Quand la nouvelle se joue des frontières et des règles… Un genre dans tous ses états qui séduit de plus en plus d’auteurs.

LE PLUS DÉBAUCHÉ

Un long cheveu noir, un SMS trop visible, un  » talky-baby  » imprudemment allumé, une messagerie qui joue des tours, une bonne amie qui vous veut du bien ou, plus  » datée « , une simple filature… Les chemins sont multiples qui vous mènent à l’évidence : votre conjoint(e) vous trompe ! Tatiana de Rosnay s’est  » amusée  » à parcourir onze situations d’adultère, le b.a.-ba du couple contemporain semble-t-il, que l’auteure de Elle s’appelait Sarah impute le plus souvent à l’homme. Elle a aussi imaginé la palette des vengeances possibles de toutes ces femmes trompées, du banal cassage en règle du mobilier (voire de l’adultérin) à la délicieuse lettre anonyme en passant par la rupture ou, pire encore, la grossesse. Quoique de facture classique, ces onze nuances d’adultère se lisent avec grand plaisir tant la sympathique Tatiana de Rosnay retranscrit avec humour l’air du temps et arrive à désarçonner le lecteur grâce à un art consommé de la chute.

M.P.

Son carnet rouge, par Tatiana de Rosnay, éditions Héloïse d’Ormesson, 192 pages.

LE PLUS LETTRÉ

La nouvelle, c’est vraiment son genre ! Claude Pujade-Renaud le prouve à nouveau dans ce septième recueil où sa grande érudition le dispute à un propos original. Soit huit partitions plus ou moins entraînantes, consacrées à autant de créateurs et de créatures mythiques – Mozart, Stendhal, Jules Renard, Egon Schiele, mais aussi Rossinante, ou encore OEdipe. Pour chaque personnage, l’auteure prend un chemin de traverse : ici en faisant parler l’immortelle monture de Don Quichotte (De fol en fol) ; là en donnant la parole à une certaine Mademoiselle Jeunehomme, pianiste française aveugle qui joua pour la première fois le Concerto n° 9 au côté d’un Wolfang  » pétillant de générosité  » (Rire en do mineur). Il y a également Nora, l’épouse de James Joyce, prompte à s’épancher sur leur séjour à Trieste. Si les références de l’écrivaine sont parfois trop pointues, sa liberté de ton vient à point nommé pour humaniser ces grandes figures et révéler leur part de folie.

D.P.

Rire en do mineur, par Claude Pujade-Renaud, Actes Sud, 107 pages.

LE PLUS MÉLANCOLIQUE

Pour un peu, on crierait à l’injustice : pourquoi les histoires de Régis Franc ne trônent-elles pas au sommet des listes de best-sellers ? Est-ce parce que son auteur serait uniquement associé à la mythique bande dessinée – Le Café de la plage – qu’il a jadis créée ? Ses nouvelles sont pourtant de petits bijoux d’humour et de mélancolie. Ici encore, des garrigues de son Languedoc natal aux jungles de l’Asie – dont il livre au passage cette excellente définition,  » l’oxyde de carbone mélangé au nuoc-mâm plus le décalage horaire  » -, Franc campe son petit univers d’hommes qui  » voulaient bouffer le monde  » et se retrouvent, la cinquantaine passée, à siroter du rosé à Cadaqués. Leurs souvenirs les ramènent toujours vers quelque lagune de leur enfance, là-bas dans les années 60, où ils couraient derrière une fillette entre les cyprès dans le vent. Ils étaient heureux mais ne le savaient pas. Jamais les papillons ne voyagent, la nouvelle qui donne son titre au recueil, concentre tout son univers : des jeunes désoeuvrés en Simca Sport, une fille dans la nuit au milieu d’un essaim de papillons attirés par une lanterne, des amours impossibles, un train au loin… Il y a toujours, chez Franc, une certaine indulgence pour les hommes (et les femmes). Même pour cette Suzanne, ex-reine de la mode venue faire  » zig-zig  » avec un gigolo balinais à 8 000 kilomètres de Paris. Régis Franc fait partie de cette espèce rare d’écrivains qui rendent heureux.

J.D.

Jamais les papillons ne voyagent, par Régis Franc, Fayard, 184 pages.

LE PLUS INGÉNIEUX

Sept récits, sept lieux, signalent les Editions de Minuit à propos du recueil de Jean Echenoz. Et surtout, sept délices ! Décidément cet homme est unique en son genre, passé roi dans l’art de marier le beau style à l’humour, l’absurde à la science, l’incongru au trivial. Quelques phrases, piochées au gré de ces sept nouvelles, suffisent à donner le ton Echenoz : l’ingénieur Gluck,  » collectionneur de ponts comme d’autres collectionnent les aquarelles ou les ennuis  » ; l’intérêt de se confier  » auprès de parfaits inconnus, si possible étrangers, car on évoque mieux ses tourments dans une langue qu’on maîtrise mal  » ; les fourmis qui  » ricanent en douce du dernier caprice de la reine  » ; l’église du Bourget  » moche, vraiment moche, à ce point moche qu’elle en devenait touchante « … Outre son don de la langue, Echenoz n’a pas son pareil pour décrire le bel ouvrage et nous instruire au passage. On saura donc tout sur l’édification de Babylone, les 360 utilisations du palmier, la construction des ponts à travers les âges, le mal de mer de l’amiral Nelson, les usines désaffectées et les bars-restaurants du Bourget. C’est bien ce dernier récit, Trois sandwichs au Bourget, qui nous ravit le plus. L’histoire ? Le narrateur (le seul  » je  » de l’ensemble) décide d’aller manger un sandwich (au saucisson) au Bourget, ville de banlieue où il ne connaît personne et n’a rien à voir. Une merveille.

M.P.

Caprice de la reine, par Jean Echenoz, Les Editions de Minuit, 128 pages.

LE PLUS EXOTIQUE

Une seule nouvelle ici, mais quelle nouvelle ! Salué par le jury du prix Goncourt, Vie de monsieur Leguat est un enchantement. Monsieur Leguat (1638- 1735), huguenot chassé de ses terres bressanes par la révocation de l’édit de Nantes, a bel et bien existé. Et plutôt trois fois qu’une, comme le raconte, dans un style merveilleusement suranné, Nicolas Cavaillès, qui signe là son premier roman (sa première longue nouvelle). A 52 ans, voilà Leguat embarqué avec 11 Français, via Amsterdam, sur un trois-mâts baptisé l’Hirondelle et commandé par le capitaine Valleau, un sadique de la pire espèce. Le 1er mai 1691, l’équipée débarque sur l’île Rodrigues – un nouvel éden,  » expression pure de la Providence divine « . Reste que les jeunes compagnons de Leguat rêvent de corps féminins. Le capitaine s’étant volatilisé, c’est à l’aide d’embarcations de fortune que les insulaires – moins les morts du scorbut – affrontent les tempêtes en direction de l’île Maurice, alors sous domination hollandaise. Des années de galère plus tard, le hobereau à la belle âme entame sa troisième vie, dans les basfonds londoniens. Traducteur du roumain, grand connaisseur de Cioran et auteur de plusieurs essais de critique littéraire, Nicolas Cavaillès ne dépare pas dans le noble registre de l’humour désespéré.

M.P.

Vie de monsieur Leguat, par Nicolas Cavaillès, éditions du Sonneur, 72 pages.

PAR JÉRÔME DUPUIS, MARIANNE PAYOT ET DELPHINE PERAS

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