Derrière ses façades victoriennes, elle abrite des populations venues de tous les continents. Promenade dans cette métropole bigarrée qui a fait de la coexistence pacifique son emblème.

N onchalamment allongée au bord du détroit de Géorgie, Vancouver a l’air d’une jeune fille saine et sportive. La demoiselle, qui vient de fêter ses 116 ans, offre au vent du large ses opulentes avenues à angle droit, ses gratte-ciel, ses boutiques de luxe, ses terrasses de café, son dynamisme tranquille : toutes les richesses sans paillettes de  » l’autre Amérique « , comme on appelle souvent le Canada.

Entre les Rocheuses et l’océan, entre glaciers et plage, Vancouver se situe aussi à mi-chemin de l’Europe et de l’Asie. Cette position fait d’elle la ville du juste milieu, de tous les accords, de tous les accueils. Mariam se souvient de son arrivée à l’aéroport, il y a huit ans, avec son mari et ses deux fils. Venant de Téhéran, ils étaient épuisés par le voyage. L’employée de l’Immigration a souri en leur offrant un café et des gâteaux.  » Nous avons juste reçu un couple de Lituaniens, a-t-elle dit, et leurs enfants doivent avoir l’âge des vôtres. Je vais vous les présenter. Vous remplirez tranquillement les papiers pendant qu’ils joueront ensemble. Il n’y a pas d’urgence.  »

Des 2 millions d’habitants que compte l’agglomération de Vancouver, la moitié est asiatique, principalement d’origine chinoise, le quart étant né en Inde. Les anglophones ne représentent que 50 % de la population. Dans les bistrots branchés de Robson Street et de Gastown, comme dans les rues du centre-ville, on croise autant de saris et de turbans, de tchadors et de voiles que de shorts et de tee-shirts. On parle polonais et hindi, allemand et vietnamien, français et portugais, yiddish et persan : un creuset improbable et harmonieux d’ethnies, une palette de couleurs. Au Canada, terre d’immigration, les étrangers sont les bienvenus, surtout s’ils possèdent des compétences particulières. Pour venir s’y installer, il suffit, d’après les formulaires des offices d’immigration,  » d’avoir une formation solide dans un secteur porteur « . Les diplômés de l’enseignement supérieur ou les informaticiens munis de quelques économies seront mieux reçus que les poètes impécunieux. Cela étant, tout est fait pour faciliter la vie des nouveaux arrivants, dont l’intégration se démarque de l’assimilation à l’européenne : les communautés se côtoient et se rencontrent sans se mélanger. Les quartiers se succèdent et se frôlent. Chinois, italien, indien, on passe d’un pays, d’un continent à l’autre en traversant la rue. Tous canadiens, chacun à sa façon.

Berceau de la ville, l’ancien quartier chinois s’est construit près du port, à l’est de Main Street. C’est là, dit-on, que les premiers immigrants du Céleste Empire ont échoué vers 1880, après avoir traversé le Pacifique en radeau, là où les Russes blancs de Sibérie ont trouvé refuge après la tempête. Ukrainiens, Scandinaves, Yougoslaves : vague après vague, ils sont tous arrivés à Vancouver avec leurs valises, leurs regrets et leurs espoirs. Désertés par les fils du Ciel, à mesure qu’ils grimpaient dans l’échelle sociale, les abords de False Creek sont devenus le repaire de populations interlopes. Les façades autrefois richement décorées, avec leurs balcons de fer forgé, sont désormais décrépies et cachent, si l’on en croit la rumeur, des salles de jeu clandestines et des trafics en tout genre. Le merveilleux jardin du Dr Sun Yat-sen, avec cascade, fontaines, rochers, ponts et plantes, est le seul vestige de l’opulence passée… Unique modèle au monde de jardin chinois classique hors de la mère patrie, il a été construit par des artisans originaires de Canton qui ont importé au Canada l’ensemble des éléments nécessaires à sa réalisation.

Chinatown la jeune jouxte son aînée délaissée. Entre Main Street et Hastings Street, boutiques d’artisans, restaurants, échoppes de médecins, magasins de musique et de mode se succèdent jusqu’à la 12e Avenue. Les néons flamboient, les odeurs de canard laqué et de crevettes au poivre parfument les rues. Les vieillards souriants portent encore des nattes et des calottes en soie, si bien que l’on a l’impression d’être plongé avec Tintin et Tchang dans l’univers du  » Lotus bleu « . Même si les panneaux sont en principe bilingues, les trois quarts des habitants du quartier ne parlent que le mandarin ou le cantonais. L’anglais est surtout décoratif dans cette troisième Chinatown d’Amérique du Nord, après San Francisco et New York. Derniers arrivés, les Chinois qui ont fui Hongkong en nombre au moment de la rétrocession, ont installé leurs commerces dans le quartier. Mais ils vivent plus loin, dans les ravissantes maisons à colonnades de la banlieue résidentielle de Richmond, au sud de la ville.

Le reste de la communauté asiatique s’est regroupé entre la 49e et la 51e Avenue, autour de Fraser Street. Philippins, Cambodgiens, Thaïlandais, Vietnamiens se mêlent aux Pakistanais et aux sikhs venus du sous-continent indien. Au c£ur du marché Pendjab, les épices colorées et les bijoux côtoient les soieries chatoyantes pour saris, les sabres et les turbans. C’est ici le domaine des  » accommodements raisonnables « . Les Canadiens, partisans des compromis, fuient les positions tranchées et les excès. Leur leitmotiv,  » toujours trouver un terrain d’entente « , est sans doute l’une des clés de l’ambiance si particulière qui règne à Vancouver. Ainsi, les policiers et les militaires sikhs, que leur religion oblige à porter en permanence un sabre et un turban, ont obtenu le droit d’arborer leur arme pendant le service, à condition qu’elle soit en plastique, comme les jouets d’enfant. Enturbannée, la police montée n’en a que plus d’allure…

Récemment, une autre affaire de  » port d’arme  » a provoqué une vive polémique dans une école. Des parents d’élèves se sont émus de voir un garçon de 12 ans avoir un sabre en classe, et ont demandé l’interdiction de cette pratique. Le juge, dans sa sagesse, a tranché en donnant satisfaction aux deux parties : l’enfant a donc été autorisé à porter son sabre symbolique, mais emprisonné dans un fourreau en bois, lui-même emmailloté dans un tissu solide et épais, caché sous ses vêtements.

Les autorités ne sont pas seules à faire preuve de tolérance. Dans le parc Queen Elizabeth, qui symbolise le rapprochement miraculeux de l’Orient et de l’Occident, les parterres de fleurs du jardin anglais servent de décor aux Japonais qui viennent tous les matins, dès l’aube, saluer le soleil et se livrer aux mystérieux exercices de leur gymnastique rituelle. Les joggers, respectueux, n’interrompent pas leur course pour autant. Ils font juste attention à ne pas troubler cette forme de méditation. Au loin, de l’autre côté du pont qui enjambe l’île Granville, se dressent les voiles blanches géantes du centre de congrès, sorte de paquebot éternellement à quai, symbole des départs et des arrivées.

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