Blouses brodées à la Frida Kahlo, motifs ethniques revisités à la sauce sportswear, cow-girls en cuir façon Santa Fe… Ce printemps, les créateurs adoptent le calendrier maya. Une apocalypse joyeuse et surréaliste.

« Quand j’étais petit, j’imaginais que le Mexique était un pays entièrement peuplé de trafiquants de drogue « , raconte Shaun Samson, créateur de mode né en Californie, non loin de la frontière mexicaine. À cette vision s’est greffée, au fil du temps, une fascination pour son histoire, ses vestiges des cultures aztèque et maya. Aujourd’hui, les vêtements du diplômé de la légendaire école de mode Central Saint Martins à Londres – et lauréat du festival de mode de Trieste – mêlent streetwear et tissages traditionnels.  » Cette culture fait partie de façon intime de l’identité de la Californie, depuis des siècles.  » Les paroles du pape du surréalisme André Breton sont toujours d’actualité : le Mexique  » rompt avec toutes les lois auxquelles nous sommes pliés en Europe « …

Shaun Samson n’est pas le seul styliste à fantasmer sur un Mexique imaginaire, à la fois violent et exotique, coloré et funéraire – un univers onirique à deux pas des États-Unis, qui semble offrir, du moins superficiellement, une échappatoire au blues américain. Des maisons parisiennes, parmi lesquelles Carven, Balmain, Isabel Marant ou encore Paul & Joe, ont redécouvert l’iconographie si typique de ce pays d’Amérique centrale. Voici que s’enchevêtrent des motifs géométriques empruntés à l’architecture aztèque et aux textiles mayas et le motif du crâne, issu du culte des morts, qui a tant fasciné les surréalistes. Sur ces références classiques se superposent parfois des allusions à la réalité, beaucoup moins romantique, notamment dans le sportswear urbain actuel.

2011 aurait dû être l’Année du Mexique en France. Pour des raisons politiques (liées à la condamnation de Florence Cassez à soixante ans de prison au Mexique), les grandes expositions ont été annulées. Cependant, on ne peut pas arrêter la mode quand elle s’emballe. Le phénomène n’est pourtant pas nouveau. Depuis des décennies, le Mexique attire artistes, écrivains, poètes en quête d’un monde préservé du pire de l’Occident moderne. Breton gardera un souvenir émerveillé de sa rencontre avec Frida Kahlo et son mari, Diego Rivera, qui avait charmé la bohème parisienne en 1915, lorsque son meilleur ami s’appelait Modigliani. La scène mexicaine des années 40 est l’une des plus branchées de l’époque. Un mélange d’avant-garde européenne en exil (Luis Buñuel) et d’artistes locaux qui atteindront la gloire mondiale, dont José Clemente Orozco et David Alfaro Siqueiros. Le cinéma n’est pas en reste non plus. Orson Welles, lui, vit une passion tumultueuse avec la star du film noir mexicain, Dolores del Rio. C’est à la frontière, véritable repaire des malfrats, qu’il tourne La Soif du mal (1958). Selon le spécialiste du cinéma noir James Naremore, le Mexique de l’après-guerre apportait un contrepoids à la répression, avec ses divas sulfureuses, le mezcal et la tequila qui coulaient à flots, les trafics louches. Tout le contraire de l’Amérique bien-pensante du baby-boom…

Aujourd’hui, le pays est une plage de rêve pour les starlettes californiennes, Jennifer Aniston, Britney Spears, Kim Kardashian, qui traversent la frontière pour quelques minutes d’exotisme. Quant à la mode, le pays fournit une inspiration récurrente. Dans les années 50 déjà, de tous côtés surgissaient des blouses décolletées d’une blancheur éclatante portées avec des jupes aux motifs de fleurs tropicales, sorties tout droit des toiles de Frida Kahlo (à l’honneur au musée de l’Orangerie, à Paris, en 2013). Mais c’est sûrement Jean Paul Gaultier qui rend le plus fréquemment hommage au pays, en particulier à sa forte tradition catholique et à sa culture du cheval. D’abord en 1998, avec une collection Hommage à Frida Kahlo, puis en 2007, en s’inspirant de la tradition des Vierges au c£ur ensanglanté. En 2010, il pose de vastes sombreros brodés sur des tailleurs d’hommes recréés pour des corps féminins.

Aujourd’hui, cette tendance bat son plein, nous assure Amine Amharech, directeur artistique du concept store parisien pointu l’Éclaireur.  » Quand on pense au retour de l’imprimé navajo comme aux patchworks chatoyants empruntés aux motifs amérindiens chez des créateurs comme Alexander Wang, Isabel Marant, le duo de Proenza Schouler ou Ralph Lauren, force est de constater que la culture mexicaine imprègne de manière intemporelle l’imaginaire des couturiers.  » Même le créateur californien Jeremy Scott en extrait l’humour et la dérision avec ses robes imprimées de cartes postales kitsch ( Welcome to Mexico des fifties), de motifs de temples version oversize et fluo. Sans parler des vestes et des pantalons en cuir, brodés d’or et de franges de Balmain, entre Las Vegas et corrida mexicaine, des chemises et casquettes de guérilleros chics de Paul & Joe…  » C’est tout un pan de savoir et d’appréhension du monde qui se reflète dans ces civilisations. Au-delà de la splendeur historique, le Mexique est aujourd’hui l’évocation d’un territoire riche en couleurs, saveurs et dans lequel l’artisanat occupe une place prépondérante. Tout un art de vivre dont se nourrit la mode.  » Les jeunes créateurs de bijoux aussi se réapproprient ce monde, tant par le côté multicolore pour les bijoux fantaisie chez Venessa Arizaga ou Aamaya by Priyanka, que par l’aspect mortuaire chez Lydia Courteille, ou encore en référence aux trésors mayas chez Aurélie Bidermann.

En fait, l’inspiration Mexique aujourd’hui réunit des tendances disparates mais très présentes depuis quelques années dans la mode : l’artisanat, l’intérêt pour l’ethnique, l’engouement pour les crânes sous toutes leurs formes, des vanités du XVIIe siècle jusqu’à celles de Damien Hirst. Bien entendu, la réalité mexicaine actuelle, d’une violence sans précédent, ainsi que le triste sort de Florence Cassez sont totalement gommés de cet imaginaire de mode. Cependant, selon Alice Litscher, professeur de communication à l’Institut français de la mode, la culture et les croyances traditionnelles mexicaines constituent en premier lieu une voie de secours imaginaire.  » Chez les Occidentaux, on va au ciel, au Mexique, même mort, on continue à exister. Dans notre société dépourvue de repères, en pleine remise en question de soi et du système économique mondial, il est donc peu étonnant que l’on soit séduit par une société ancienne, qui sacralise l’homme par sa seule présence sur terre plutôt que par sa valeur monétaire, fugitive. « 

PAR ALICE PFEIFFER

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