Chronique | « On n’est jamais assez maigre, jusqu’au jour où on l’est trop »

Notre journaliste a lu Jamais assez maigre de Victoire Maçon-Dauxerre - Canva
Notre journaliste a lu Jamais assez maigre de Victoire Maçon-Dauxerre - Canva
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

La lecture n’est pas un passe-temps, c’est une promesse, celle de voyager dans le temps et l’espace au gré des ouvrages. Ivre de livres, Kathleen Wuyard vous emmène page à page dans ses périples papivores. Au coeur de sa dernière chronique Tête à Textes : Jamais assez maigre, l’ouvrage autobiographique de l’ancienne mannequin française Victoire Maçon Dauxerre.

De Paris à Hollywood, de Milan à New York, s’il y a bien une tendance qu’on a vue partout ces dernières semaines, tant sur les tapis rouges que sur les podiums des défilés, c’est le retour d’une maigreur affirmée. Des célébrités jusqu’ici connues pour leurs formes voluptueuses ont profité de la saison des remises de prix pour parader des silhouettes affûtées. Et de la (timide) célébration de la diversité corporelle entamée par le monde de la mode il y a quelques saisons, il ne reste rien, ou presque. Comme si cette amorce de changement n’avait eu lieu qu’à corps défendant. Même s’il faudrait plutôt parler de corps défendus: cachez ce gras que l’on ne saurait voir! Par ici les crêtes iliaques conquérantes et ces décolletés remplis de côtes qu’on pensait relégués à un passé proche mais pourtant si lointain, où des mannequins affamées mouraient après les défilés.

A l’époque, j’ai honte de l’avouer, mais l’ado que j’étais ne voyait pas le problème. Et comment l’aurais-je pu, puisque non seulement mode, médias et cinéma ne montraient aucun autre modèle, mais surtout, personne ne dénonçait la souffrance que ne cachaient que mal ces silhouettes émaciées. Pire encore, si dénonciations il y avait, elles étaient réservées à d’autres, les «grosses», qui s’appelaient Kate Winslet, Hilary Duff ou encore Beyoncé.

Maigre, oui, mais à quel prix?

Vingt ans plus tard, on prend les maigres et on recommence? Pas vraiment.

Désormais, il ne serait plus accepté qu’un titre respecté se permette des commentaires dérogatoires sur le poids de l’une ou l’autre star. Les astuces pour perdre x kilos en un temps record ont aussi largement été bannies, au profit de sujets qui préfèrent prôner «le wellness» mais dont les conseils sont pourtant parfois drôlement similaires. Et si, lors du pic de maigreur précédent, on appelait les mannequins les plus cotées par leur prénom, désormais, leurs corps raccord se confondent dans un anonymat de peau tendue sur les os. Et si ce n’était pas un hasard?

Si à trop vouloir faire disparaître la cellulite, la graisse et les formes, on en venait à effacer les personnes?

C’est ce qu’a vécu Victoire Maçon Dauxerre, une top parisienne recrutée à l’âge de 17 ans et à qui on dit d’emblée que si elle veut défiler, elle va devoir faire un effort, parce que 58 kilos pour 1 m 78, vraiment, c’est trop. Avec Valérie Péronnet, celle qui a défilé pour Céline, Alexander McQueen, Miu Miu ou encore Vanessa Bruno a écrit Jamais assez maigre, un livre autobiographique dans lequel elle raconte les trois pommes quotidiennes dont elle se nourrit (et rien d’autre), l’anorexie mentale dans laquelle elle bascule en même temps qu’elle passe d’une taille 36 à un 32, et plus généralement, l’envers, ou faut-il dire l’enfer d’un décor qui ne fait rêver que tant qu’on ne s’en approche pas de trop près.

Maigre, oui, mais à quel prix? Et surtout, pourquoi, quand on sait qu’on ne le sera jamais assez, jusqu’au moment où on le sera trop.

Le «corps parfait» est une chimère, mais contrairement à celle de la mythologie grecque, plutôt que de cracher des flammes, ce sont les femmes qu’elle écrase.

J’aimerais pouvoir terminer cette chronique en affirmant que la lecture de ce récit sur fond de fonte rapide m’a guérie une bonne fois pour toutes de mes rêves illusoires de silhouette à la Kate Moss. Ce n’est malheureusement pas le cas, parce qu’il faut bien plus que 250 pages pour déconstruire des années de conditionnement.

Non, ce qu’il me reste de Jamais assez maigre, c’est la certitude, difficile à avaler, que pour les (pré)ados d’aujourd’hui, exposées elles aussi à une glorification du décharnement, le rapport au corps sera pesant.

Jamais assez maigre, par Victoire Maçon Dauxerre avec Valérie Péronnet, Les Arènes.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content