Les sports d’hiver, stop ou encore? Deux journalistes, deux avis
Rendez-vous annuel incontournable pour les uns, plaisir réservé aux privilégiés pour les autres, voire même, danger pour la planète: les sports d’hiver n’ont jamais autant fait débat.
Et ces discussions s’infiltrent jusqu’au sein de la rédaction, dont certains membres répondent avec joie à l’appel des montagnes, tandis que d’autres, pourtant longtemps inconditionnels des sports d’hiver, se la jouent désormais étoile déneige. Alors, les joies de la glisse, stop ou encore? Deux de nos journalistes confrontent leur avis sur la question.
Sports d’hiver forever: « Le bénéfice de ces vacances est tel que le jeu en vaut (encore) la chandelle »
Amélie Micoud part aux sports d’hiver depuis qu’elle est petite. Pour elle, cette tradition annuelle est (presque) incontournable, même si ces dernières années, le budget n’a eu de cesse de grimper.
« Comme un fait exprès, mon fil Insta est actuellement plus ponctué que jamais de posts parlant du ski comme d’un truc de nantis. Pile après mes vacances en famille, début janvier, dans les Alpes. Histoire de bien me rappeler – au cas où je n’étais pas au courant – que je fais partie de ces privilégiés pour qui la météo des neiges est un problème de riche.
J’ai vécu la majeure partie de mon enfance dans une banlieue parisienne populaire, et j’ai pris conscience très tôt que j’avais beaucoup de chance de partir skier alors que mes copines n’avaient jamais vu le bout d’une montagne. Dans mon collège, on devait être deux ou trois à tout casser à revenir des vacances d’hiver avec les marques des lunettes de ski. Je ne découvre donc pas qu’il s’agit d’un privilège.
Pourtant, nous faisions partie, en tout cas à l’époque, de la classe moyenne. Ni riche ni pauvre, mais privilégiés, ça, certainement. Mes deux parents sacrifiaient – je le suppose aujourd’hui – une partie du budget familial pour nous offrir ce séjour au ski qu’avec mes frères on attendait toute l’année. Il faut dire que je suis née en Isère, que j’ai vécu à Lyon à l’âge adulte et que ma famille paternelle vit au pied du Vercors, tout près de ces montagnes que j’aime tant. Sans doute que cela joue dans ce besoin de flirter régulièrement avec elles, skis aux pieds.
Mon père, pourtant né à Briançon dans les Hautes-Alpes, n’a goûté aux joies du ski qu’après avoir rencontré ma mère (et gagné correctement sa croûte). Originaire d’une famille ultra modeste, il était ce qu’on appelle aujourd’hui un transfuge de classe. Cet exemple paternel m’a également appris qu’on ne va pas forcément skier le dimanche parce qu’on vit non loin des sommets.
« Je crois que ce sont véritablement les seules vacances où j’oublie tout »
Quant à moi, en dehors d’invitations (beaux)parentales – merci papa merci (belle)maman – je ne suis pas allée skier pendant de longues années, pour plusieurs raisons. La financière étant évidemment la raison principale de ce boudage des pistes. Après le Covid, j’ai ressenti plus que jamais le besoin de prendre l’air montagnard. Nous avons donc profité du décalage des vacances de Noël d’alors (jusqu’à cette année) des Belges vs des Français, pour partir hors-saison, ce qui nous a permis quelques jolies économies.
Car je dois composer aujourd’hui avec deux éléments non négligeables: mes enfants. Et lorsque je fais le calcul, j’ai des sueurs froides: location du matériel, forfaits, cours de ski… J’ai conscience qu’une bonne partie de notre budget vacances s’envole dans cette toujours trop courte semaine hivernale. Alors on essaie de limiter la casse: on part dans une station familiale toute simple, on a un plan d’hébergement à prix raisonnable, on mange des sandwichs sur les pistes à midi…
Je ne suis pas sûre qu’on pourra se permettre ce luxe tous les ans. Et puis il y a aussi cette foutue éco-anxiété qu’on se prend, il faut bien l’admettre, comme une boule de neige dans la figure. Les sports d’hiver ont un impact écologique non négligeable, d’une part, et de l’autre, on ne peut que constater d’année en année que le réchauffement climatique est en marche, comme dirait l’autre. Dans quelles conditions pourra-t-on skier quand nos enfants seront grands et à quel prix?
Malgré toutes ces questions nécessaires, qui se posent d’ailleurs dans nombre de nos loisirs – cela ne se limite pas aux sports d’hiver – malgré toutes ces questions donc, je ne suis sûre que d’une chose: le bénéfice de ces vacances, pour moi, est tel que le jeu en vaut (encore) la chandelle. Je reviens détendue, reboostée, en pleine forme. Je crois que ce sont véritablement les seules vacances où j’oublie tout: l’actu anxiogène, le boulot, le stress du quotidien. Pendant sept jours, mes préoccupations sont en effet des PDR (problèmes de riches): quel temps il va faire, quelles pistes sont ouvertes, ce qu’on va manger ce soir. A ce plaisir égoïste s’ajoute, bien sûr, celui d’offrir à mes enfants ce que mes parents m’ont offert.
Oui, ça nous coûte une petite fortune (même si on ne skie pas à Megève). Oui, on doit ensuite revoir nos ambitions de voyage à la baisse au moins jusqu’à l’été, mais la balance bénéfices-risques penche tellement en faveur des bénéfices que, tant qu’on peut à peu près se le permettre, on se le permet. Et pourtant… Tous les parents du monde qui vont skier en famille savent que les sports d’hiver avec des enfants, c’est tout sauf une sinécure. Mais ça, c’est un autre sujet… »
Étoile déneige: « J’aime toujours autant le snowboard, mais le coût financier et climatique des sports d’hiver est une dégelée »
Kathleen Wuyard a eu la chance de découvrir les joies de la neige enfant, et de partir parfois plusieurs fois par an s’adonner à sa passion pour le snowboard. Jusqu’à ce que la hausse effrénée du budget des sports d’hiver, et la prise de conscience de leur coût pour la planète, lui fassent passer l’envie de la glisse.
« Si on m’avait dit que je me rangerais un jour dans la vallée des « anti » sports d’hiver, je ne l’aurais pas cru. D’ailleurs, ce positionnement semble bien trop catégorique pour coller à mon ressenti, mais le fait est qu’à l’heure d’écrire ces lignes, cela fait quatre ans que je n’ai plus goûté à l’ivresse des sommets. Moi qui n’aimais pourtant rien tant que dévaler les pistes sur ma planche, jusqu’à économiser pour partir à la montagne plusieurs fois par hiver ! Moi, la mordue de glisse, qui, à la généreuse proposition de mes parents de m’offrir des cours de conduite pour mes 18 ans, ai répliqué que je préférais plutôt un snowboard !
Comment ai-je pu ainsi tourner le dos aux massifs enneigés et au domaine d’Avoriaz, où sont pourtant certains de mes plus beaux souvenirs d’enfance et d’adolescence ? On dit qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, certes, mais balayer des années de pratique et de perfectionnement d’une discipline qui, malheureusement, contrairement au vélo, a tôt fait de s’oublier si on ne la pratique pas, c’est un peu bête, non ?
J’en conviens. Mais ce qui est surtout stupide, ridicule même, et qui justifie pourquoi je définirais mon statut relationnel actuel avec les sports d’hiver comme « compliqué », c’est la hausse vertigineuse du budget nécessaire pour s’y adonner. Allons allons, pauvre petite fille riche, papa et maman ne sont plus là pour payer l’addition alors on rechigne à voir son compte en banque fondre ? Disons qu’il s’agit plutôt d’une avalanche, et que tant sur les pistes que lorsqu’elles sont métaphoriques, je préfère m’en tenir loin. Et ne jamais avoir à vérifier si, en faisant pipi quand on est prisonnier de la neige, on arrive bien à trouver dans quel sens creuser, et donc, se libérer. D’autant que je pense qu’une telle pratique serait très mal vue par mon banquier.
Bien sûr, les sports d’hiver ont toujours été un loisir de privilégiés. Mais jusqu’à il y a peu encore, le curseur du privilège était relatif, et on pouvait tout autant partir à Courchevel qu’opter pour une station de basse altitude, moins cossue, certes, mais aussi moins chère et pourtant tout aussi charmante. C’était toutefois avant que le réchauffement climatique ne condamne virtuellement ces stations, désormais dépourvues de neige, tandis que les autres semblent plus que jamais les regarder de haut. Du haut de leur manteau de neige (artificielle, qui ne fait qu’empirer la situation), mais aussi de leurs tarifs toujours plus exorbitants. La dernière fois que je suis allée faire du snowboard à Avoriaz, je me suis ainsi retrouvée à partager les pistes avec des skieurs venus de (très) loin, vêtus de coûteuses tenues de couturier et parlant des langues inintelligibles plutôt que de l’habituel refrain d’accents français, hollandais et belges.
Plus de 200 euros pour le forfait, près de 1.000 euros le logement qui n’a d’appartement que le nom et tient en réalité plus du placard à la vague odeur de chaussettes mouillées, auxquels il faut ajouter l’essence pour y aller, le coût prohibitif de la nourriture en station, même si on choisit de ne s’approvisionner qu’au supermarché, et puis la location de matériel pour ceux qui (suivez mon regard, il vise mon mari) n’ont pas comme moi la chance de le posséder… Quelques zéros par-ci, une poignée en plus par-là et il faut se rendre à l’évidence : une semaine à deux aux sports d’hiver coûte désormais peu ou prou le prix d’une petite voiture d’occasion.
Et si, à 18 ans, le calcul entre permis de conduire et snowboard me semblait évident, adulte, le résultat est différent. J’aime toujours autant la montagne, et je pense qu’aucune sensation n’égalera jamais le plaisir de dévaler une piste fraîchement enneigée ou bien de réaliser le grab parfait au snowpark. Mais cette joie est quelque peu gâchée par le rappel que le pouvoir d’achat fond comme neige au soleil, et dieu sait que cette dernière fond avec le réchauffement de ces dernières années… J’adorerai toujours autant les sports d’hiver, mais comme d’autre plaisir de mon adolescence que la décence m’interdit de consigner à l’écrit, cet amour est désormais nostalgique et désincarné plutôt que ravivé par une pratique régulière. Loin des yeux, mais jamais loin du cœur, la montagne me gagne sans toutefois l’emporter sur la raison, qui veut que je laisse ce loisir coûteux et détrimentaire pour l’environnement à d’autres. Enfin, je dis ça, mais papa et maman, si vous me lisez et que vous voulez m’inviter à Avoriaz, on peut discuter… »
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