Lisette Lombé

Et si tout commençait en étant simplement nous-mêmes ?

Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.

2024. Je note la date pour apprivoiser ce nouveau chiffre 4. Probablement écrirai-je encore un 3 sur certains documents dans les jours qui viennent. Entrer dans une nouvelle année, c’est comme entrer dans une nouvelle maison. On est là, sur le seuil, avec dans le dos un vaste paysage connu et, à l’intérieur, des volumes inédits à habiter.

Aujourd’hui, il neige. Froid piquant, blancheur, saison qui reprend sa vraie couleur. Ne pas penser aux complications de circulation et tenter de conserver un regard à hauteur d’enfant. Beauté à portée de main. Poursuivre dans l’esprit du Nouvel An. Sans obligations, sans stress, sans cadeaux à côté de la plaque, sans prises de bec, sans chichis. Célébration de la vie, du vivant, des vivant.e.s. Ode aux amitiés qui se consolident dans l’écoute mutuelle, aux corps fatigués qui se respectent en dansant à leur rythme, aux mets simples, aux bulles de joie et aux nourritures poétiques. 

Une amie, intéressée par la numérologie, m’apprend que le chiffre 4 renvoie à la stabilité, aux constructions, aux réalisations. Je pense aux quatre points cardinaux et à la chaleur du sud, aux quatre éléments et à l’eau qui m’apaise tant depuis deux ans, aux quatre mousquetaires et à la littérature au chevet de tous les âges. Mon amie est aussi branchée interprétation des rêves. La nuit dernière, j’ai loupé un train, j’ai perdu des bagages, j’ai couru à travers des terrains de tennis pour parvenir à la gare avant ce train. Que dois-je entendre ? Quelle peur, quelle angoisse, quel présage, quel message ? Je souris. Une autre amie disait : « Qu’est-ce qui est mieux ? Croire aux signes ou ne pas y croire, quand ces signes te font du bien ? » 

Je suis allée marcher à Banneux. Je voulais trouver un courage pour un proche malade, invoquer les forces invisibles de la guérison. J’ai guetté le rayon de soleil qui m’aurait dit que tout allait s’arranger. J’ai repensé à la poésie irriguée d’images et de symboles de Christian Bobin. La vie, la mort, le passage, les petites joies du quotidien, les devoirs et les envies, les urgences et l’accessoire, le mystère et l’espérance, les certitudes et les heureux hasards qui chamboulent les habitudes et les pronostics.

J’ai vu le lieu de recueillement construit par la communauté congolaise. J’ai vu un homme qui trempait des boules de pétanque dans la source, pour mettre toutes les chances de son côté dans les futurs tournois. J’ai vu, sur des panneaux, des verbes traduits en différentes langues et cela m’a rappelé que je n’avais pas respecté la première de mes bonnes résolutions : me remettre activement au néerlandais, pour honorer la mandature de Poétesse nationale. 

J’entre dans cette année 2024 en marchant calmement, en écoutant la sonate des graviers mouillés et en ayant conscience de la chance inouïe de pouvoir contempler un ciel non défiguré par des tirs de roquettes. Je pense aux personnes pour qui l’horizon de cette nouvelle année est déjà plombé, pour qui la grisaille est miroir des cœurs, pour qui la blancheur de la neige n’est d’aucun réconfort, ni le solstice derrière nous, ni le printemps devant nous, ni le pouvoir réconfortant des arts. Et je pense aux personnes dont les batteries sont rechargées, les optimistes, les manches déjà relevées sur les avant-bras, celles qui débordent d’énergie à ne plus savoir qu’en faire, les fécondes, les actives, les joviales, les amoureuses, les utopistes. Toujours cet équilibre subtil des forces. Toujours une possibilité de s’asseoir ou d’avancer. Toujours.

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