xGrâce à ses habitants, Stone Town, âme et mémoire de Zanzibar, retrouve peu à peu de sa superbe. Se perdre dans les ruelles de la  » ville de pierre  » est un inlassable enchantement.

Zan-zi-bar… trois drôles de syllabes qui, dans l’imaginaire des voyageurs, continuent de résonner comme autant de portes ouvertes sur le paradis. Les trésors de cette île, la plus mythique d’Afrique de l’Est ? On le sait, de longues plages sauvages bordées de cocotiers, des mangroves et des petits chantiers de construction navale où les hommes fabriquent toujours, de leurs propres mains, leurs boutres à l’allure antique.

Toutefois û et on le sait moins û la splendeur passée de Zanzibar, son âme et sa mémoire, réside à Stone Town. Se perdre dans les ruelles de cette vieille ville, c’est s’engouffrer dans une médina arabe parsemée de splendides portes sculptées et de balcons indiens, baignée dans les effluves de clous de girofle et les couleurs des  » khangas « , les saris des femmes africaines. Dans ce labyrinthe surgissent toutes sortes d’images : des fantômes de sultans enturbannés, des groupes d’esclaves enchaînés, les silhouettes de Vasco de Gama ou de David Livingstone. Autant d’épisodes et de personnages célèbres grâce auxquels l’île lointaine a bâti son histoire et ses légendes !

Pour entendre battre le c£ur de cette ville, il faut impérativement réserver sa place, juste avant le coucher du soleil, sur le tapis de la terrasse perchée de l’Emerson & Green, petit palais swahili du quartier de Hurumzi qu’un psychologue new-yorkais a restauré avec art pour le transformer en hôtel de charme. De là, on jouit d’une vue vertigineuse sur le port, où mouillent barques et bateaux de croisière. Les minarets et les clochers d’église pointent leur nez dans la multitude de toits de bric et de broc. Autour de 6 heures s’élèvent des mosquées voisines les voix des muezzins appelant à la prière. Le temple hindou prend ensuite la relève, dans un concert entêtant de cloches et de percussions. Déjà classée par l’Unesco en 1985 comme l’un des 100 sites historiques mondiaux à protéger en priorité, la  » ville de pierre  » – en raison des pierres de corail avec lesquelles on a construit ses maisons û a été inscrite au Patrimoine mondial en 2000, comme  » un exemple exceptionnel de ville marchande swahilie « . Cependant, après 1964, date du départ des Britanniques et des sultans d’Oman, qui régnaient sur l’île depuis la fin du xviie siècle, la cité n’était plus entretenue ni mise en valeur. Grâce à la fondation de l’Aga Khan û le chef spirituel des Ismaéliens y possède une pe-tite communauté de fidèles û Stone Town commence à retrouver peu à peu son éclat. Fortement engagée dans la sauvegarde des villes historiques, la fondation a entrepris, depuis 1996, d’importants travaux de conservation sans aucune aide de l’Etat. Après avoir entièrement rénové l’ancien dispensaire aujourd’hui transformé en centre culturel, elle a réhabilité deux grandes maisons du bord de mer pour en faire un hôtel 4-étoiles de style swahili (le Serena Inn) et vient d’achever la restauration de l’ancien caravansérail situé sur le port, qui accueille désormais des stages de musique, de danse ou qui concernent le patrimoine.  » Nous cherchons à tout prix à sensibiliser la population. L’avenir de Stone Town dépend de ses habitants et de leur engagement. Si rien n’est fait, elle sera désertée, perdra son histoire et, dans la foulée, son inscription au Patrimoine mondial « , s’inquiète Makame Muhajir, responsable de ce programme qui, depuis 1998, a également permis à 17 maisons de la vieille ville d’être remises à neuf. Bientôt, la fondation s’attaquera à un autre grand projet, celui des jardins de Forodhani sur le front de mer, rendez-vous nocturne et populaire des habitants de la vieille ville. Dès le coucher du soleil et la dernière prière à la mosquée, les hommes (et quelques femmes) viennent y manger une brochette de cigale de mer et boire un jus de sucre de canne au gingembre à l’un des nombreux stands. Non loin, des jeunes (pseudo) Masai vendent leurs bracelets en perles, quelques peintres étalent par terre leurs tableaux bigarrés.  » Stone Town pos-sède un mélange à part. Nous ne sommes pas indiens, africains ou arabes, nous sommes zanzibarites, soit la fusion de toutes ces cultures « , s’enflamme l’artiste John Da Silva, un Indien de Goa, qui vit depuis quarante-sept ans à Zanzibar.

A force de dessiner les rues de Stone Town, l’homme est devenu le garant de sa mémoire. Il fait partie des rares anciens à se rappeler la couleur originelle des maisons, ce bleu très pâle qui commence juste à réapparaître au gré des restaurations. De ces fameuses portes en bois sculpté qui ornent presque chaque bâtisse, il connaît tous les secrets.  » L’histoire de Zanzibar et de ses habitants s’y trouve écrite, explique-t-il. La porte était jadis l’étape n°1 dans la construction d’une demeure ; on la posait avant même la première pierre. Plus la famille était fortunée, plus elle devait être ornée.  » Un pur signe extérieur de richesse, donc. Pas étonnant que les touristes, dans le quartier de Shangani, ouvrent des yeux admiratifs face à la grande porte de la maison de Tuippu Tip, l’une des figures de Zanzibar. Fouad, un petit homme souriant, qui a hérité cette demeure de sa famille omanaise, a fait de la vie de ce grand marchand son gagne-pain. Il propose, à qui veut, de déambuler dans ses grandes pièces vides, où, raconte-t-il avec ferveur, l’homme continua à se livrer au commerce d’esclaves bien après son abolition.

De même que pour la construction des bateaux, Zanzibar n’a pas perdu le fil de ce savoir-faire artisanal qui se transmet toujours dans la dizaine d’ateliers d’ébénisterie de l’île. A 12 kilomètres de Stone Town, le village de Kidimni en héberge un qui compte parmi les plus performants. Les jeunes artisans fabriquent des portes en mélangeant sans complexe les styles arabe et indien. Dans les arrière-boutiques des antiquaires de Stone Town, derrière les étalages de bijoux indiens et de porcelaines chinoises, il n’est pas rare de débusquer quelques modèles anciens patinés par le temps. Mise à prix : 1 500 dollars (quelque 1 250 euros) pour une porte de 140 ans, 950 dollars (quelque 790 euros) pour une de 65 ans…  » Toutes proviennent de maisons détruites dans la campagne « , assure Issa Tamin, marchand du quartier de Hurumzi, qui vient d’en livrer une à Barcelone et une autre à Johannesburg.

Même si ce petit commerce persiste, les Zanzibarites se sentent de plus en plus concernés par leur histoire et souhaitent davantage protéger leurs trésors. Pour preuve, le photographe Javed Jafferjee a relevé le défi, il y a treize ans, de créer, à Stone Town même, une maison d’édition spécialisée dans la culture et l’histoire de Zanzibar. Aujourd’hui, il propose 45 titres, dont plusieurs sont traduits en quatre langues. De la biographie du marchand Tippu Tip au témoignage de la princesse Salem, fille d’un sultan et d’une concubine, ses livres conservent l’histoire de l’île en même temps qu’ils véhiculent dans le monde entier ses mythes et ses légendes. D’autant que tous sont vendus dans la Zanzibar Gallery, rue Kenyatta, qui n’est autre que la maison où avait l’habitude de séjourner Farouk Bulsara, alias Freddie Mercury. Le chanteur britannique de Queen est, effectivement, né à Zanzibar et y a passé son enfance.  » S’il est retourné quelquefois à Stone Town alors qu’il étudiait en Inde, précise Javed Jafferjee, il n’était cependant pas très connu ici . » Du moins, avant qu’il meure et qu’il ne devienne, à son tour, une légende… Depuis, les guides touristiques ne manquent pas de citer le chanteur dans la liste des célébrités locales. Un restaurant baptisé Mercury’s a même été ouvert, il y a cinq ans, au bord de la mer par un jeune Zanzibarite fan de Queen qui y organise des soirées-concerts et vend des tee-shirts à l’effigie de la star. Cependant, on vient au Mercury’s avant tout pour sa terrasse sur pilotis et son point de vue imprenable sur la plage immaculée, les pêcheurs reprisant leur filet parmi les bandes d’enfants rieurs et l’arrivée des boutres, toutes voiles gonflées vers Zanzibar… Inlassable et merveilleux spectacle.

Marion Vignal

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