Anne-Françoise Moyson

Fashion nostalgia

Quand la vie ne ressemble pas à un long fleuve tranquille ni à un grand champ de blés colonisés par les coquelicots et les bleuets sauvages, quand il y a de la dystopie dans l’air, le réflexe de survie propre à l’humain est de se vautrer dans la nostalgie, ce n’est pas une critique, c’est un constat qui vous dessille quand on regarde la mode et ses propositions de saison.

Car oui, elle lorgne vers la fin du siècle passé, avant le grand tournant de l’an 2000, le curseur arrêté sur les années 80 et 90. Contrairement à Paco Rabanne, qui a rejoint le paradis des créateurs de mode le 3 février dernier – à moins qu’il ne se soit déjà réincarné –, et qui, tout en ferraillant avec sa robe de 18 kilos portée par Françoise Hardy pouvait se permettre de rêver d’un futur cyber joyeux. Ce n’est plus franchement le cas aujourd’hui.

Alors pour faire entrer sa garde-robe dans le printemps, en hommage à Kurt Cobain (1967-1994), la tendance grunge prône la chemise de bûcheron et le pantalon cargo d’inspiration très militaire, le truc utilitaire qui peut tout affronter et permet accessoirement de se la péter survivaliste.

1997: année décisive qui dessina l’échiquier de la mode tel qu’on le connaît aujourd’hui
et fait dès lors office de charnière vers un nouveau millénaire.

Cependant il est un autre intérêt à regarder dans le rétroviseur: revisiter le passé permet de comprendre d’où on vient, à défaut de savoir où on va. Voilà pourquoi, en une expo flash-back, le Palais Galliera, le musée de la mode de la Ville de Paris, analyse en profondeur l’année 1997 sous-titrée Fashion big bang. Car cette année-là fut décisive: elle dessina l’échiquier de la mode tel qu’on le connaît aujourd’hui et fait dès lors office de charnière vers un nouveau millénaire.

Son impact est tel qu’elle pourrait être considérée comme «le lancement de la mode du XXIe siècle». Déjà, on y croise tout et son contraire, c’est le propre de la mode. A Milan, Tom Ford, alors directeur artistique de Gucci, siglait son G-String et marquait le début de l’hédonisme et de la décomplexion totale de la lingerie ficelle qu’il est sérieux d’exposer de manière ostentatoire.

Tandis qu’à Paris, le Belge Martin Margiela avait présenté sa collection fondée sur le buste de mannequin d’atelier Stockman, «touchant ainsi à l’essentiel de la création en mettant en lumière les étapes qui, d’ordinaire, sont cachées au public». Concomitamment, un tout jeune homme à l’allure christique créait sa première collection, à son nom ; Olivier Theyskens, sorti de La Cambre Mode(s) avant la fin de son cursus, œuvrait ainsi à magnifier son romantisme noir inspiré de la mode de la fin du XIXe siècle.

Enfin, la Japonaise Rei Kawakubo pour Comme des Garçons offrait au regard et à la réflexion ses corps déformés dans Body Meets Dress, Dress Meets Body, questionnant la vision occidentale du vêtement et des canons féminins de la beauté, préliminaires hautement conceptuels au body positivisme, à l’inclusivité et au néo-féminisme qui font vibrer l’époque actuelle. «Je maintiens, dira-t-elle, que de voir des vêtements expérimentaux constitue pour chacun une sorte de libération mentale.» C’était révolutionnaire. Et ça l’est toujours.

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