De majestueuses maisons en bois sur pilotis, démontées à la campagne où elles abritaient les familles des ethnies minoritaires et leurs animaux, ont depuis peu migré en ville. Redécouverte du patrimoine rural ? Quête de sens après des années de souffrance ou seulement mode lancée par les créatifs ? Certainement un peu de tout cela à la fois… Dao Anh Khanh, jeune artiste de la scène contemporaine, habite l’une d’entre elles à Hanoi, au milieu d’un luxuriant jardin animé par ses ouvres.

Lorsqu’on traverse le pont Chuong Duong, que l’on aperçoit les rizières qui bordent le fleuve Rouge où poussent les  » jardins ouvriers « , et les buffles dodelinant sur la route, on pense avoir définitivement quitté la vibrante Hanoi. Mais la ville n’a pas dit son dernier mot et s’étend sur ce qu’il n’y a pas si longtemps n’étaient que des champs. Des maisons étroites aux couleurs psychédéliques, toutes en hauteur, se sont multipliées sans grand souci esthétique, côtoyant dans les dédales des petites ruelles de jolies demeures plus bourgeoises. C’est au bout d’une longue allée, tapissée de plaques de ciment où des amis-artistes ont posé leur empreinte et ornée de sculptures plutôt suggestives, que vit Dao Anh Khanh, un créateur protéiforme, à l’allure altière de chef indien (*). D’immenses structures en bambou – d’anciennes £uvres en cours de destruction – ornent l’entrée et des créatures fantastiques en PVC transparent flottent entre les palmiers, les fougères arborescentes et les ficus. C’est dans une maison Muong (du nom de la minorité à laquelle elle a appartenu) digne du Musée ethnographique, que Khanh l’avant-gardiste a choisi d’habiter.

Chez lui, nulle idée de sauver un patrimoine rural en perdition. Il pense que ces bâtisses traditionnelles en bois ou en bambou – les plus émouvantes avec leurs murs tissés de motifs graphiques -, couvertes de chaume ou d’herbes d’éléphant, sont bâties dans les campagnes pour que leurs habitants vivent en communion avec la nature et ne sont donc pas destinées à la ville. Lors d’un voyage en France, c’est la visite du Hameau de la Reine dans le parc de Versailles qui lui donne envie de vivre comme Marie-Antoinette ! L’ancestrale maison sur pilotis lui semble alors la plus proche cousine de la royale chaumière. On est un peu surpris par l’explication, mais pourquoi pas, si elle a permis de sauver cette maison qui fut une des premières à être démontée et remontée à Hanoi. Ici, l’étable sous la maison, qui abritait les animaux et les femmes teignant leurs habits à l’indigo, a été reconvertie en salle d’exposition pour les tableaux de l’artiste accrochés sur les colonnes, tantôt très réalistes –  » Le Vieux Paris  » -, figuratifs ou surréalistes (la femme, éternel sujet !)

En revanche, l’étage a été entièrement conservé dans son jus. Une tenture blanche a juste été tendue sous le toit pour éclaircir la pièce et la protéger des termites. Le lit de l’ancien maître de maison prévu pour lui et ses trois femmes (le rêve de Khanh !) a été gardé tel quel, à peine recouvert d’un dais de soie ivoire, l’autel des ancêtres conservé avec ses enseignes et bannières de procession en bois. Etrange impression que cette immense pièce laissant filtrer la lumière vive à travers les interstices des planches, qui jette sur une poterie, la laque d’un meuble ancien ou le sourire d’une sculpture un éclairage tendre et inattendu. Cette photographie sépia de la vie à la campagne est à peine troublée par un fauteuil de massage électrique et les allées et venues des assistants de Khanh à la coupe irokoise, habillés à la dernière mode. C’est peut-être dans ces maisons sur pilotis que battra encore longtemps le c£ur du Vietnam…

(*) Les tableaux, sculptures et performances de Dao Anh Khanh sont visibles sur le site www.daoanhkhanh.com/art1.asp

Sylvie Lajouanie et Agnès Benoît Photos : Nicolas Millet

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