Pourquoi je fais congeler mes ovocytes alors que je ne veux pas d’enfants

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Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Dans notre société toujours plus clivée, il reste peu de place au doute. Pourtant, quand celui-ci touche à la parentalité, une hésitation prolongée peut forcer le choix si la fertilité ne suit pas. Ainsi, toujours plus de femmes, et j’en fais partie, s’offrent la possibilité de remettre la question des enfants à plus tard en faisant congeler leurs ovocytes.

Selon les experts, chacun d’entre nous prendrait chaque jour jusqu’à 35 000 décisions, de la plus triviale aux plus importantes, comme celle d’avoir ou non des enfants. Curieusement, mon choix en la matière a été sujet de questionnement pour mon entourage bien avant que je ne m’en préoccupe vraiment. Et en guise de questions, j’ai plutôt eu droit à un interrogatoire, les «alors, c’est pour quand» et autres «quand est-ce que tu t’y mets» étant entremêlés d’injonctions («c’est ton tour maintenant») et de mises en garde («attention à ne pas trop attendre»). Avant même que mon copain (aujourd’hui mon mari) et moi n’abordions sérieusement le sujet, et alors que j’étais toujours au mitan de la vingtaine, la décision était déjà prise pour moi, la question n’étant pas de savoir «si» on aurait des enfants mais bien «quand».

Sauf que huit ans plus tard, la réponse est toujours «pas maintenant», voire même, peut-être jamais – une décision que prennent toujours plus de mes pairs, contraints comme moi de défendre publiquement ce choix pourtant extrêmement privé.

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Non, le fait de ne pas vouloir d’enfants ne veut pas dire qu’on ne «les aime pas», ainsi que je dois le répéter ad nauseam à la police parentale. Cette explication, simpliste au possible, est par trop réductrice.

La vérité est qu’il y a autant de raisons de ne pas avoir d’enfants que de personnes qui n’en ont pas, et le simple fait de les questionner est aussi impoli qu’insensible. Il ne viendrait en effet à l’idée de personne de demander à un homme chauve pourquoi il n’a pas de cheveux, mais il est parfaitement admis de s’enquérir des raisons pour lesquelles un couple n’a pas d’enfants, sans penser au fait que cette absence cache peut-être un manque et l’impossibilité de procréer. D’aucuns, pourtant parfaitement capables biologiquement de se reproduire, invoquent l’état de la planète, qu’il s’agisse de la préserver en évitant de la peupler plus encore, ou au contraire, d’éviter à une progéniture putative de devoir vivre dans un monde à la dérive. Environnement, psyché, argent, liberté: les raisons ne manquent pas, même si, généralement, le choix vient plutôt des tripes avant d’être vraiment réfléchi – on n’a pas d’enfants parce qu’on n’a pas envie d’en avoir, point.

« Il y a autant de raisons de ne pas avoir d’enfants que de personnes qui n’en ont pas,
et le simple fait de les questionner est aussi impoli qu’insensible »

Libérés, délivrés

C’est en tout cas la raison qui fait qu’à l’heure d’écrire ces lignes, mon mari et moi sommes les heureux «parents» d’un chien et d’un chat, sans aucune envie d’élargir la famille avec l’un ou l’autre bébé biologique. Poussés à justifier ce choix, ce qui arrive malheureusement régulièrement, on peut l’argumenter d’un faisceau de raisons, mais le fait est qu’on ne ressent tout simplement ni l’un ni l’autre aucun désir d’enfant.

La compagnie de notre filleule, un bambin curieux et solaire, nous réjouit. Mais on est tout aussi ravis de la rendre à ses parents et de retourner dans notre havre exempt de cris et de caprices après chaque moment passé en sa compagnie. Je ne ressens pas plus d’envie de gazouiller aux bébés que je croise que d’intérêt pour les grossesses des femmes enceintes de mon entourage, et quand je passe le moindre moment avec des enfants, le seul sentiment qui m’étreint est un immense soulagement.

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Bien sûr, je peux trouver ces humains miniatures drôles, attendrissants ou intelligents (voire aussi bien élevés que des macaques enragés, tout dépend des enfants) mais plus que tout, leur présence ne fait que confirmer ma décision de ne pas en avoir. Le soulagement qui m’étreint est semblable à celui qu’on ressent quand on évite un accident de justesse.

Non pas parce que je considère la procréation comme un coup du sort, mais plutôt parce qu’avoir des enfants me semble être un chamboulement si complet de tout ce qui fait que j’aime la vie que je vis, que chaque réalisation que je n’en ai pas et que je ne suis pas obligée d’en avoir est une délivrance. J’ai le privilège de pouvoir décider d’entreprendre la moindre aventure au débotté, de me consacrer pleinement à une carrière dont je rêve depuis que je suis toute petite et de m’adonner sans limites à ma passion dévorante pour la lecture.

Mes moments avec les gens que j’aime, qu’il s’agisse d’une conversation à bâtons rompus ou d’un repas qui s’étire délicieusement, ne sont interrompus par aucune petite voix réclamant sa maman. Je suis… libre, de mon temps, de mes mouvements, mais aussi, de manière plus pragmatique, de disposer comme je l’entends de mon argent, et je ne suis pas prête à renoncer à cette liberté. Mais.

La liberté de choisir

Dans une société toujours plus manichéenne, où le moindre désaccord tourne à la foire d’empoigne sans laisser aucune place à la nuance, j’aimerais être aussi certaine de mes opinions que le commentateur rageux lambda sur les réseaux sociaux.

Et jusqu’à un certain point, je le suis: je suis certaine de ne pas vouloir d’enfant à l’heure de rédiger cet article, tout comme je n’en voulais pas il y a un, deux ou cinq ans. Quand j’aborde le sujet avec mon mari, ou qu’on se laisse aller à rêver à ce à quoi ressembleront les prochaines années, on parle d’objectifs à accomplir, de destinations à découvrir ou d’animaux à recueillir, mais il n’y a aucun bébé dans nos plans sur la comète. Pourtant, je ne me sens pas plus capable d’affirmer avec certitude que je ne veux pas d’enfants (ou plutôt, que je n’en voudrai jamais) que je ne pourrais prédire d’un ton assuré de quelle humeur je serai dans un an – ou même dans une semaine.

« Qui sait si je ne me réveillerai pas un matin avec l’envie de combiner mon patrimoine génétique avec celui de l’homme de ma vie? »

De ces dizaines de milliers de décisions prises chaque jour émergent des chemins que l’on suit parfois durant longtemps, mais que l’on décide aussi subitement d’abandonner au profit d’un autre choix. Qui sait si je ne me réveillerai pas un matin avec l’envie de combiner mon patrimoine génétique avec celui de l’homme de ma vie?

Problème: si cette envie devait arriver dans quelques années, rien ne garantit que la concrétiser serait encore biologiquement possible, et la décision me serait alors imposée. Si beaucoup de mes pairs choisissent de ne pas se reproduire, c’est aussi parce que plus qu’à toute autre génération avant nous, on nous a répété qu’on devait croire en nos rêves, qu’on pouvait devenir tout ce qu’on voulait et qu’on était libres de se réaliser. Cette liberté que je chéris, je ne veux pas qu’elle me soit arrachée au moment de faire un choix aussi déterminant que celui-là, raison pour laquelle je me prépare à passer sur le billard pour faire congeler mes ovocytes.

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Congeler les ovocytes… et mettre la question au frigo?

L’avantage? Cette intervention me laisse encore une marge confortable pour changer éventuellement d’avis sur le sujet. Concrètement, c’est comme si j’arrêtais cette prétendue maudite horloge biologique sans que cela n’impacte l’écoulement du temps: les ovocytes que je fais congeler maintenant, même si je les utilise dans dix ans, seront toujours ceux d’une trentenaire avec une réserve ovarienne évoquant «la fontaine de Jouvence», dixit mon gynécologue.

Bien sûr, le processus ne garantit pas plus une grossesse qu’il n’est certain qu’une vingtenaire tentant la «manière traditionnelle» tombera forcément enceinte, mais la perspective de pouvoir mûrir ma décision, dans un sens comme dans l’autre, sans craindre de me trouver confinée à un choix simplement parce que j’ai tranché «trop tard» est incroyablement libératrice.

Une liberté qui a un prix: entre les injections d’hormones nécessaires avant le prélèvement, l’opération en tant que telle et la congélation, l’addition s’élèvera à plus de 5 000 euros. Une sacrée somme, que je m’estime chanceuse de pouvoir dépenser et dont je regrette qu’elle ne soit pas accessible à plus de femmes. Car dans le grand schéma des choses, ce n’est vraiment pas cher payé puisque cela achète une liberté d’ordinaire immatérielle: du temps. Avec tout ce que cela a de bon… et de mauvais. Avoir plus de temps avant de devoir se décider implique aussi qu’un choix qui, d’ordinaire, aurait dû être fait d’une manière ou d’une autre vers le cap de la quarantaine, peut être prolongé. Et avec lui, tous les questionnements personnels que la perspective de la (non-)parentalité amène.

Matrice, reloaded

Si écrire sur un sujet pourtant si intime ne me pose pas de problème, le fait de l’aborder sous le prisme de mon indécision, et de la manière dont je fais face à celle-ci, bien. C’est qu’on rétorque si souvent aux femmes qui ne veulent pas d’enfant une variation de «tu verras, tu changeras d’avis plus tard» que j’ai presque l’impression de trahir celles qui sont certaines de leur choix, et aimeraient que la société l’accepte. J’avoue que pour ma part, la seule certitude que j’ai se conjugue au présent et au futur proche.

Il arrive aussi souvent qu’on réplique aux personnes qui n’ont volontairement pas d’enfant que «quand c’est le sien, ce n’est pas pareil», qu’il faut en avoir un pour vraiment pouvoir former un avis informé. Mais quid si, une fois le bébé bien là, on réalise que, comme on le pensait, on n’est décidément pas fait pour la parentalité?

Contrairement à d’autres décisions où il est permis de se tromper, ici, pas de retour en arrière possible. Je ne veux pas d’enfant maintenant, et peut-être n’en voudrai-je même jamais. En faisant congeler mes ovocytes, je ne m’offre pas tant la possibilité de changer d’avis que de le mûrir, et de me laisser un délai pour voir si le désir d’enfant se manifeste. Sans certitude qui vienne des tripes, c’est sûr, mon ventre restera résolument (et joyeusement) vide. Sur nos 35 000 choix quotidiens, certains s’avèrent parfois extrêmement coûteux, tant sur le plan pécuniaire que personnel. Si dépenser quelques milliers d’euros me permet de m’acheter non seulement de la liberté d’esprit, mais aussi, plus précieux encore, le temps de pouvoir approfondir mon choix, quel qu’il soit, alors c’est un des meilleurs investissements que j’aie jamais fait. Et puis on me glisse à l’oreille que comparé au coût exorbitant d’avoir un enfant, ce serait presque bon marché…

La congélation d’ovocytes en pratique.

– La congélation arrête le vieillissement des ovocytes et empêche leur endommagement par des facteurs externes, ce qui permet aux femmes de préserver leur potentiel de reproduction. Pour des résultats optimaux, il est recommandé de les congeler avant l’âge de 36 ans.

– D’après une étude espagnole (Cobo et al, 2016) les femmes qui font congeler leurs ovocytes avant 35 ans auraient jusqu’à 95% de chances d’avoir un enfant en les utilisant (contre 50% de chances après 35 ans sans recours à des ovocytes congelés).

– Selon les cliniques, la procédure (injections hormonales + prélèvement des ovules) coûte entre 4 000 et 5 000 euros (non remboursés, sauf avant un traitement anticancéreux chez les femmes de moins de 38 ans), auxquels s’ajoutent les frais de conservation (environ 2 000 euros pour 10 ans).

– A l’heure actuelle, la loi belge prévoit que les ovocytes congelés peuvent être conservés pendant maximum 10 ans, et utilisés jusqu’à l’âge de 45 ans.

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