Nicolas Balmet

Chronique | L’écriture italique a été inventée pour réduire la taille des livres

Nicolas Balmet Journaliste

Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.

Réduire la taille des livres ? Je vous vois venir depuis Pluton : « C’est sûrement pour satisfaire nos feignasses d’adolescents, qui ne savent même plus écrire « salut » en entier dans leurs satanés SMS et qui préfèrent s’abrutir devant Netflix plutôt que de s’instruire avec un bon Balzac ! Et tu penses qu’ils débarrasseraient la table, avec ça ? Ou qu’ils nous adresseraient la parole pour nous demander autre chose que leur argent de poche ? Moi je te le dis : le futur, avec ceux-là, c’est pas gagné ! »

C’est bon, vous avez fini ? Maintenant, vous respirez un grand coup, vous vous calmez, et vous m’écoutez deux minutes, merci, c’est bien aimable.

Je disais donc : réduire la taille des livres ? L’idée peut évidemment paraître étrange, mais il faut la replacer dans son contexte. A savoir le début du XVIe siècle, époque à laquelle un imprimeur originaire de Venise, alias Aldo Manuzio, imagine cette écriture penchée qui, certes, semble être le fruit d’une nuit d’ivresse, mais que nenni. L’imprimerie vient alors d’être inventée par ce bon vieux Gutenberg, et les lettres ont une forme large et arrondie qui se rapproche de la graphie manuscrite germanique (petit rappel : Gutenberg est Allemand) mais qui perturbe un peu le reste de l’Europe. Traduction : Aldo Manuzio souhaite rendre l’écriture plus esthétique… tout en gagnant de la place.

En 1501, le constat du Vénitien est sans appel : en affinant et en inclinant légèrement ce nouvel alphabet vers la droite, il devient possible d’imprimer davantage de mots sur une même page et, donc, d’économiser du papier. Malin comme tout. Et particulièrement attrayant pour les ouvrages de poésie, puisque ce style plus étroit permet de ne plus devoir couper les vers. Ça tombe bien : Pierre de Ronsard et Joachim du Bellay ne vont plus tarder à naître, et vont bientôt pouvoir façonner des odes merveilleuses tout en offrant à leurs lettres une formidable liberté de pencher – si vous souhaitez que j’arrête les jeux de mots, tapez 1 (mais ça ne changera rien).

Lorsque ce style incliné débarque dans nos contrées, les imprimeurs français se mettent d’accord pour rendre à l’Italie ce qui lui appartient et la baptisent sobrement « italique ». Ce ne sera pas une exception dans la longue histoire de l’écriture. Bien plus tard, au cours d’un XXe siècle qui s’amusera créer des polices par dizaines, l’Helvetica naîtra en Suisse, tandis que l’American Typewriter… je vous laisse deviner (en sachant que Typewriter n’est pas un pays). Mais je vous connais un peu, chers lecteurs. Et là, vous êtes sûrement en train de vous dire : « C’est bien joli tout ça, mais moi, ce qui m’intéresse, c’est l’histoire du Times New Roman ! »

Et je vais vous répondre que ça tombe bien, parce que votre curiosité va me permettre de poursuivre cette chronique avec la plus grande cohérence. En effet, il faut savoir que le police Times New Roman, comme son nom l’indique un peu, a été créé par le journal britannique The Times. On est alors au début des années 30, à l’époque de la Grande Dépression, et l’encre comme le papier voient leur coût augmenter. Le typographe Stanley Morison imagine alors une police chargée de remplacer le Times OLD Roman. S’inspirant de deux polices à empattements déjà existantes (Perpetua et Plantin), l’homme donne naissance à un Times New Roman qui se montre moins gourmand en encre et permet de gagner de l’espace dans les colonnes du quotidien… Ça ne vous rappelle pas une histoire qui s’est déroulée en Italie quelques siècles plus tôt, par hasard ?

Vous connaissez la suite : le Times New Roman va devenir la plus célèbre des polices, au point que même Scotland Yard peut aller se rhabiller (je vous avais dit que je n’arrêterais pas). Une bonne partie du globe se l’approprie : des marques comme Vogue, Lanvin ou Tiffany & Co l’utilisent même pour créer leur logo, tandis qu’une griffe française de vêtements décide carrément de s’appeler Times New Roman. C’est ce qu’on appelle un succès fou. Le même succès que connaîtra d’ailleurs le fameux Comic Sans MS dès les années 90 et qui doit son nom à un typographe américain qui était fan de… comics. Comme quoi, le monde n’est pas forcément aussi complexe qu’il en a l’air. L’histoire ne dit pas, par contre, si l’inventeur de la typo Trebuchet s’est fait mal ou non.

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