Une pluie d’étoiles… Pas dans le ciel, mais dans les magazines, sur le petit écran et sur les panneaux publicitaires. Un ballet orchestré par les marques de luxe qui ont pris l’habitude de saupoudrer leurs campagnes de célébrités. A chaque nouveau produit, à chaque nouvelle collection, son visage glamour, sa silhouette hypnotique. Qui fera les délices de la presse people et féminine avant d’essaimer aux quatre vents.

Le phénomène n’est certes pas nouveau, mais il connaît un succès inégalé qui mérite qu’on s’y attarde. Et ce n’est pas ce mois de septembre qui nous démentira. Dans la perspective de la saison automne-hiver à venir, la pluie redouble en effet d’intensité. Un peu partout, les têtes d’affiche se parent de leurs plus beaux atours. A commencer par l’actrice Hilary Swank, qui prête sa moue rebelle au nouveau jus de Guerlain : Insolence. Sans mauvais jeu de mot, un joli coup pour la puncheuse du film  » Million Dollar Baby « … Mais on pourrait tout aussi bien citer le rappeur Pharell Williams en gangster séducteur pour Louis Vuitton, ou la séduisante Anna Mouglalis, déjà en cheville avec Chanel depuis 2002, et qui met à présent son  » Allure sensuelle  » au service du nouveau breuvage homonyme de la prestigieuse maison. Sans oublier bien sûr Kate Moss, de loin la plus convoitée des  » pipoles  » de la planète fashion, et ce un an seulement après avoir mis le feu aux poudres (sic). La top des tops roule cette saison pour Dior, Louis Vuitton, Burberry, Roberto Cavalli, Longchamp ou encore Versace.

Enfants de la patrie

Seule en scène chez Dior ou Longchamp, la brindille, comme l’ont surnommée les médias, partage la vedette avec plusieurs VIP dans la plupart des autres campagnes. L’amorce d’une nouvelle tendance ? Le signe d’un retour en grâce du groupe, de la tribu, du clan ? Sans parler de véritable raz-de-marée, on épinglera toutefois quelques griffes, et non des moindres, qui privilégient clairement le tir groupé. Avec cependant des nuances dans l’interprétation… Là où Versace mise sur un univers glacé peuplé de mannequins de choc (voir Weekend du 4 août dernier), Burberry revisite sur un tempo nettement plus cosy le portrait de famille. Et quelle famille ! Que du beau monde en vitrine ! Comme Bryan Ferry ou Kate Moss, flanqués pour l’occasion d’une tripotée de  » fils et fille de « . Parmi lesquels Otis et Isaac Ferry, Max Irons – rejeton de Jeremy – ou Lily Donaldson – fille du photographe Matthew Donaldson. A propos de  » fille de « , il en est une autre qui fait une entrée remarquée sur la scène médiatique ce mois-ci. Elle se fait appeler Marie Steiss. Mais son vrai patronyme est de Villepin, du nom de son père, Dominique, le Premier ministre français. Succédant à Audrey Hepburn et Liv Tyler, elle prête son teint diaphane à Ange ou Démon, le dernier-né des parfums Givenchy (voir Weekend du 25 août dernier).

En choisissant de mettre l’accent sur le  » team Madonna  » qui accompagne la star dans sa nouvelle tournée mondiale, H&M s’inscrit d’une certaine manière dans le même mouvement. Un besoin de communion qui se manifeste peut-être aussi dans l’inclination actuelle des couturiers à faire défiler leurs mannequins en grappe.

Pour en finir avec ce volet, notons également que peu de marques se risquent encore à confier leur image à un seul Olympien, aussi irrésistible soit-il. Dior, c’est Sharon Stone, mais c’est aussi Monica Bellucci, qui vient de rejoindre l’enseigne mythique en lieu et place de Charlize Theron. De même, l’image de Louis Vuitton repose cet hiver sur les épaules d’un bataillon de top models emmené par Naomi Campbell, Kate Moss et Daria Werbowy. Une manière de satisfaire tous les publics, mais aussi de répartir les risques sur plusieurs têtes au cas où l’une de ces créatures médiatiques venait à trébucher. La roche tarpéienne est proche du Capitole. Au royaume du paraître plus encore qu’ailleurs…

Opération  » win-win  »

Déjà très riche, ce tableau est toutefois loin d’être complet. Il faudrait également mentionner la nouvelle idylle entre Keira Knightley et Coco Mademoiselle (Chanel). Ou encore l’étreinte consentie par Scarlett Johansson avec l’équipementier Reebok pour une collection attendue au printemps 2007. Preuve que le recel d’image de star n’est pas l’apanage des marques haut de gamme. Tout le monde joue le jeu. De l’horloger Tag Heuer, qui se met aujourd’hui à l’heure de l’avant-garde avec une galerie de portraits de femmes très arty, où figurent notamment Dita Von Teese et Emmanuelle Seignier, au Coq sportif, qui a donné récemment un solide coup de pédale à son sex-appeal en débauchant Tom Boonen, notre sémillant champion cycliste.

Cette course aux étoiles ne se limite pas à la pub, loin s’en faut. La moindre présence d’un people à un défilé donne lieu à une ribambelle de communiqués de presse. Idem lors des événements courus comme le Festival de Cannes, où les porte-drapeaux de la haute couture se disputent les faveurs des nominés. Même la rue n’est plus épargnée. Chaque semaine, les revues people et féminines nous détaillent par le menu la garde-robe  » civile  » des happy few, photos plus ou moins volées à l’appui. Un manège qui profite à tout le monde. Aux stars, qui entretiennent ainsi leur notoriété et donc leur cote. Aux marques citées, qui en tirent un maximum de retombées médiatiques. Et aux magazines, qui y puisent les ingrédients essentiels qui feront le succès de leur recette : du rêve, de l’émotion, du glamour. En habillant pour la cérémonie des Oscars de 2003 Kate Hudson, Jennifer Garner et Catherine Zeta-Jones, alors enceinte, et distinguée pour son rôle dans  » Chicago « , Versace aurait, selon les estimations, engrangé 237 secondes de publicité gratuite. Soit l’équivalent de 2,8 millions d’euros…

Tous en piste

Beaucoup de bruit pour rien ? Pas sûr. Car la machine est bien huilée. On trouve déjà des traces de cet  » effet people  » dans les années 1950. Le sociologue Guillaume Erner, que nous avons interrogé, épingle ainsi dans son livre  » Victimes de la mode ?  » (Editions La Découverte) le soutien fortuit apporté par deux têtes couronnées à Hermès. Si la reine d’Angleterre et la princesse Grace Kelly ne s’étaient pas fait tirer le portrait à l’époque avec un carré de soie autour du cou, l’une sur un timbre de six pence, l’autre en couverture du magazine  » Life « , le sort glorieux de la marque en eut sans doute été différent. Mais ce n’est toutefois que bien plus tard que le  » système  » se mettra en place.  » Le premier à avoir cherché à exploiter industriellement le filon des célébrités est probablement Giorgio Armani « , estime l’auteur. En particulier avec Richard Gere dans  » American Gigolo  » (1980). Habillé de pied en cap en Armani, l’acteur y signe une prestation qui aurait largement contribué à imposer le style à la fois simple et sophistiqué de la griffe italienne.

Rien n’a changé depuis ? Si. Le public poursuit toujours sa quête de modèles à imiter, ou simplement à fantasmer. Mais à la différence des décennies précédentes, il a sensiblement élargi son terrain de chasse. On se rappellera que le cinéma était le pourvoyeur quasi exclusif du  » star system  » il y a peu. Catherine Deneuve et ses cons£urs hollywoodiennes dominaient, alors, le bal des étoiles. Une suprématie désormais sérieusement battue en brèche par la vague des  » illustres inconnus « .  » La télé-réalité a provoqué une cassure, nous explique Guillaume Erner. Elle a transformé en stars des individus qui n’ont d’autres qualités que d’être passés à la télévision ou, dans le cas des mannequins, d’être dotés d’une plastique avantageuse.  »

Une redistribution des cartes qui rend le jeu plus délicat. Du vainqueur de la Star Ac au footballeur un peu sexy (l’Ukrainien de Chelsea Andreï Shevchenko et sa femme, un top model américain, sont d’ailleurs les nouveaux ambassadeurs de Giorgio Armani), tout le monde est susceptible de se hisser au firmament de la jet-set. Sauf qu’à en croire Guillaume Erner, toutes les gloires du moment ne sont pas pour autant logées à la même enseigne.  » Le consommateur n’est pas dupe, clame-t-il. Dans sa hiérarchie des valeurs, il situe l’actrice bien au-dessus du mannequin.  » Il ferait ainsi la différence entre Paris Hilton et Romy Schneider, entre Kate Moss et Nicole Kidman. Mais pour combien de temps encore ? L’avènement de la version 2.0 de la télé-réalité, qui voit les élus cathodiques gagner en respectabilité, risque fort de gommer ces nuances. Qui considère encore Carla Bruni comme un mannequin qui pousse la chansonnette ? Un album bien balancé a suffi à la faire basculer dans la catégorie artiste à part entière.

Pour les annonceurs, cette dilution de la notion de star signifie plus de choix, mais aussi plus de risques. Gare à l’erreur de casting ! Si le client est moins difficile qu’avant, il reste sensible à la compatibilité entre la marque et son égérie.

Reste une dernière question : qui tire les ficelles en coulisse ?  » Personne, répond le sociologue. On a affaire à un  » processus sans sujet « . L’état de la mode, qui dicte à un moment donné ce qui est in et out, dépend d’une multitude de paramètres versatiles. Une star peut être au top un jour et  » has been  » le lendemain parce qu’elle a été vue trois fois avec le même pantalon.  » Damned ! Comme Dallas, la mode est désormais un univers impitoyable…

Laurent Raphaël

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