reinel bakole
© Nagib Chtaïb

Les confidences de Reinel Bakole, chanteuse, danseuse introspective

Anne-Françoise Moyson

Remarquée sur la scène de Dour, de Couleur Café et lors de la cérémonie d’hommage à Patrice Lumumba, l’artiste Reinel Bakole finalise aujourd’hui son premier album en s’autorisant la multidisciplinarité. A la danse, elle a ajouté l’art du chant, de la performance, de la poésie et du collectif fructueux. Sous le signe de la soul. Elle nous offre un shooting exclusif.

«C’est un rêve de petite fille»

Elle a 25 ans, des racines congolaises, le sens de la famille et une sensibilité à fleur de peau, c’est sa nature. Hier, supportant bravement la douleur, elle s’est fait natter pendant dix heures, une envie de mêler les tresses et le blond comme un étendard. Sa façon de revisiter avec bravoure les coiffures traditionnelles qui l’inspirent.

Le temps d’un shooting et de quelques confidences, Reinel Bakole se prête à l’exercice du portrait, avec grâce. Elle a confié son visage aux doigts experts de Sofie Van Bouwel, make-up artist pour Chanel, qui, à main levée, ourle ses paupières de fard rose – on croirait qu’elle lui dessine deux papillons prêts à prendre leur envol léger. Un ange passe, elle regarde son reflet dans le miroir, elle est ravie, soudain pleine d’une joie contagieuse. Dans un phrasé legato ultracontemporain, elle dit: «Merci pour tout, tu as trop géré. »

Veste en denim, Alaïa. Chapeau en 100% faux Angora wool rose, Elvis Pompilio. Boucles d’oreilles en argent sterling et perles, Wouters & Hendrix. focus beauté Teint: Fond de teint Les Beiges, Le Correcteur de Chanel, Baume Essentiel transparent, Poudre Universelle libre. Yeux: Ombre première 36-Désert rouge, Mascara Le Volume de Chanel Noir, Gel sourcils. Lèvres: Rouge à lèvres Rouge Coco Gloss 726-Icing, le tout Chanel.

Elle se glisse alors dans un ensemble en denim «super fierce» signé Alaïa et dans un souffle avoue qu’elle n’en avait jamais porté, que «c’est un honneur, un rêve de petite fille de se faire ainsi habiller». Formée à la danse à l’Académie des beaux-arts de Bruxelles puis à Amsterdam, Reinel a vécu à Londres, y a signé son premier EP AGØTM – A Gal On The Moon en 2020. Depuis, tout s’est enchaîné très vite, elle a séduit le Kunstenfestivaldesarts, les Fifty Session découvreuses de talents et est entrée par la grande porte à l’AB aux côtés du rappeur français Ichon.

En juin 2022, avant de filer des frissons aux festivaliers de Dour, elle accompagnait de sa voix rédemptrice la restitution de la dépouille de Patrice Lumumba, l’ancien Premier ministre de la République démocratique du Congo, lors de la cérémonie officielle au Palais d’Egmont à Bruxelles. Elle savoure humblement cet honneur – «c’était au-delà de moi». Cet été, elle faisait vibrer Couleur Café, avec cette intensité sans concession qui la caractérise. En attendant son premier album, dont on entendra le single Swords en septembre et l’entièreté au printemps prochain, entrez dans son univers qui chorégraphie des introspections générationnelles puissantes, un attachement sensible au monde, un lyrisme touchant et de belles promesses d’empouvoirement.

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Une étoile

«J’ai commencé à danser vers 6 ans. Je m’amusais, je retenais vite les mouvements, j’étais celle qu’on mettait devant. Même si j’étais une enfant timide, bizarrement, sur scène, je ne l’étais pas. C’est devenu une obsession. Je voulais en faire une carrière, je rêvais compagnie de danse, plutôt contemporaine car je ne me retrouvais pas dans le classique, par manque de modèle, il n’y avait pas d’autres filles comme moi. Et j’aimais l’idée d’être dans un ensemble, de tourner, d’apprendre des répertoires. Mais au final j’ai toujours été soliste. Même si j’adore guider une troupe, comme je l’ai fait pour une performance au Botanique, ou pour mon short film que j’ai réalisé pour mon EP Close To Truth. Je l’ai chorégraphié avec la collaboration de danseurs, j’avais demandé à mes potes d’y participer et j’avais fait un appel sur Instagram. J’aime rencontrer des gens à travers la danse, la musique et la performance, cela m’inspire, m’aide à m’émanciper et à élargir ma vision.»

Robe et manchons en viscose bordeaux, Ann Demeulemeester. Boucles d’oreilles en or, diamants et perles baroques, grande bague avec tourmaline, rubis rouge et diamants noirs, petite bague en or et diamants noirs, bague en or et diamants blancs et noirs, grande bague en or, cornaline rouge et diamants noirs, petite bague en or, rubis et diamants blancs, le tout Elliot & Ostrich.
Robe et manchons en viscose bordeaux, Ann Demeulemeester. Boucles d’oreilles en or, diamants et perles baroques, grande bague avec tourmaline, rubis rouge et diamants noirs, petite bague en or et diamants noirs, bague en or et diamants blancs et noirs, grande bague en or, cornaline rouge et diamants noirs, petite bague en or, rubis et diamants blancs, le tout Elliot & Ostrich. © Photographie Nagib Chtaïb

Le déclenchement

«Le désir de chanter a toujours été là sauf que je ne me l’autorisais pas, j’étais un peu insécure. A l’université à Amsterdam, j’ai rencontré des danseurs qui chantaient et cela m’a donné l’envie d’être plus ouverte à cette possibilité. Et puis il y a eu ce concert de cette artiste que j’adore, IAMDDB, en 2018. Elle a balancé un message d’empowerment que je trouvais très beau: elle a confié combien cela avait été libérateur pour elle de ne pas se restreindre. J’avais besoin d’entendre ça. Cela a été un déclencheur. Je suis rentrée à Bruxelles, je savais que je voulais rajouter cette pratique dans mon art même si je ne savais pas à quoi cela allait ressembler. J’ai annoncé à ma sœur Lindel que je voulais faire de la musique et je lui ai demandé d’être ma manageuse. En réalité, j’ai toujours eu cette envie d’être sur scène et on rêvait de vivre ce truc ensemble.»

Mon processus créatif

«Je débute et c’est encore une découverte. Mais j’ai appris à m’organiser, à observer, à être silencieuse, écouter de la musique et rencontrer des gens, me laisser guider par le monde extérieur, être ouverte. J’essaie que ma créativité se traduise de manière différente, qu’elle se réveille autrement, sans me mettre de pression. J’ai toujours un carnet avec moi. Soit je dessine, et à partir de là, j’écris ; soit j’aligne plein de mots qui me passent par la tête ou alors un poème ou un grand texte si je dois me libérer. Pour la musique, comme je ne joue pas d’instrument, j’explore. Je peux aller sur Garage Band et construire une drumline, me poser dessus, juste m’enregistrer a cappella et trouver des mélodies. Ou alors je travaille avec mes potes musiciens de manière plus conventionnelle. Rien n’est fixe, en fait.»

Tailleur-jupe en rayon et coton, Dries Van Noten. Gants en veau doré, Ganterie Boon.
Tailleur-jupe en rayon et coton, Dries Van Noten. Gants en veau doré, Ganterie Boon. © Photographie Nagib Chtaïb

Mon enfance

«C’était fort «danse» et «having fun» avec mes copains et copines. En secondaire, à Basse-Wavre, j’étais la misfit, ce n’était pas ma vibe. J’ai très vite décroché, je ne voyais pas à quoi servaient les études, même si j’adorais certains cours, comme la philo ou le sport. Et puis en 2016, je me suis inscrite à l’Académie des beaux-arts à Bruxelles, en danse, ce furent mes meilleures années. Je me suis retrouvée là avec une majorité de filles, des lesbiennes, des Belges, des Congolaises, des Mexicaines… J’étais alors assez solitaire et j’observais mon nouvel environnement en mode «waouh». J’y ai appris plein de choses.»

Mon premier album

«Je n’ai pas envie de tout révéler, parce que je suis encore dans la construction de ce premier album. Ce sera surtout un portrait de ces quatre dernières années… Je suis dans le milieu de ma vingtaine, je me développe en tant que personne, je suis dans une conscientisation de l’âge adulte, et identitaire aussi, culturellement et musicalement. Je construis mes convictions, je réfléchis à qui je suis, où je me vois plus tard, ce sont des choix à poser et ce n’est pas toujours facile.»

La mode

«J’y ai toujours été sensible. Petite, j’avais des goûts assez forts, quand maman m’habillait, je la prévenais: «Ça, je ne veux pas porter, ça oui et cette couleur, non!» Avec Lindel, on faisait des défilés dans notre chambre. Et ado, j’avais une obsession pour les shows de Victoria’s Secret. Je connaissais par cœur tous les mannequins, je sais qu’aujourd’hui, c’est problématique mais je n’y voyais alors que l’aspect fun… J’aime les designers émergents, underground et alternatifs, parce que leur storytelling est souvent personnel, que cela me touche et sort des conventions.»

Swords

«C’est le titre de mon single qui sort en septembre. Initialement, je l’avais appelé Princess of Swords, en rapport avec la carte du tarot Queen of Swords. La reine des épées dégage le chemin et trouve une voie quand tu es envahi par des doutes et des frustrations, parce que des gens t’ont planté des couteaux dans le dos et que le mal extérieur t’influence négativement. Et si j’avais choisi Princess, c’est parce que je ne suis pas encore Queen! Cette référence me permet de sortir de mes démons et de tout ce qui me tracasse – comment avoir confiance en moi, même physiquement, nourrir mon estime de moi et ma relation aux autres –, tout ce qui encombre parfois mon esprit et m’empêche d’être à mon full potentiel.»

Le Congo

«J’avais 11 ans quand j’ai fait mon premier voyage au Congo. Je me rappelle que je n’avais jamais vu ce genre de paysages incroyables. On avait pris une route escarpée pour aller à Bukavu, au Kivu, j’avais peur mais en même temps, je trouvais ça trop beau, j’étais émerveillée. Je m’ouvrais aussi à d’autres réalités. Là-bas, on vit d’une manière totalement différente qu’en Belgique, à un autre rythme, et c’est éblouissant en tant qu’enfant de découvrir ce contraste-là. J’y ai rencontré des membres de ma famille paternelle et maternelle, cela m’a rapprochée de mon identité et cela m’a permis de faire des liens, dans ma compréhension des gens.

Je n’ai pas dû me réapproprier mon histoire, elle est en moi. Mais j’ai dû déconstruire mes repères et cet esprit européen dans lequel j’avais grandi, cela ne veut pas forcément dire qu’il est mauvais mais ce n’est pas seulement cette partie-là qui fait que je suis ce que je suis. Je me suis aussi déconditionnée du racisme et de tous ces rapports sociaux nocifs. Je suis désormais plus alerte, je reconnais dorénavant les schémas négatifs, que je retrouve autant du côté européen que congolais.»

Mes rêves

«J’en ai plein, j’ai une «dream list» dans mon téléphone. Travailler avec mes références préférées dans la danse, dont le chorégraphe Damien Jalet que je kiffe, parce qu’il mélange la poésie à quelque chose de brut. Apprendre la céramique. Ecrire des livres. Collaborer avec d’autres artistes. Toucher un plus grand public… Je ne pense pas à la célébrité ou la notoriété au sens commercial mais à une reconnaissance de mon travail. En fait, ce à quoi j’aspire, c’est innover, casser des portes, voir plus loin et être reconnue pour ça. Et si je suis reconnue quand je serai morte, c’est ok aussi!»

Reinel Bakole, en bref

Elle naît le 2 février 1998 en Belgique.

Dès 2016, elle étudie la danse à l’Académie des beaux-arts de Bruxelles.

Elle s’inscrit en 2018 à l’University of Arts d’Amsterdam, en danse urbaine.

Elle s’installe à Londres en 2000 et y enregistre son premier EP AGØTM – a Gal On The Moon.

En 2021, son deuxième EP Closer To Truth mêle musique, écriture, danse et théâtre.

Elle sort son single Swords ce 15 septembre, en avant-goût de son premier album et d’un concert à l’Ancienne Belgique le 22 février 2024.

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Stylisme: Vincent Van Laeken — Assistant stylisme: Xander Pauwels — Maquillage: Sofie van Bouwel pour Chanel — Coiffure: Kisanola — Ongles: Chloé Momi. Remerciements au studio BB pour son accueil chaleureux.

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