Drag-queens, les nouvelles stars de la pop culture

L'ensemble du cast de Drag Race Belgique à découvrir dès le 16 février sur Auvio

Plus populaires que jamais, les drag-queens s’invitent sur les scènes grand public et même en prime time à la télévision. La RTBF accueillera d’ailleurs dès ce 16 février la version belge de l’émission Drag Race.

Peach avait à peine 7 ans lorsqu’elle a commencé à jouer du pinceau. Un peu en douce d’abord, elle doit bien l’avouer, lorsque ses parents avaient le dos tourné. Jusqu’à ce que le maquillage devienne pour elle une passion assumée. La porte d’entrée aussi vers une forme d’art réservée jusqu’il y a peu encore aux initiés, en grande majorité issus de la communauté LGBTQIA+.

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Peach, comme les autres vingtenaires inscrites au casting de la version belge de Drag Race produite par la RTBF (1), est un pur produit de ce que l’on appelle aujourd’hui la «génération RuPaul». Une référence au célèbre performeur américain, créateur d’une émission de téléréalité consacrée aux drag-queens et reprenant les codes des concours de beauté.

Lancé en 2009 de manière d’abord assez confidentielle, le show RuPaul’s Drag Race est désormais disponible sur Netflix. Quantités de versions se déclinent aujourd’hui à l’international, la Belgique embrayant dès ce 16 février le pas sur la France qui a diffusé sa première saison l’été dernier.

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Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, la franchise a bel et bien changé de manière irréversible l’art du drag sous toutes ses formes.

Un avant-après indéniable

«L’avant-après est tout simplement indéniable, constate Florian Poullet, alias La Veuve, cofondateur et porte-parole du Cabaret Mademoiselle, haut lieu de la vie nocturne bruxelloise. Pour la première fois, on voyait du drag de manière assumée dans un programme accessible à tous. Les milieux concernés, à savoir la jeune génération de la communauté LGBTQIA+, destinataire principale de l’émission, ont bien sûr été les premiers à en profiter.»

Florian Poullet, alias La Veuve, cofondateur du Cabaret Mademoiselle.
Florian Poullet, alias La Veuve, cofondateur du Cabaret Mademoiselle. © DR/LENA

Sans avoir à se déplacer dans des lieux dédiés souvent situés dans les centres urbains, les personnes intéressées pouvaient soudain d’un simple clic découvrir une multitude de styles de drag. Au point même parfois de susciter des vocations.

«Les deux années de confinement ont aussi donné à tout ce courant un sérieux coup d’accélérateur, poursuit La Veuve. Les établissements étaient fermés mais nous sentions vraiment que quelque chose était en train de se passer. Celles qui avaient envie de se lancer ont eu tout à coup du temps devant elles et tout un tas de ressources à portée de main. Je pense aux émissions de RuPaul mais aussi aux tutos make-up ou aux conseils perruques filmés par des drags sur YouTube ou sur les réseaux sociaux qui n’existaient pas il y a dix ans d’ici. Lorsque l’on a commencé à déconfiner, nous avons assisté à un baby-boom hallucinant sur Bruxelles. On a vu fleurir tout un tas de comptes Instagram et ces nouveaux artistes sont partis en quête de lieux pour se lancer.»

Sur le devant de la scène

Comme le précise le journaliste français Sofian Aissaoui, auteur d’un ouvrage sur la culture drag (2) qui s’adresse aussi bien aux novices qu’aux passionnés du genre, «les gamins nés après l’an 2000 ont grandi avec tout ça. Ils ne se sont jamais vraiment questionnés sur la possibilité ou non de faire du drag. Ils y sont allés, c’est tout. Et ce sont eux qui bien souvent éduquent leurs parents».

Olivier Py, alias MISS KNIFE lors de la clôture du dernier Festival d’Avignon – © Christophe Raynaud de Lage

‘Le drag est très existentiel et bien plus philosophique que cela n’en a l’air.’ Sofian Aissaoui

Les publics d’ailleurs ont peu à peu changé. «Le cabaret a ouvert, il y a cinq ans et demi d’ici, comme un lieu interlope fréquenté à plus de 80% par une clientèle queer, pointe La Veuve. Aujourd’hui, près de la moitié des spectateurs n’appartiennent plus à la communauté.» La loi de l’offre et de la demande, poussée par la curiosité grandissante d’une audience plus mainstream pour des artistes qui gardent malgré tout un petit côté sulfureux, a fait bouger les lignes.

Des bars gay au prime time de TF1

Longtemps cantonnées dans les bars gay, les drag-queens, quand elles ne défilent pas sur les catwalks souvent opportunistes du microcosme de la mode, se retrouvent aujourd’hui sous les projecteurs des théâtres subventionnés et des plateaux télé aux heures de grande écoute.

Paloma, gagnante de Drag Race France, a défilé pour Weinsanto en octobre dernier.
Paloma, gagnante de Drag Race France, a défilé pour Weinsanto en octobre dernier. © IMAXTREE

Ainsi Paloma, gagnante de Drag Race France, a fait buzzer la Fashion Week parisienne en octobre dernier, passant du podium du créateur Victor Weinsanto aux front rows des shows Etam et Rochas aux côtés d’autres stars du programme, suivant ainsi les traces de la célèbre reine américaine Miss Fame régulièrement invitée chez Tommy Hilfiger, Loewe ou Dior. Ses fans la retrouveront bientôt à l’affiche de la nouvelle saison de la série Balthazar, sur TF1.

Déconstruire la masculinité

Dans un tout autre genre, en juillet dernier, Olivier Py faisait ses adieux au Festival d’Avignon qu’il venait de diriger pendant huit ans en conviant Miss Knife, son alter-ego drag, sur la scène de l’opéra de la cité des papes. Au théâtre de Namur, au mois de mai prochain, la drag-queen liégeoise Peggy Lee Cooper incarnera le diable dans Alma, nouvelle lecture du mythe de Faust signée Fabrice Murgia.

Loin de voir dans cette effervescence un effet de mode qui risque de passer, Sofian Aissaoui est convaincu que l’essence même du drag rencontre pleinement les questionnements sur le genre – et sur son expression en particulier – qui traversent la société d’aujourd’hui.

«Le principe même du drag, c’est de jouer avec des esthétiques, des stéréotypes. Poser un regard décalé sur ce que l’on porte et pourquoi on le fait. La déconstruction de la masculinité et de tout ce qu’elle peut avoir de toxique et d’écrasant est au cœur même des préoccupations de notre époque. Il n’est pas surprenant finalement que de plus en plus de femmes s’intéressent au drag.»

‘Ces gens qui nous découvrent vont-ils respecter ce que nous sommes et ce que nous faisons?’ Florian Poullet

Une expression politique

Sous des airs de divertissement, c’est pourtant bien d’expression politique qu’il s’agit. Celle d’une sous-culture au sens sociologique du terme forcée de poser un regard critique sur les normes qui lui sont imposées.

«En ce sens, le drag est vraiment constitutif de la culture LGBTQIA+, insiste Sofian Aissaoui. Il raconte comment les membres d’une communauté grandissent dans un monde où les cases ne sont pas faites pour eux et comment ils se débrouillent pour inventer d’autres cases. C’est très existentiel et bien plus philosophique que cela n’en a l’air. Car cela pousse à se questionner tous vraiment. Même lorsque l’on est spectateur.»

Queeriosity est une scène ouverte/laboratoire destinée aux artistes débutants – © Studios Vincent

Pour rencontrer les attentes d’un public de plus en plus nombreux, pas une semaine ne passe sans que de nouvelles scènes – souvent éphémères – ou de nouveaux concepts ne voient le jour. Depuis plus d’un an maintenant, tous les premiers lundis du mois, le Théâtre de la Vie, à Bruxelles, accueille, en collaboration avec le Cabaret Mademoiselle, Queeriosity, une scène ouverte/laboratoire destinée aux artistes débutants.

Des lectures dans les bibliothèques

A Liège, le projet Unique en son Genre, piloté par la Maison Arc-en-Ciel, propose des séances de lecture destinées aux enfants de 3 à 12 ans. Les livres choisis questionnent le genre ainsi que d’autres thèmes autour de la discrimination. Avec la particularité que ces contes sont lus par des drag-queens et des drag-kings. Même volonté d’ouverture pour le projet Playback initié par la performeuse Blanket La Goulue, qui s’est donné pour mission de conquérir Bruxelles, «un bar hétéro à la fois», en mettant chaque fois à l’honneur de nouveaux talents.

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Face à cet engouement croissant, le risque de voir peu à peu disparaître les «safe spaces» au profit d’espaces mixtes partagés avec un public hétérocentré qui ne maîtrise pas toujours les codes de la communauté suscite aussi des inquiétudes.

«Une partie de notre clientèle traditionnelle recherche parfois un entre-soi rassurant certes mais aussi nécessaire au regard de situations personnelles ou familiales difficiles à vivre, pointe Florian Poullet. Ces gens qui nous découvrent vont-ils respecter ce que nous sommes et ce que nous faisons ou nous envahir avec des gros sabots en mode «oh c’est trop chouette les drags» sans égard pour toute l’histoire du mouvement qui se cache derrière?»

Et Sofian Aissaoui de renchérir. «Des maladresses, il y en a toujours lorsque qu’une culture plus underground devient populaire et que le grand public la fait sienne. Ce sera à la communauté d’installer des pare-feux.»

La reconnaissance

Notre expert voit même plusieurs avantages à cette soudaine popularité dont les artistes eux-mêmes seront les premiers à bénéficier. «Aux Etats-Unis, certaines drags passées dans Drag Race sont devenues millionnaires, à commencer par RuPaul lui-même, analyse Sofian Aissaoui. On n’est pas encore sur des montants de ce genre en Europe mais je sais qu’en France, on a assisté à une augmentation du prix moyen des tarifs des prestations, même pour celles qui n’avaient pas nécessairement participé à l’émission.»

C’est toute la profession qui bénéficierait donc d’une forme de reconnaissance. Un effet domino qui devrait, si tout se passe bien, profiter aussi à la scène belge avec l’arrivée sur la chaîne Tipik de la version locale du célèbre télécrochet. De la bonne centaine de candidatures ouvertes, la production a retenu dix queens venues de toute la Belgique. Baby queens et performeuses plus expérimentées auront ainsi la chance de mettre en scène leurs multiples talents le dimanche soir en prime time.

La drag canadienne Rita Baga aux manettes

«Nous avons veillé à ce que tous les courants du drag belge soient représentés, de l’univers cabaret au message parfois politique à l’esthétique Instagram davantage axée sur la force des looks, détaille Michael De Lil, producteur de l’émission. A aucun moment du tournage, nous n’avons senti les candidates muselées. On les a laissées s’exprimer pleinement tant sur la forme que sur le fond au travers des sujets abordés au fur et à mesure des épisodes pendant les conversations informelles – sur le harcèlement, la difficulté de faire son coming out… – qui se nouent entre les challenges.»

Dans le jury permanent, on retrouvera la créatrice de contenu Lufy et le chanteur et acteur Mustii, le rôle du présentateur revenant à la Canadienne Rita Baga. Une manière d’assurer une impartialité maximale dans une scène drag où tout le monde ou presque se connaît.

5 choses à savoir sur le drag

© Alix Joiret

C’est quoi au juste?

Art vivant, mouvement culturel et forme d’expression queer, le drag est avant tout une performance et une transformation. L’artiste cherche à brouiller les pistes, jouant sur la confusion, voulue, du genre. Dans cette idée, la drag-queen est un homme dont l’alter-ego est de genre féminin et le drag-king inversement. Attention à ne pas confondre drag et transformisme. Là où le second vise à imiter une personnalité connue, le premier préfère créer de toutes pièces un personnage original.

Ça vient d’où?

Une théorie associe les origines de ce mouvement culturel au théâtre élisabéthain où, dès lors que les femmes ne pouvaient pas monter sur scène, les rôles féminins étaient tenus par des hommes «dressed like a girl», donnant naissance à l’acronyme DRAG… Une autre thèse fait référence aux tenues des premiers travestis dont les robes très longues avaient tendance à «traîner» – drag en anglais – sur le sol.

Ils font quoi les drags?

Ce sont des danseurs, chanteurs, humoristes et artistes qui enfilent, le temps d’un numéro, la peau d’un alter-ego exubérant, loufoque et flamboyant. Pour Paloma, gagnante de la première édition de Drag Race France, «être drag-queen, c’est comme enfiler un costume de super-héros».

Drag = trans?

C’est l’erreur à ne pas commettre. La transidentité est le fait pour une personne transgenre d’avoir une identité de genre différente de celui qui lui a été assigné à la naissance. Le drag est simplement dans la performance, grâce aux costumes et au maquillage.

Tout le monde peut-il faire du drag?

La question fait débat au sein de la communauté. Le monde des drag-queens est généralement associé à l’homosexualité masculine même si en théorie elles peuvent être de toute identité de genre ou orientation sexuelle. Rien n’interdit donc à un homme hétéro de faire du drag – un tel candidat s’est d’ailleurs présenté lors de la quinzième saison de RuPaul’s Drag Race – mais de telles incursions a priori voulues comme des hommages par les intéressés flirtent hélas bien souvent avec l’appropriation culturelle, cet art restant profondément constitutif de la culture LGBTQIA+.

(1) Drag Race Belgique sera diffusé tous les jeudis à 20 heures en primeur sur Auvio à partir du 16 février jusqu’au 6 avril et les dimanches en prime time à 21 heures sur Tipik à partir du 19 février.

(2) L’autre visage des queens et des kings, par Sofian Aissaoui, éditions La Musardine.

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