Jongler avec les signatures réputées et les créations abordables : tel est le credo de XO, maison d’édition de mobilier contemporain qui a décidé de démocratiser le design. Menée par Gérard Mialet et Jan Couacaud, elle a su imposer la création française sur la scène internationale.

Carnet d’adresses en page 58.

Fêter ses vingt ans en grande pompe chez Artcurial, à Paris, n’est pas donné à tout le monde… XO a eu ce privilège. En décembre dernier, Gérard Mialet et Jan Couacaud, têtes pensantes de la société, y ont orchestré une vente aux enchères exceptionnelle. Au programme, des best-sellers mais aussi des modèles méconnus, des prototypes, des dessins ou des fins de série… Au total, près de 130 lots retraçant l’activité de cette petite maison d’édition de mobilier contemporain. Menée par un duo de choc et de charme û Gérard Mialet, Auvergnat de 46 ans et Jan Couacaud, Mauricien de 39 ans, ensemble à la scène comme à la ville û, cette société 100 % française a su s’imposer sur la scène internationale. Sa particularité ? Une collection composée à 80 % de sièges. Son arme ? Le plastique. Son but ? Démocratiser le design. Résultat : chaque année, lors de l’incontournable Salon international du meuble de Milan, ses produits sont parmi les moins chers du marché (une assise sur quatre vaut moins de 150 euros) alors qu’ils sont, la plupart du temps, signés Philippe Starck. Mais avant d’asseoir une telle réputation et de trouver son rythme de croisière, la maison a connu quelques revers.

Un nom simple, court et graphique

Paris, 1984, année charnière dans l’histoire du design français.  » Intramuros « , premier magazine spécialisé, est lancé par Chantal Hamaide. Neotu, galerie de référence fondée par Pierre Staudenmeyer, s’installe rue du Renard. Et XO est créé ex-nihilo par Gérard Mialet, alors âgé de 26 ans.  » A l’époque, j’étais commercial chez Knoll où je m’ennuyais à mourir, confie-t-il aujourd’hui. J’ai tout plaqué pour monter une maison d’édition de mobilier contemporain digne de ce nom.  » Nom de baptême : XO, soit une croix et un rond. Un nom simple, court et graphique. Dès ses premiers pas, la société s’offre Philippe Starck  » himself  » au poste de directeur artistique. Encore méconnu du grand public, le designer achève ses premiers projets d’architecture intérieure : les appartements de Danièle Mitterrand et le Café Costes.

Des meubles signés à prix abordables

Téméraires, les deux hommes se lancent dans un projet ambitieux : faire découvrir au grand public des génies méconnus tels Bob Wilson, Pierangelo Caramia ou Pedro Miralles. Manque de pot, le succès escompté n’est pas au rendez-vous. Dès lors, une question devient obsessionnelle : comment proposer des meubles signés à des prix abordables ? En quelques années, la réponse est trouvé : en misant sur de jeunes designers et, surtout, en produisant leurs créations en grandes séries. Risqué certes, mais efficace. XO est donc le premier à éditer Patrick Jouin, Christian Ghion ou Christophe Pillet… Autant de noms inconnus au moment où la société les met sur le devant de la scène à Milan mais qui sont très vite sollicités par les grands éditeurs italiens, preuve qu’XO a l’£il. Et ce n’est qu’un début. Avec l’arrivée de Jan Couacaud, tout juste diplômé d’une école de commerce, l’éditeur prend, dès 1995, un nouveau virage, le plus décisif de son existence : l’utilisation du plastique, un matériau miracle.

Le challenge du tandem tient dorénavant en quelques mots :  » Etablir un équilibre entre création formelle, défi technologique et prix attractif, résume Jan. Et quoi de mieux pour ce faire que le plastique ? Ce matériau est peu onéreux mais il faut compter avec une mise de départ conséquente, autour de 400 000 euros, pour fabriquer le moule en acier.  » Une fois la somme investie, c’est tout bénef : il suffit d’y couler le polypropylène et les créations peuvent sortir des usines en série. Les deux hommes confient ce travail à des pros, des équipementiers automobiles et des fabricants d’emballage alimentaire établis en Bourgogne et en Touraine. De leurs chaînes sortent donc, entre une voiture et deux paquets de gâteaux, des sièges signés du plus célèbre des designers français !

Dès lors, les succès s’enchaînent. Premier d’une longue série, le tabouret  » Bubu « . Créé initialement pour les 3 Suisses en 1991, le modèle manque de tomber aux oubliettes au bout de trois saisons. En 1995, XO endosse le rôle de sauveur et rachète le moule. Judicieuse idée. Ce tabouret aux allures de mamelles de vache ou de couronne à l’envers  » séduit les grands par son côté fonctionnel et fascine les petits qui le transforment en coffre à jouets « , décrypte Jan.

Depuis son lancement, les chiffres des ventes sont stables, autour de 25 000 à 30 00 exemplaires chaque année. Décliné dans une quinzaine de coloris, du blanc au gris anthracite en passant par le bleu gauloise,  » il est en train de devenir un classique du design « , s’enthousiasme Jan. Tout ça pour la modique somme de 54 euros ! Une aubaine pour les fauchés qui peuvent ainsi s’offrir un petit bout de Starck comme d’autres s’achètent une paire de lunettes Gucci à défaut de pouvoir se payer la tenue.

Un seul objectif : se faire plaisir

Deux ans plus tard, c’est la  » Cheap Chic  » qui fait parler d’elle. Composée d’un piétement en aluminium et d’une coque en plastique aux coloris pastel très joyeux, cette chaise n’a de cheap que son prix : 129 euros. Dérisoire pour un modèle là encore signé Philippe Starck. Et en 2000 tout s’accélère avec la  » Slick Slick « .  » Un vrai défi technologique, se souviennent, d’une seule voix, Gérard et Jan. C’était la première chaise en polypropylène injecté au gaz, une technique permettant d’obtenir des sections très fines.  » Et empilable de surcroît.  » Il n’y a rien de plus idiot qu’une chaise minutieusement disposée autour d’une table de salle à manger attendant quelqu’un, sourit Gérard. Les ériger en colonne est bien plus intelligent. Il suffit d’en sortir la quantité nécessaire en fonction du nombre de personnes à asseoir.  »

Pour preuve, la tour de  » Slick Slick  » disposée dans un coin de leur vaste appartement du VIIIe arrondissement parisien. Là, dans un camaïeu de gris, les éditions maison ont la part belle. L’amusant tabouret  » Tooth  » voisine avec les élégants fauteuils  » Peninsula  » en cuir blanc et la console en acajou de Christophe Pillet sur laquelle trône le cendrier  » Ray Hollis « , objet fétiche de ces fumeurs invétérés. Le tout ponctué de chaises glanées au gré de leurs périples en Afrique du Sud ou à l’île Maurice. Rien à voir avec le total look ou le minimalisme, donc.  » Une maison est faite pour vivre, insiste Jan. Quoi de mieux que ces profonds canapés d’Antonio Citterio pour faire la sieste ? » Et lorsque la place vient à manquer à Paris, les assises regagnent leur grande maison auvergnate.  » Chez nous la chaise est endémique, explique Gérard. Mais, au bout d’un moment, la  » chaise objet « , ça prend sérieusement de la place !  »

Pari réussi. En plus de meubler leurs résidences, leurs créations ont su séduire un large public. La France entière est conquise, de Monsieur et Madame Tout-le-monde (en 2000, la société a fait un coup d’éclat en vendant près de 8 000  » Bubu  » en 24 heures dans les grandes surfaces Auchan) aux paillettes du Paf (plusieurs émissions assoient leurs invités sur des sièges estampillés XO) en passant par les égéries de la mode (Dior meuble ses dîners privés avec des  » Slick Slick « ). En somme,  » des personnes intelligentes qui reconnaissent la qualité « , se félicite Jan en toute modestie.

Philippe Starck toujours aux commandes

D’autant que le monde entier a succombé. Au total, la société liste plus d’un millier de clients sur les cinq continents (Afrique du Sud, Australie, Etats-Unis, Russie…) et réalise 70 % de son chiffre d’affaires hors de l’Hexagone. Le plastique est décidément un sacré filon :  » Il nous permet d’éditer, en parallèle, des objets atypiques en série limitée tels des haltères ou la brouette de Philippe Starck vendue à 15 exemplaires par an « , ajoute Jan. Car vingt ans après, la superstar du design, fidèle, est toujours aux commandes de la direction artistique et continue de confier l’édition de certaines de ses créations aux  » frenchies « , comme en témoignent les meubles conçus pour des hôtels ou des restaurants aux quatre coins de la planète : le fauteuil  » Peninsula  » à Hongkong (1995), le vase  » Popopo  » à New York (1993) ou le siège  » Bon  » à Paris (2005).  » Des pièces d’images, certes plus coûteuses, mais qui font rêver, explique Jan. Elles font partie de l’histoire du design français et elles nous permettent de nous faire plaisir. Car nous ne sommes pas uniquement des hommes d’affaires ! « … Ils sont bien ces hommes !

Clémence Leboulanger

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