Avec ses trois millions d’hectares, le Parc national de Canama au Venezuela offre une diversité de paysages et de biotopes fascinants. Ici, dans un univers hors du temps, aventuriers, chercheurs d’or et touristes en mal de sensations viennent se ressourcer.

Ricardo est assis confortablement derrière le volant de sa grosse Toyota Land Cruiser qui ronronne comme une horloge. La route qui traverse la Gran Sabana du nord au sud, de Ciudad Guyana à Santa Elena, il la connaît comme sa poche. Il l’a parcourue des dizaines de fois et dans les nombreuses petites agglomérations qui se succèdent, il compte beaucoup d’amis. La route n’est asphaltée que depuis 1991. Avant, c’était vraiment l’aventure maîtrisée surtout par les Indiens Pemons, la population majoritaire installée depuis toujours dans la région. Aujourd’hui, elle est formée des Arekunas qui vivent dans le centre, des Taurepanes, au sud du mont Roraima, bien connus comme guides et porteurs par les randonneurs, et des Kumaracotas plus au nord, autour de Auyan Tepui.

Les Pemons préparent encore le long de la route le pan casabe, le pain à base de manioc. Les racines de la plante sont tout d’abord râpées. Après séchage, la farine est étalée sur de grandes plaques chaudes. Le pain obtenu est sec et peut se conserver longtemps. Il peut aussi être fourré de fromage et de sucre. Autre spécialité locale, le kachri, une boisson fermentée à base de manioc amer. Mais celui qui tient une place stratégique dans le quotidien, ici, c’est le  » moriche  » ( » l’arbre de la vie « ), le palmier dont les feuilles couvrent les toits des modestes demeures. Tressées, elles sont utilisées pour la fabrication des hamacs. Tandis que le c£ur de la plante nourrit, et que les fruits alimentent une boisson fermentée.

Créé en 1972 sur une surface d’un million d’hectares au sud de l’Orénoque, le long des frontières de la Guyane et du Brésil, le Parc national de Canaima, dans lequel se dresse une centaine de tepuis (montagnes à sommet plat), couvre aujourd’hui plus de 3 millions d’hectares. Dans la Gran Sabana, il atteint des altitudes comprises entre 400 mètres û le haut-plateau de la Gran Sabana û et 2 800 mètres û le sommet du mont Roraima qui inspira à sir Arthur Conan Doyle son livre  » Le Monde perdu « . A l’ouest du parc se dresse le village de Canaima dans une vaste région de rivières sombres et de jungles impénétrables. Les tepuis forment des entités biologique et géologique uniques au monde. Depuis 1994, l’Unesco les protège après les avoir classées patrimoine de l’humanité. De nombreuses espèces végétales et animales, pour la plupart endémiques, s’y sont développées sur les sommets. Plus de 70 % des 800 espèces de végétaux qui y prolifèrent sont uniques au monde. Le microclimat créé par les hautes montagnes connaît des vents violents. D’innombrables cascades, des rochers plats entaillés de profondes fissures, de sombres canyons dont la plupart n’ont jamais été explorées parce que beaucoup trop difficiles d’accès habitent leurs sommets.

Au milieu de la savane, la route de Kavanayen, siège d’une mission des moines capucins, s’enfonce en direction des collines. Dans le lointain, Auyan Tepui, la montagne du diable en langue indigène, dresse à plus de 2 500 mètres sa silhouette de forteresse médiévale au-dessus de la jungle. A ses pieds, la forêt tropicale, presque impénétrable. Pour les Pemons, les tepuis sont des lieux sacrés qui accueillent les esprits des ancêtres et les forces naturelles et surnaturelles. Que l’on ne peut déranger sous peine de risquer la mort. En bas, dans la lumière verdâtre du petit matin, la jungle est recouverte d’un léger voile de brume. Seuls les bruits de moteurs des barques lancées à toute vitesse pour remonter les eaux sombres du rio Carrao retentissent. De temps en temps, avant de franchir un rapide û il y en a 57 en tout û la barque racle le fond. Dès que le moteur s’arrête, le chant des oiseaux et le bruit sourd des cascades reprennent possession des lieux.

Du sommet du Auyan Tepui s’élance Angel û ou de son nom indien Kerepahnupoi-meru, la chute la plus profonde û pour retomber près de mille mètres plus bas. Le pilote Jimmy Angel avait réussi à s’y poser en avion en 1937. L’histoire de l’Américain fait partie des grandes aventures et légendes d’Amérique du Sud. Pilote de chasse, chercheur d’or, il devait mourir dans un accident d’avion à Panama en 1954.

Aujourd’hui encore, le mythe de l’or est bien présent dans la Gran Sabana. Des mineurs creusent inlassablement le sol, remuant des tonnes de gravier et de sable à la recherche du précieux métal. La petite ville de El Dorado attire toujours de nombreux aventuriers. Au fond des rivières et des torrents, quelques points brillants excitent encore l’imagination. De l’or, des pierres précieuses ? Ou, plus simplement quelques paillettes de mica auxquelles le soleil donne un éclat passager ? Pas de doute possible : les rêves les plus fous commencent et se terminent ici.

Reportage : Michel et Gabrielle Therin-Weise

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