Lorsqu’ils posent leurs bagages ultrasophistiqués, les techno-nomades du xxie siècle cherchent bien plus qu’un endroit pour dormir. Dans ces hôtels nouvelle génération, lumières acidulées, design pop et gadgets ludiques tiennent les sens et l’esprit en éveil. Premier arrêt dans le dernier-né de la bande : le Kube, à Paris.

Sûr, ce n’est pas le genre d’endroit où vous arriverez par hasard, l’£il baladeur, en quête d’un bar où finir la soirée. Plutôt l’adresse que se susurrent ceux qui  » savent « , cette tribu de globe-trotteurs du xxie siècle, toujours en quête de la dernière oasis techno, baignée de lumières acidulées, où poser leur bagage griffé Marc Newson et leur ordinateur portable dernier cri. Dans le quartier – Porte de la Chapelle – qui vous évoque plutôt les bouchons du périph que le dernier coin de Paris où battre la semelle, snickers Alexander McQueen aux pieds, il faut d’abord trouver l’intimidante porte de métal noir du Kube. Derrière, posé sur la cour pavée, le… cube de verre qui sert de réception se donne des airs de pyramide du Louvre. Allergiques aux angles droits, s’abstenir. Selon le manager Jérôme Foucaud qui, l’an dernier déjà, nous en avait mis plein les pupilles avec son hôtel Murano (lire aussi Weekend Le Vif / L’Express du 18 mars 2005), qualifié alors de premier  » urban resort  » parisien, ce parti pris architectural consistant à décliner la notion de boîte à l’infini est un  » état d’esprit « . Mieux même, le symbole par excellence de la génération  » Kuber « , cette jeunesse dorée internationale, mordue de design et de technique, davantage attirée par les sensations ludiques que les signes extérieurs tangibles du luxe.

Histoire de donner le ton, la recherche de la chambre, déjà, tient du jeu de piste dans ces couloirs aux murs sombres et lumières noires tout juste éclairés par les chiffres fluorescents qui s’affichent au-dessus des portes. Pour entrer, pas de clé : l’empreinte digitale des occupants, pré-enregistrée à l’arrivée, est le seul sésame nécessaire. Illuminé par en dessous, le lit semble flotter dans la pièce où se marient high-tech et rusticité stylisée : aux fauteuils de bois et rideaux de fourrure synthétique répondent les tabourets fluorescents et les tables de nuit pastel aux allures de glaçons. Les pieds dans des pantoufles poilues que l’on dirait volées à un yéti, on s’installe devant l’ordinateur à usage multiple (écran TV, lecteur CD et DVD, Internet en accès libre…).

Pour les visiteurs d’un soir, pas de lounge proprement dit, mais un accès immédiat à un salon bar de 150 m2 garni de poufs et tables cubiques, de fauteuils velus dans lesquels il fera bon se blottir le soir, la joue posée sur l’un des petits bonshommes mous en tissus fuchsia qui peuplent aussi les 41 chambres à coucher. Au mur, des miroirs noirs et des écrans plasma animés renvoient la lumière bleutée émanant du sol qui sublime l’interminable comptoir en verre dépoli long de 15 mètres. C’est là aussi que se dégustent les combinaisons culinairo-régressives de Pierre Augé : tout se mange avec les doigts, de la sucette au morbier – un fromage de Franche-Comté – en passant par le  » pousse-pousse  » au foie gras ou au chocolat.  » L’idée, ici, c’est de s’inspirer de ces glaces à l’eau que vous poussez en bouche, nous explique Laurent Vilaine, le tout jeune directeur d’exploitation. Mais, cette fois, la nourriture se trouve dans des cubes de plastique spécialement créés pour l’hôtel. C’est rigolo, non ?  » Autant que le ballet continu des curieux qui, à heure donnée, empruntent l’escalier de verre et d’acier pour s’engouffrer dans le bunker de glace installé au premier étage.  » C’est le premier Ice Bar de Paris « , insiste Laurent Vilaine. Il nous invita aussitôt à enfiler des gants et un  » vêtement technique élégant : on ne veut pas vous transformer en pingouins  » qui, en principe, nous permettra de tenir une demi-heure dans ce frigo géant affichant – 5 °C.

Travaillées comme du cristal par le designer Laurent Saksik, les 20 tonnes de glace qui composent le décor changent sans cesse de couleurs. Tour à tour rose, vert, bleu ou jaune, le verre de glace lui aussi excite les pupilles et mord cruellement les lèvres lorsqu’on y pose la bouche pour goûter la vodka pure ou aromatisée du fabricant français Greygoose. Servie,  » in the rocks « , of course…

Sensations fortes

N ordic Light Hotel, Stockholm

Pour une nuit boréale

Avant Londres et Milan, Stockholm pouvait déjà s’enorgueillir de posséder son bar de glace, copie urbaine de celui qu’abrite le célèbre Ice Hotel, reconstruit chaque année, à 100 kilomètres à peine du cercle polaire. Un bout de terre où la lumière, si particulière, a su inspirer Jan Söder et Lars Pihl, les designers du Nordic Light Hotel où se niche l’Ice Bar citadin d’Absolut Vodka. Ici, dans les zones communes, des centaines de sources lumineuses, de couleurs et d’intensités variables, suivent les variations de la lumière du jour naturelle et se modifient automatiquement. On y trouve aussi des  » chambres d’humeur  » dont la couleur change au gré des envies des occupants.  » Le vert nous rafraîchit, le bleu nous relaxe, le rose renforce l’estime de soi et le rouge nous redonne du tonus, détaille Frederik Ottosson, jeune manager chargé de nous faire visiter les lieux. Vous pouvez aussi en modifier l’intensité ou la vitesse de pulsation. Les ados adorent, ils ont l’impression d’être dans une boîte de nuit.  »

Vue de l’extérieur, la façade multicolore laisse la porte ouverte à toutes les spéculations : sous une lumière bleue, quelqu’un se laisse-t-il masser les pieds par l’un des thérapeutes maison qui officie sur simple demande de 13 à 22 heures tous les jours ? Dans cette chambre rouge, un homme d’affaires solitaire a-t-il profité d’un regain d’énergie pour combler son retard de mails en se connectant, gratuitement et directement via la télévision ? A moins qu’un jeune couple ne tente de vérifier si le titre d’  » hôtel le plus sexy du monde  » n’est pas usurpé…

St Martin Lane, à Londres

La couleur selon Starck

Désireux de séduire cette  » jet-set de l’Age de l’Information « , l’Américain Ian Schrager proposa lui aussi de la luminothérapie dans son resort urbain lorsqu’il ouvrit, à Londres, son premier hôtel européen. Pour  » illuminer son humeur « , il suffit d’actionner l’interrupteur qui se trouve à la tête du lit blanc recouvert de draps et de duvets crissant. Difficile dans ces conditions d’en sortir, surtout lorsque la maison propose une vidéothèque de plus de 1 500 titres à ses résidents bien décidés à profiter autant du lieu que de la ville qui l’entoure. Pour attirer ces nomades avides d’humour et d’ironie au St Martins Lane, Scharger s’est offert les services de l’un des de- signers les plus exubérants de notre temps. Philippe Starck, adversaire assumé du  » sur-design  » signe en effet ces chambres simples, pratiques et sereines à la fois où les imposantes fenêtres qui montent du sol au plafond s’ouvrent sur Covent Garden, tel un tableau vivant sans cesse en mouvement. On retrouve encore sur les murs sa passion pour les couleurs vives, le jaune vif en particulier.

East Hotel, à Hambourg

L’arc-en-ciel solaire

Les couleurs explosent dans l’East Hotel, à Hambourg. Installé dans une ancienne fonderie, le lieu signé Jordan Mozer décline toutes les nuances – jaune, orange et rouge vif – d’un arc-en-ciel solaire qui allume les formes arrondies d’un mobilier aux contours futuristes. L’ambition de l’architecte est simple :  » créer des chambres qui rendent heureux  » en nous faisant rêver d’un Orient stylisé dans lequel on peut se donner l’illusion de se perdre le temps d’une nuit. Réputé aussi pour son restaurant qui sert une cuisine asiatique revisitée, que l’on vous invite à partager entre convives en présentant les mets au centre de la table, l’endroit s’est aussi doté d’un sauna et d’un spa accessibles aux non-résidents qui peuvent s’en remettre aux mains des esthéticiennes pour des soins (Java Touch, Zulu, etc..) aux noms délicieusement évocateurs.

Semiramis, à Athènes

Le chaos magnifique de Karim Rashid

A Athènes, Karim Rashid, tournant résolument le dos à la nostalgie-mania qui envahit la création contemporaine, célèbre à sa manière le  » chaos magnifique  » de la capitale grecque. L’homme d’affaires chypriote Dakis Joannou, considéré comme l’un des plus grands collectionneurs d’art contemporain, a convaincu le créateur new-yorkais d’habiller son Semiramis. Une première pour le styliste qui a pris un plaisir évident à éclabousser ce palace futuriste de toutes les nuances de la palette acidulée dont il aime à abuser dans ses autres créations. A grand renfort de Plexiglas multicolore, il fait tour à tour entrer dans le lobby, le bar, le bureau ou la douche, le jaune, le vert, le bleu, le rose ou l’orangé, osant le contraste sensuel de matières aussi diverses que le bois, le cuir, le métal ou la caoutchouc. Dans les chambres, toujours le même souci de rester branché sur le monde : écran plasma, lecteur CD et DVD, téléphone sans fil, Internet à haut débit. Et de laisser le visiteur cocooner en paix en lui proposant en accès libre un choix de films qu’il regardera sur son lit couvert d’oreillers choisis dans le  » menu  » concocté à cet effet. Antithèse du Kube, le Semiramis glorifie la courbe dans les lignes ondulantes des banquettes du lobby qui voisinent avec de petits fauteuils aussi tendres que les marshmallows de l’enfance. Sans oublier l’étonnante piscine ovale que l’on verrait bien en décor du nouveau James Bond.

QT Hotel, à New York

L’auberge espagnole de Time Square

De taille anecdotique, la piscine de l’hôtel QT, à deux pas de Time Square, est pourtant le pôle d’attraction du dernier joujou d’André Balazs, le très mondain promoteur immobilier new-yorkais qui épousera Uma Thurman au printemps prochain. Ici, chacun y trouve en somme ce qu’il y apporte. Au bord de la  » pataugeoire  » chic, deux bars animés par un DJ dont on entendra les mix même sous l’eau, des saunas secs et humides et l’Internet sans fil en accès libre attendent ceux qui veulent sociabiliser. Les autres, après un check-in automatisé dans l’un des kiosques prévus à cet effet – une simple carte de crédit suffit -, feront le plein dans la boutique de DVD, périodiques, snacks et boissons à destination de leur mini-bar, prêts à tenir un siège dans ces chambres minuscules où le lit et ses draps de coton égyptien tiennent sans peine la vedette.

The Hotel, à Lucerne

Le rêve éveillé de Jean Nouvel

 » Dans une chambre d’hôtel, il ne faut pas se sentir  » chez soi « , insiste Jean Nouvel. Elle doit procurer du plaisir, susciter une émotion chez ses habitants fugitifs qui en parleront à d’autres qui à leur tour, peut-être, la visiteront.  » Un précepte que le célèbre architecte français avait sûrement en tête lorsqu’il a construit et aménagé The Hotel, pour Urs Karli, à Lucerne. Au-delà du décor, ce qui compte plus que tout, une fois encore, c’est de faire une expérience unique et d’en être inspiré par la suite. Par un savant jeu de miroirs, Jean Nouvel émousse les barrières entre sol et plafond, intérieur et extérieur, invitant l’hôte à la  » flottaison « . Dans les chambres toutes différentes, les scènes de ses 25 films préférés sont subtilement mises en lumières par le coloriste français Alain Bony. Une mosaïque qui, devinée sur la façade de l’hôtel, donne envie de pousser la porte pour admirer d’un peu plus près ce subtil jeu d’images et de lumières oniriques.

Carnet de voyage en page 88.

Isabelle Willot

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