Pourquoi les premières dames fascinent tant

Une brochette de premières dames (et homme), à Laeken : Gauthier Destenay (Luxembourg), Mojca Stropnik (Slovénie), Thora Margret Baldvinsdottir (Islande), Brigitte Macron (France), Emine Erdogan (Turquie), Melania Trump (USA), la reine Mathilde (Belgique), Ingrid Schulerud (Norvège), Desislava Radeva (Bulgarie), Amélie Derbaudrenghien (Belgique). © GETTY IMAGES

Leurs looks sont analysés, décodés et commentés par les médias du monde entier. Les épouses de chefs d’Etat sont-elles prisonnières de leur rôle ? Décryptage de leurs mises en scène vestimentaires.

De la Duchesse de Cambridge (photo) à Jackie Kennedy, en passant par Bernadette Chirac : des looks officiels des plus variés, témoins de l'époque mais aussi de la place que ces femmes de l'ombre entend(ai)ent occuper auprès de leur époux.
De la Duchesse de Cambridge (photo) à Jackie Kennedy, en passant par Bernadette Chirac : des looks officiels des plus variés, témoins de l’époque mais aussi de la place que ces femmes de l’ombre entend(ai)ent occuper auprès de leur époux.© GETTY IMAGES

Si l’habit fait le moine, il fait aussi les premières dames. Têtes couronnées ou femmes de présidents, elles affolent la planète mode et sont érigées en véritables icônes. Les messages que leurs tenues vestimentaires véhiculeraient ne seraient d’ailleurs pas dénués de sens. Au point de devenir des outils de communication, comme l’a montré l’évolution de la garde-robe de Brigitte Macron tout au long de la campagne présidentielle. Stratégie à part entière, le style vestimentaire, arme de séduction (ou non) massive, vaudrait autant qu’un discours et serait une façon  » silencieuse « , mais subtile, de se positionner. Pascal Monfort, qui dirige le cabinet parisien d’études en tendances REC, déclarait en avril dernier à Madame Figaro que  » Brigitte Macron ne s’habille ni comme madame Tout-le-Monde, ni en modeuse. Elle s’autorise le droit de s’amuser avec la mode, et elle ne fait pas « vieille belle » « .

Jackie Kennedy (photo)
Jackie Kennedy (photo)© GETTY IMAGES

Selon ce spécialiste du secteur, il s’agit plutôt d’un look sans ostentation, fait de prêt-à-porter haut de gamme. A 64 ans, l’épouse du président français bouscule les codes et casse l’image traditionnelle souvent incarnée par celles qui l’ont précédée : même Carla Bruni avait troqué son vestiaire glamour rock pour un autre résolument classique, rentrant ainsi dans le rang des locataires de l’Elysée. Parce que l’apparence de ces femmes hypermédiatisées suscite la curiosité du monde entier, encore plus lorsqu’elles forment un couple atypique. En passe de révolutionner l’image liée à sa fonction, Brigitte Macron dépoussière les looks guindés qu’arboraient avant elle la sage et discrète Yvonne de Gaulle, l’élégante Claude Pompidou (elle a osé le tailleur-pantalon, audace rare à l’époque dans son milieu), la (d’abord) timide Anne-Aymone Giscard d’Estaing, dont l’apparence s’est libérée au fil du temps (elle finira par tenter la robe moulante), l’intellectuelle Danielle Mitterrand, plus connue pour ses combats que pour son dressing, la mondaine et chic Bernadette Chirac, très amatrice de fourrures et de lunettes de soleil (d’ailleurs popularisée par Les Guignols de l’info avec ses fameux sacs portés au poignet ou posés sur ses genoux) ou de l’indépendante Valérie Trierweiler (dont les tenues modernes correspondaient à cette volonté d’autonomie).

 Bernadette Chirac (photo)
Bernadette Chirac (photo)© GETTY IMAGES

Loin de ces carcans et autres diktats associés à son rôle, l’actuelle première dame de l’Hexagone attise un engouement sans pareil dans la sphère fashion. Au point que l’enseigne suédoise Weekday, récemment installée dans la capitale française, a créé un tee-shirt  » Brigitte  » (prénom rouge sur fond blanc), modèle collector et déjà culte, en vente depuis le 30 juin dernier dans la boutique parisienne pour la modique somme de 15 euros. Un clin d’oeil (de plus) révélateur de la brigittemania…

Des looks qui parlent

Des bibis de Fabiola ou d’Elisabeth ii aux looks contemporains de la reine d’Espagne ou de Kate Middleton, en passant par les styles glamour de Jackie Kennedy, Michelle Obama ou Melania Trump, rien ne serait laissé au hasard par ces femmes conscientes du pouvoir de leur image et bien décidées à ne pas se limiter à un rôle de potiche silencieuse : le vêtement, lui, parle. Une façon aussi d’exister pour celles qui passent de l’ombre à la lumière sans y être préparées. Toutes, excepté Bernadette Chirac, ont d’ailleurs détesté cette place.

Robert Schneider, ancien journaliste et fin connaisseur des couples présidentiels, le rappelle dans son ouvrage consacré aux premières dames de la ve république (*) : il n’a pas été donné à chacune d’offrir une dimension à la fonction, comme Danielle Mitterrand et Bernadette Chirac y sont parvenues, en se rebellant contre leur statut de faire-valoir dans une prison dorée. Hasard ou non, elles ont été les deux préférées des Français. L’auteur évoque également la volonté de ces épouses de demeurer indépendantes, de vivre leur vie et de rester dans l’ombre, à l’instar du mari d’Angela Merkel, dont personne ne se soucie. Pas simple, dans un contexte où l’hypermédiatisation empêche de vivre comme le faisait Yvonne de Gaulle, qui, totalement méconnue de ses compatriotes, pouvait aller faire ses courses sans qu’on la reconnaisse.

Melania Trump ou l'art de se faire remarquer, en toutes circonstances.
Melania Trump ou l’art de se faire remarquer, en toutes circonstances.© BELGA IMAGE

A l’ère de la peopolisation à outrance, Brigitte Macron préfère rester maîtresse de son image et a fait appel à Delphine Arnault, directrice générale adjointe de Louis Vuitton, pour orchestrer ses apparitions publiques, au risque de susciter la polémique, en affichant des tenues luxueuses, même si l’épouse du président se ferait prêter gratuitement lesdits vêtements.  » Les premières dames et les têtes couronnées font rêver, mais c’est ambigu. On leur demande d’être belles, et en même temps, on leur reproche d’être superficielles et de vivre aux crochets de l’Etat. A ce niveau-là, il y a une différence entre la république et la monarchie. Tout le monde trouve normal que Mathilde joue son rôle d’ambassadrice de la création belge mais on reproche à Brigitte Macron de jouer la femme-sandwich pour Vuitton « , constate Patrick Weber, journaliste, historien et spécialiste des têtes couronnées. Une pluie de critiques qu’a réussi à éviter Kate Middleton, en trouvant un bon compromis. Comme Letizia d’Espagne, elle alterne haute couture et fringues de chez Zara, transformant son statut de princesse en girl next door, faisant du  » madame Tout-le-Monde  » le modèle déculpabilisant à suivre sans scrupules.

Le pouvoir côté pile

Ce floutage des codes contribue à apporter un coup de fraîcheur aux monarchies et à reléguer aux oubliettes l’idée qu’elles vivent hors du monde.  » Même si, au sein des royaumes, les codes restent différents. Une reine peut plus facilement afficher un look intemporel. C’est le cas d’Elisabeth ii ou de Margrethe ii du Danemark. La monarchie s’accommode d’un côté old-fashioned « , précise encore Patrick Weber. Ce n’est pas pour autant qu’elles échappent aux critiques. Et le spécialiste de rappeler que premières dames comme têtes couronnées endurent finalement, comme toute la gent féminine, les injonctions de la tyrannie du paraître.  » Certaines les subissent volontiers, au point d’en faire un atout, comme Diana ou Kate Middleton ; d’autres moins, comme la princesse Anne d’Angleterre.  »

Brigitte Macron, devenue culte en quelques mois.
Brigitte Macron, devenue culte en quelques mois.© GETTY IMAGES

L’habit, jamais anodin, a néanmoins un pouvoir colossal.  » On estime aujourd’hui que le meilleur moyen de communiquer pour une fille est de bien choisir ses vêtements. Tout au long du xixe siècle, cette dernière est passée au second plan et l’on se préoccupait peu de son apparence. Si on prend l’exemple de la reine Victoria en Angleterre, elle était plus célébrée comme épouse et comme mère que comme femme, et côté look, elle n’a jamais été trendsetter. Dans le cas d’Elisabeth ii, cela se comprend à cause de son devoir de réserve. Néanmoins, quelqu’un de pouvoir doit trouver son style pour être reconnaissable. Margaret Thatcher aimait les bijoux bling-bling et Angela Merkel a imposé ses longues vestes et tuniques qui dissimulent un peu ses formes « , rappelle Patrick Weber. Une façon pour chacune de s’adapter aux règles et aux codes, sans renier totalement sa personnalité et son besoin de faire passer des messages, même sans parler.  » Si les premières dames continuent à fasciner, c’est aussi parce qu’elles incarnent l’autre face du pouvoir. Le prestige, sans la brutalité. Le glamour avec l’excuse de devoir être ambassadrice de leur pays. Ces compagnes apportent une dose d’humanité dans l’exercice du pouvoir « , note Patrick Weber.

Si les premières dames continuent à fasciner, c’est aussi parce qu’elles incarnent l’autre face du pouvoir.

Et les hommes ?

Si à de tels niveaux de pouvoir, les styles féminins sont suivis à la loupe, ceux des hommes semblent moins attiser le commentaire. Nicolas Sarkozy a changé la donne avec son amour du clinquant, sa montre Rolex, ses lunettes Aviator et ses costumes Prada. Quant à François Hollande, il a été moqué notamment pour son relooking total (perte de poids, nouvelle monture de lunettes…) en vue de la campagne présidentielle, mais également au cours de son mandat, pour ses cravates trop courtes et de travers ou pour avoir arboré la chapka et la pelisse offertes par le président Nazarbaïev lors de sa visite au Kazakhstan.

Celui, par contre, dont le look a été plébiscité, au point d’être élu  » l’homme le mieux habillé de France  » en 2010 déjà par Anne Boulay, ex-rédactrice en chef de GQ, c’est François Fillon, dont le petit côté dandy et les célèbres chaussettes rouges alertaient les radars mode les plus pointus. Pour le reste, la marge de manoeuvre masculine est faible : les différents locataires de l’Elysée semblent moulés dans un costume de président dont ils ne sortent que rarement.  » Les femmes ont, par définition, beaucoup plus de liberté pour faire évoluer leur look. Il suffit qu’un politique porte une barbe pour que la planète s’émeuve. Dans le passé, les hommes de pouvoir ont pourtant beaucoup soigné leur apparence. Je pense notamment à ces coquets couronnés qu’étaient Henri viii d’Angleterre, Henri iii et Louis xiv en France. Tout cela a changé depuis le xixe siècle. Pour être sérieux, un monsieur se doit désormais d’afficher un style sobre et ennuyeux. Celui qui a poussé le plus loin le langage politique du look est Louis xiv. Talons hauts, perruques et bijoux… il faisait tout pour être vu de loin. Aujourd’hui, il serait jugé kitsch et peu crédible « , s’amuse Patrick Weber, qui rappelle que le leader qui accorde le plus d’importance au paraître aujourd’hui n’est autre que Vladimir Poutine.  » Le président russe adore exhiber ses muscles et ne semble pas réticent à l’idée d’un lifting. Comme quoi, on peut être macho et préoccupé par son apparence ! « , conclut l’historien.

(*) Premières dames, par Robert Schneider, éditions Perrin, 2014.

Par AURÉLIA DEJOND

Brigitte Macron, pari réussi

 » Sur cette couverture de Elle France, Brigitte Macron réussit son projet de communication comme aucune épouse de président français avant elle.  » Pour Brigitte Kessel (lire par ailleurs), le look arboré par la première dame en couverture de l’hebdomadaire a été étudié à la lettre. Décryptage.

Pourquoi les premières dames fascinent tant
© SDP

En général.  » Brigitte Macron s’est forgé un style, son uniforme personnel. Son message silencieux ? J’ai conscience de mon rôle, et à la fois, je suis libre. « 

En détails.  » Tout l’art de sa tenue est ce mouvement entre le haut et le bas qui exprime en même temps ses côtés traditionnel et moderne, féminin et pro. Sa coiffure, couronne d’or sur un visage rayonnant, affirme son côté solaire, en résonance avec le côté jupitérien de son mari. « 

Le haut est formel.  » La veste structurée aux épaules marquées exprime le professionnalisme, le goût du travail. La couleur blanche symbolise la lumière, y compris dans son côté transcendant. « 

Le jeans est un message de proximité.  » A travers ce vêtement, le plus grand commun dénominateur vestimentaire sur la planète, elle dit : « Je suis comme vous. » « 

4 questions à Brigitte Kessel

Historienne de l’art et coach en image et style

Pourquoi le look d’une première dame est-il devenu un enjeu ?

Etre sobre est un luxe plutôt réservé aux hommes. Rester dans le rang permet aussi de ne pas être la risée de l’opinion publique. Chez la femme, cette standardisation est impossible. Chacune donne de la visibilité à son compagnon, par ricochet. L’enjeu est colossal, d’autant que rois et présidents représentent le père et la mère de la nation. Ils sont une vraie valeur refuge.

Pourquoi cette traque au faux pas ?

Toute faille contribue à les humaniser et rassure : Kate Middleton a été vue deux fois avec la même robe ? Elle est comme nous ! Mais on supporte moins les privilèges, comme quand Brigitte Macron apparaît en Vuitton. C’est un rapport entre amour et haine. On accepte mieux Mathilde habillée par les créateurs belges Natan ou Dries Van Noten, c’est une reine.

Qu’est-ce qui différencie une reine d’une femme de président ?

L’échéance des premières dames est brève. Une reine est pérenne et a plus de latitude pour évoluer. Elle est préparée à ce poste et maîtrise les codes, alors qu’une épouse de président est tout à coup sous le feu des projecteurs.

Une tenue non appropriée peut-elle à ce point nuire au pouvoir ?

Un faux pas n’est pas futile. On a reproché à Michelle Obama de mettre du prêt-à-porter au début du mandat de son mari : ce n’était pas à la hauteur de sa fonction ! Preuve qu’il existe une sacralisation de la first lady, comme à l’époque de Louis XVI : lorsque la cour française allait à la rencontre de ses pairs d’Espagne, les lois somptuaires imposaient des tenues luxueuses.

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