À l’écran, on se croirait dans les steppes du Caucase, en Alsace ou dans la jungle africaine. Pourtant, toutes ces scènes ont été tournées en Wallonie. Une région idéale pour faire du cinéma grâce au travail de Wallimage et des bureaux d’accueil de tournage.

« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort « , a dit un jour un certain Friedrich Nietzsche sans imaginer que son célèbre mantra s’appliquerait parfaitement au cinéma belge francophone.  » Avec une quasi-absence de marché intérieur, nous ne devrions tout simplement pas exister « , reconnaît Philippe Reynaert. Tout juste de retour de Cannes, via Los Angeles tout de même, le patron de Wallimage nous accueille à Mons dans les locaux du fonds d’investissement pour l’audiovisuel, installé depuis douze ans déjà dans une maison de maître située à quelques mètres à peine de la résidence privée d’Elio di Rupo.  » Si dans toute l’Europe, les écrans sont dominés par les (super)productions américaines, le cinéma national arrive généralement en deuxième position, poursuit celui qui aime à se définir comme un cinéphile militant. A Bruxelles et en Wallonie en revanche, c’est le cinéma français qui décroche la palme… Nous étions faits pour mourir et pourtant nous sommes toujours là. C’est très darwinien finalement : si nous n’avons pas disparu, c’est que nous avons développé des mécanismes de survie.  » Mécanismes bien connus dans le métier sous le nom de coproductions. André Delvaux sera l’un des premiers à s’y frotter en 1968 déjà pour monter Un soir, un train avec Yves Montand et Anouk Aimée.  » Peu à peu, cette manière de travailler est devenue la norme, ajoute Philippe Reynaert. Comme nous, les Belges, nous faisons ça depuis plus de quarante ans, nous sommes un peu devenus les champions du monde : nos producteurs ont des capacités d’ensembliers financiers remarquablement bien rodées.  » Et soutenues depuis quelques années maintenant par des leviers d’aide à la création dispensés par nos trois niveaux de pouvoir. Explications.

Comment justifiez-vous qu’en une petite dizaine d’années seulement, la Belgique, et la Wallonie en particulier, soit devenue ce que l’on appelle à Paris un  » hot spot  » de la coproduction ?

Il y a bien sûr toute une série d’incitants financiers qui nous permettent d’attirer aujourd’hui des productions du monde entier. Mais les racines de cet engouement sont bien plus profondes : elles remontent au début des années 60, lorsque, sous l’impulsion d’André Delvaux, s’est ouvert l’Insas (l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle et des techniques de diffusion), à Bruxelles, l’une des premières écoles de cinéma européennes. Comme nous sommes en Belgique, elle se devait d’avoir un pendant  » confessionnel  » qui sera l’IAD (Institut des Arts de Diffusion). Grâce à ces deux établissements, nous en sommes désormais à la quatrième génération de techniciens de haut vol qui travaillent un peu partout en Europe. Christophe Beaucarne, par exemple, le fils de Julos, est l’un des chefs opérateurs les plus demandés du cinéma français.

Le talent c’est une chose, mais en cinéma comme ailleurs, l’argent reste le nerf de la guerre. Et la Wallonie n’a pas la réputation d’être une région très riche…

Nous sommes l’une des rares régions d’Europe à disposer d’un triple mécanisme financier qui nous rend assez imbattables : tout d’abord, les producteurs peuvent solliciter une aide auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles. A ce niveau-là, c’est la valeur culturelle du projet qui sera évaluée. Chez Wallimage, en revanche, nous n’allons pas à apprécier les dossiers en fonction de la beauté du scénario : ce qui nous importe, c’est le nombre de personnes qui vont pouvoir bosser sur le film localement et de manière durable. A choisir entre la production qui engagera 1 000 figurants pendant quelques jours et celle qui fera travailler un studio de montage pendant six mois, nous préfèrerons la deuxième. S’ajoute à cela le fameux tax shelter qui est incontestablement le plus puissant des trois leviers : cette loi permet à des investisseurs privés de soutenir le cinéma en déduisant de leur base imposable une fois et demi ce qu’ils vont mettre dans le film, à condition de dépenser 90 % des fonds en Belgique. En 2012, plus de 180 millions ont été injectés de cette manière dans le cinéma. La contribution de Wallimage, elle, tourne autour des 5,5 millions d’euros par an.

Qu’est-ce qui pousse les producteurs à venir chercher de l’argent en Wallonie où les fonds à disposition restent somme toute modestes ?

Nous voyons débarquer chez nous des grosses productions qui viennent solliciter 150 ou 200 000 euros alors que leur budget tourne autour des 30 millions d’euros. C’est vrai que l’on peut d’abord se demander s’ils ont vraiment besoin de notre aide, mais pour récolter 30 millions, il faut aller gratter partout ! En plus, il n’est pas rare que le producteur commence par introduire son dossier chez nous car nous avons la réputation d’être plutôt des emmerdeurs qui vérifient le moindre détail – fatalement, c’est de l’argent public que l’on dépense ici, alors on fait très attention. Du coup, lorsque nous disons  » oui « , notre adhésion au projet fait l’effet d’un label de qualité qui sert ensuite à convaincre les investisseurs privés.

Cet argent reçu, il faut le dépenser en Wallonie. Vous avez parlé des techniciens. D’autres idées ?

Les comédiens bien sûr ! L’image du film, c’est eux qui la donnent et nous avons la chance d’avoir ici de merveilleux acteurs – Emilie Dequenne, Olivier Gourmet, Cécile de France, Bouli Lanners, Benoît Poelvoorde, François Damiens… le liste est longue – qui ont littéralement infiltré le marché français. Je me souviens des Césars de 2009 où Yolande Moreau et Déborah François sont reparties avec une statuette, ce qui a fait dire à Emmanuelle Béart  » que les meilleures actrices françaises étaient belges « . La seule chose qu’à tort on pensait ne pas pouvoir fournir, c’étaient des lieux de tournage. Il y a eu pendant longtemps cette idée à Paris que la Belgique et la Wallonie en particulier ne pouvaient offrir que des terrils ou des usines désaffectées ! C’est à peine si on ne nous demandait pas si on avait accès à l’électricité ! C’est peu de dire qu’il a fallu faire preuve de volontarisme pour convaincre tous ces gens du contraire.

Comment y êtes-vous arrivés ?

En mettant en place des bureaux d’accueil de tournages (lire par ailleurs). C’est le film Les Destinées sentimentales d’Olivier Assayas qui a été à la base de l’ouverture du premier bureau, dans la province du Hainaut. Il s’agissait d’un film d’époque qui se passait dans le milieu de la faïencerie. Le réalisateur ne trouvait pas d’usine en France qui puisse lui servir de décor. Les faïenceries Boch existaient encore et toute l’équipe est venue tourner à La Louvière. C’est en voyant ce que nous pouvions faire sur ce film que nous avons eu l’idée d’offrir un service de repérage de décors. Aujourd’hui, trois bureaux couvrent les cinq provinces wallonnes sous l’étiquette Cinema Made in Wallonia.

PAR ISABELLE WILLOT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content