» Elle est jolie et seule. Elle inspirerait un poète.  » Voilà le type de commentaires qui vous parviennent de la table voisine lorsque vous décidez de dîner au restaurant en tête à tête avec vous-même. La solitude suscite l’interrogation ( » peut-être est-elle mariée ? », poursuivent les deux observateurs), dérange ( » moi, si je suis seul, je ne mange pas « , statue l’un) autant qu’elle fascine ( » elle est courageuse « , affirme l’autre).

Cette solitude tant redoutée que l’on fuit pour éviter un douloureux face-à-face avec soi-même est pourtant, lorsqu’elle est choisie et non pas subie, source de paix et d’intériorité. C’est dans ces retrouvailles intimes avec soi-même que l’on puise son énergie et que peuvent jaillir vérité et créativité. Et même si l’on n’en fait rien, elle est tout simplement bonne à prendre, comme une grâce, un luxe, une parenthèse silencieuse dans un monde agité. L’exercice requiert une certaine discipline. Il ne s’agit pas de refuser le contact avec autrui mais de faire le tri. De savoir dire non aux sollicitations qui n’ont pour objet que de fuir l’ennui. Pour simplement goûter au bonheur d’être seul, à cet ennui salvateur, à ce manque salutaire. Pourquoi la solitude, autrefois l’apanage des sages, est-elle devenue suspecte dans notre société ? C’est la question que pose l’ouvrage  » La Grâce de solitude  » (1). Une  » anomalie  » qui oblige à payer un supplément dans les hôtels ou, pis, à partager sa chambre. Finalement le bonheur n’est-il pas de dormir seul, de profiter en solo d’une belle journée, de s’attarder dans la lecture d’un bon livre ? N’éprouve-t-on pas parfois davantage de solitude au milieu du couple ou du groupe ?  » Je suis presque aussi bien avec toi que lorsque je suis tout seul « , disait l’acteur français Jean Yanne lorsqu’il déclarait sa flamme. Jean Bobin, lui, définit l’état de solitude comme  » désirable « .  » A peine l’ai-je quitté que je pense à lui exactement comme à quelqu’un.  » Certains en font même  » une amie « ,  » une compagne « , à l’instar du chanteur Georges Moustaki. La solitude magnétise, et, comme l’état amoureux, irradie car, si elle est parfaitement assumée, elle traduit un profond respect de soi. Un homme est plus attirant seul que noyé dans un groupe. Et, une fois que l’on s’est débarrassé des convenances, une femme seule aussi, car loin du conformisme qui rend anonyme, elle fait figure d’exception. Bien sûr, il y a des traversées du désert, des moments où cette retraite se fait pesante. Pourtant, ce n’est qu’après ces longues plages de temps passées en solo que l’on peut vraiment revenir vers l’autre, dans un rapport de qualité où celui-ci n’est plus considéré comme un objet qui vient combler un manque mais bel et bien comme un sujet. En amour comme en amitié. Car au cours de cette quête, on a rejoint quelque chose d’incomparable, la rencontre de quelqu’un d’autre que soi. Allez, je vous laisse, j’ai un avion à prendre, en solitaire. Bonnes vacances.

(1)  » La Grâce de solitude « , par Marie de Solemne, Christian Bobin, Jean-Michel Besnier, Jean-Yves Leloup et Théodore Monod, Albin Michel.

Agnès Trémoulet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content