Vu de l’intérieur
Il fait des films pour partager des rêves, des visions, des sensations. Diego Martinez Vignatti, cinéaste de l’indicible, construit une ouvre poétique loin de l’éphémère.
On l’avait vu sur un plateau de tournage, dans une salle de bal schaerbeekoise, c’était il y a deux hivers. Diego Martinez Vignatti filmait La Cantante de tango, son troisième long-métrage. Des couples tanguaient, une jeune femme, très belle et lézardée, se laissait emporter par la danse, à un mètre du sol, comme dans un rêve. Des tentures de velours rouges réchauffaient le décor de briques nues, il y avait dans l’air de la joie, de la beauté, beaucoup d’amour, pas la moindre trace de médiocrité. La pellicule avait tout capté, l’indicible surtout – sa raison d’être cinéaste.
On l’a revu il y a peu, Diego Martinez Vignatti. Même regard si vivant, même barbe de trois jours, même exigence de beauté, de vérité, de liberté, d’intelligence. Il était dans cet entre-deux particulier, un film terminé, présenté dans les plus grands festivals de cinéma, pas encore montré en salle et un autre en devenir, toujours au stade de l’écrit. Soit, dans l’agenda de ce cinéaste » Argentin de Bruxelles « , une paire d’heures avant son départ pour le Japon où La Cantante de tango est au programme du Festival international du film de Tokyo et son envol pour l’Argentine, avec, au menu, repérages de son quatrième long-métrage et puis vacances en famille – Eugenia Ramirez Miori, sa femme, son actrice, et Malena, sa toute petite fille, sont du voyage.
Il a grandi à Bahia Blanca, Argentine. Une ville industrielle » assez moche et anodine » qui l’a vu naître en 1971. Là, dans les salles obscures où un ticket vous donne alors droit à deux films, il découvre Antonioni, Fellini, Howard Hugues, Mad Max, Robocop, les westerns, des » perles » qui occupent la première place dans les étagères imagées de sa mémoire. Immédiatement, irrémédiablement, Diego a la sensation que le cinéma n’est pas qu’un simple divertissement, qu’il y a » quelque chose d’énorme derrière « . Pourtant, il étudiera le droit – » Il était hors de question que je fasse artiste, ce n’était pas sérieux « . Mais à l’université, il se met à » respirer « , » à penser » par lui-même. Il prend sa vie » en main « , quitte l’Amérique, réussit l’examen d’entrée à l’Insas, Belgique, y fait ses classes, de 1997 à 2000, section image.
Très vite, il travaille comme chef opérateur, tourne des pubs, » essaie plein de choses « , et puis monte son premier vrai projet personnel, un documentaire dédié » aux immigrants et à leurs rêves « , Nosotros, un film sensuel et unique sur le tango, les milongas et Buenos Aires. Il y rencontre Eugenia Ramirez Miori – désormais, elle sera dans ses films, dans sa vie. » Dès qu’elle entre dans le cadre, dit-il, tout se remplit de lumière, de bonheur. Elle est parfaite, elle est généreuse avec les comédiens, elle sent la caméra comme personne et c’est un bourreau de travail. Et puis, c’est ma femme, c’est ma partenaire, elle est extraordinairement positive, parfois tellement qu’elle m’énerve. » C’est elle qui lui a appris à danser le tango, qu’elle enseigne désormais à Bruxelles dans son école baptisée Nosotros. C’est elle qu’il filme sans relâche, et par là même, la complexité féminine. A la façon d’un Michelangelo Antonioni. D’ailleurs, il partage le rêve du cinéaste, qui disait que s’il le pouvait, il mettrait une caméra à l’intérieur de ses personnages.
A regarder à nouveau son deuxième long-métrage, La marea, fraîchement sorti en DVD, édité par Twin Pics, on en a la confirmation : Diego Martinez Vignatti filme l’indicible comme personne, sans concession aucune, avec cette intuition magnifique que le cinéma est fait de sensations, de lenteur, de rêves, de poésie et de grande liberté à offrir au spectateur, à vous, à moi. Borges aurait aimé.
Anne-Françoise Moyson
Je fais des films pour partager des rêves.
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