Dena, humoriste: « Le seul fait que j’existe et que je sois ce que je suis est de l’ordre de la subversion »

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Dena, princesse guerrière © Laetitia Bica
Anne-Françoise Moyson

Elle n’avait jamais pensé faire ce métier. Et pourtant, armée de son seul prénom, Dena, la voilà sur la scène du Théâtre de la Toison d’Or, à Bruxelles, en princesse guerrière plus que jamais subversive par essence. D’origine iranienne, Dena (31 ans) cumule le farsi, le français, le flamand, la multiculturalité, la sincérité, la soif de liberté. Et c’est drôle.

Les femmes iraniennes sont des princesses guerrières

Et si mon spectacle porte ce titre, c’est certes parce que c’est une blague, par rapport à Xena la guerrière. Mais c’est surtout parce que c’est la réalité: une femme iranienne est intrinsèquement badass. Et il faut l’être pour tenir bon face à l’oppression que tu vis parce que tu es là-bas, ou face à celle que tu as héritée de manière intergénérationnelle… Pour moi, «guerrière», cela ne signifie pas «guerre» mais plutôt «se rebeller et avancer». Et si je frappe, ce n’est pas avec des punchs mais avec des punchlines qui sont aussi efficaces. Les trois mots que les Iraniennes scandent «Zan, Zendegi, Azadi» pour «Femme, Vie, Liberté», cela a toujours été le sujet de mon spectacle. Et les récentes manifestations en Iran affirment à quel point il est important de continuer d’en parler.

‘Le seul fait que j’existe et que je sois ce que je suis est de l’ordre de la subversion.’

Mon existence en elle-même est subversive pour l’Iran

Je suis une femme belge iranienne lesbienne. Mais je ne suis pas dans la provoc’, je suis d’ailleurs assez peace and love. Un jour, on m’a conseillé d’être plus provocante, de faire des blagues sur des sujets «tendus», je n’ai su que répondre. Le seul fait que j’existe et que je sois ce que je suis est de l’ordre de la subversion.

L’humour belge, c’est comme un gros câlin

J’ai l’impression qu’en Belgique, on rigole tous ensemble. Tout se passe en un temps alors qu’ailleurs, c’est en deux temps. L’humoriste français, par exemple, est plutôt dans l’observation ; il donne son avis politique sur la structure du monde, de la France… Et c’est génial aussi, et les gens viennent pour son analyse et en rient. Chez nous, c’est plus familier, avec moins de chichis. Il y a un côté bonne franquette, un peu «bruin café», comme on dit en flamand, comme dans ces vieux bistrots belges, où on est assis autour d’une table qui colle et où tout le monde rigole en mangeant du saucisson sec et en buvant des bières.

Le rire se prête à la traduction

Je fais les mêmes sketchs en flamand. Je les ai tous traduits et cela fonctionne aussi bien. Et ce sont les Flamands, j’aurais dû m’en douter, qui rigolent le plus fort parce que cela les concerne. Et cela me concerne aussi parce que je me sens Bruxelloise bilingue, une vraie Brusseleir, la communauté flamande n’est pas un mystère pour moi. Et puis je ne suis pas quelqu’un qui verse dans la méchanceté, je suis juste dans l’observation. Il est important que les gens sentent que je ne suis pas là pour faire mal. Mais si on interprète mes propos de travers, ce n’est pas de ma responsabilité. Ma seule responsabilité dans cette affaire, c’est que je raconte mon histoire et celle de mes parents réfugiés. J’ose espérer que tout le monde ressent ma sincérité et ma quête de liberté.

La poésie, c’est comme une épice

Cela rajoute du goût à la vie. Cela ouvre des dimensions un peu cachées. Cet amour-là, je l’ai hérité de ma mère. Mes parents récitaient à voix haute des poèmes de Hafez, de Saadi, de Forough Farrokhzad, une poétesse ultraféministe, hyper controversée dont les poèmes sont osés, très sensuels, révolutionnaires. Et j’adore aussi plus que tout Paul van Ostaijen, sa poésie est tellement sensorielle.

On peut être porte-parole presque à son insu

Cet été, au Festival d’Avignon, j’ai été très touchée par l’émotion d’une jeune Iranienne. Elle était venue voir mon spectacle, elle m’attendait à la sortie de la salle, elle tremblait comme je tremble quand je suis face à Marjane Satrapi, mon idole. Et là elle me confie: «Moi aussi je suis lesbienne»… Ce n’était pas du tout mon idée de départ, je ne m’étais pas dit que j’allais faire du stand-up pour représenter les lesbiennes, mais parce que cela fait rire. Et aujourd’hui, je me rends compte de l’impact: ainsi, parce que je suis une enfant de réfugiés, que je suis multiculturelle, francophone, belge, flamande, homosexuelle, je représente une partie de la population. Je suis un peu le visage de toutes celles et de tous ceux qui sont moins vus, moins entendus. Je trouve cela cool et je me trouve cool (rires).

Charm is the new beauty

Je prends un exemple: Jacques Brel. Il n’est pas conventionnellement beau, ce n’est pas George Clooney mais qu’est-ce qu’il est fucking charmant… Son charme est dix fois plus élevé que celui de George! Pareil pour moi: je ne suis pas belle telle que la société attend que les femmes le soient, je ne suis pas la beauté fatale iranienne, avec ses longs cheveux et ses grands yeux mais je crois que j’ai aussi un putain de charme. Et je pense que le charme, c’est la beauté qui reste.

Dena princesse guerrière, Théâtre de la Toison d’Or, à 1050 Bruxelles, ttotheatre.com Jusqu’au 12 novembre. @denadivah

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