cotentin. Le travail de ce vidéaste français se distingue par un style très particulier qui consiste à superposer des images et à brouiller le rapport entre la fiction et la réalité, pour se rapprocher de l’esthétique du cinéma des années 1920. Par ailleurs, ayant connu les années 1980 et cernant bien la personnalité de Valeria, Régis s’est aisément glissé dans sa peau et a filmé le spectacle en s’identifiant à elle. Valeria a imaginé trois silhouettes qui se révèlent progressivement par les gestes de la danseuse. Elisabeth commence la performance, vêtue d’une robe bustier noire. Des rubans arborant des textes  » atmosphère  » du groupe Joy Division serpentent en diagonale sur la robe. Puis on voit la danseuse habillée d’un top et d’une jupe, travaillés avec des bandes réfléchissantes. Enfin, elle enfile une ample tunique en tissu fin noir, semi-transparent, ornée de plusieurs rubans de satin cousus sur le vêtement. Les broderies empruntent des citations aux textes des chansons de Joy Division, Front 242, Fad Gadget ou encre Siouxsie & the Banshees, groupes phares des années 1980. Elisabeth Maesen évolue dans une ambiance sonore du duo Transmix, bercée par des vagues électroniques, rythmées d’interventions vocales ponctuelles. Régis Cotentin a tourné le film à la Raffinerie du Plan K, lieu mythique et symbolique, car il a accueilli les toutes premières prestations de Charleroi/Danses, le centre chorégraphique de la Communauté française de Belgique. C’est ici, aussi, que Joy Division s’est produit pour la première fois en Belgique, en 1980. L’installation  » Nach der Welle  » a donc particulièrement capté l’attention des aficionados de Modo Bruxellæ qui, séduits par cette performance pluri-artistique, à la fois onirique, abstraite, pleine de poésie et un peu surréaliste, l’ont préférée parmi toutes les autres. En attendant d’autres aventures, Valeria Pesci a regagné la boutique bruxelloise de Martin Margiela qu’elle anime avec enthousiasme depuis deux ans.

Née à Bruxelles, de parents italiens, fonctionnaires aux Communautés européennes, la jeune styliste s’est toujours passionnée pour le dessin. Son intérêt pour la mode est né un peu par hasard, suite à un coup de foudre, dont elle se souvient avec précision.  » C’était en 1987, j’avais 12 ans à l’époque. En regardant la télé, je suis tombée sur un défilé de Jean Paul Gaultier. On voyait arriver des mannequins habillés en bonnes s£urs. Devant le public, elles enlevaient leurs robes et on découvrait de magnifiques tenues hautes en couleur. Je me suis dit que si c’était ça la mode, je voulais bien m’y lancer.  » Les parents de Valeria se montrent, en revanche, moins enthousiastes. Finalement, ils marquent leur accord, à condition qu’elle fasse des études universitaires. Direction, donc, l’université de Florence. A la faculté de Philosophie et Lettres, Valeria suit, pendant quatre ans, les cours théoriques en costume et mode (orientation design). Elle les complète, parallèlement, par des cours pratiques à l’école de stylisme Art Polimoda Florence (l’équivalent de Fashion Institute of Technology à New York). La formation,  » très dure « , s’achève par une vraie thèse sur le thème de  » La déconstruction du vêtement : Europe et Japon, comparaison entre deux traditions.  » C’est un domaine assez marginal de la mode, dont on parle peu. Le pionnier, la griffe japonaise Comme des Garçons, animée par Rei Kawakubo, a connu son heure de gloire au début des années 1980. Plus récemment, Martin Margiela persiste dans la même voie avec sa  » collection artisanale « .  » C’est un sujet qui me passionne, confie Valeria. Pour moi, la mode va au-delà du pur esthétisme. Le ôparaître » ne m’intéresse pas. Je veux connaître l’histoire d’un vêtement, savoir de quoi on est parti. J’aime l’idée de ces vêtements récupérés, puis détournés qui peuvent être portés de plusieurs façons et qui continuent à vivre, autrement.  »

Diplôme en poche, Valeria collectionne des expériences éclectiques. Elle fait un stage auprès d’un bureau de tendances parisien et passe deux saisons chez Olivier Theyskens, dont elle apprécie beaucoup l' » esthétique un peu gothique qui sublime la femme ». Chez A.F. Vandevorst et chez Balenciaga, elle découvre une autre facette du métier. Deux fois l’an, pendant dix jours, elle vend leurs collections pendant les défilés et accueille des acheteurs du monde entier. Et puis, en 2002, lorsque Martin Margiela ouvre sa boutique à Bruxelles, elle accepte avec joie de l’animer à plein temps.  » J’adore Martin et je le respecte. Il est mon styliste préféré. Chez lui, la déconstruction reste portable.  »

Aujourd’hui, Valeria est une jeune femme bien dans sa peau, bien dans sa tête et bien dans sa vie. Elle continue à faire des dessins de mode mais n’est pas titillée par l’ambition de lancer sa propre marque. En revanche, elle souhaiterait assister un styliste qu’elle apprécie. Olivier Theyskens, par exemple, si, un jour, il lance sa propre marque. Ou encore Xavier Delcour. Certes, il ne pratique pas la déconstruction, mais elle se reconnaît bien dans son style qui exploite le côté nostalgique des années 1980. Le rêve le plus fort consiste évidemment à assister Martin Margiela, le créateur le plus discret, le plus singulier et le plus secret. En s’occupant depuis plus de deux ans de sa boutique, Valeria ne l’a jamais rencontré !  » Ce qui m’attire le plus chez lui, c’est sa collection artisanale, ses vêtements transformés pour homme et pour femme, s’enthousiasme-t-elle. Une petite équipe chine des anciens stocks de vêtements, vestes, tee-shirts, robes, jupes. Ensuite, on les détourne de leur contexte, on les transforme et on leur donne une nouvelle vie. Une ancienne veste se fait jupe, un tee-shirt devient top de nuit, par exemple. Ce n’est pas du carnaval, c’est une vision très particulière de la mode que je partage entièrement.  »

Barbara Witkowska

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