Barbie peut-elle vraiment être féministe?
Alors qu’elle s’apprête à envahir les écrans dans un biopic signé Greta Gerwig, Barbie cimente un retour en grâce entamé il y a quelques années à grand renfort de poupées célébrant la diversité. Mais peut-elle vraiment être féministe ou bien est-ce antinomique avec la vie en plastique?
Peut-on avoir des mensurations parfaites (ou plutôt, parfaitement irréalistes), un goût prononcé pour toutes les nuances de rose ainsi qu’une vie « fantastique » en plastique et se revendiquer féministe? Longtemps, la question ne s’est pas posée pour Barbie, tant la réponse semblait évidente: un « non » retentissant. La poupée péroxydée a d’ailleurs longtemps cristallisé tous les griefs des femmes engagées, entre promotion d’une image impossible à atteindre du corps féminin et limitation à un rôle de femme objet, simple accessoire agréable à regarder, juste bonne à jouer avec.
Mais ça, c’était avant. Après s’être essayée à des métiers tels que rockstar ou vétérinaire dès le mitan des années 90, depuis quelques temps, Barbie n’a de cesse de s’attaquer au plafond de verre, dont les fragments scintillants qu’elle arrache ont rendu de l’éclat à un jouet qui aurait pu facilement être remisé au placard à la période woke.
Bonniche, la poupée américaine? Voyez plutôt: désormais, elle a le brushing et le tailleur d’une présidente, les traits d’athlètes telles que l’escrimeuse Ibtihaj Muhammad ou la sprinteuse Dina Asher-Smith, et elle représente des beautés différentes, entre poupée en chaise roulante ou porteuse de trisomie 21. Une poupée dévoilée au printemps dernier, vêtue de manière décontractée, avec une paire de baskets sous une robe fleurie épousant des courbes plus généreuses que celles de ses congénères aux mensurations idéalisées.
Ni une ni deux, l’artiste contemporaine liégeoise Aurélie William Levaux n’avait pas manqué de souligner que « la première Barbie qui respecte plus ou moins les proportions féminines, n’est pas vêtue comme une tepu, ne porte pas d’escarpins, mais de sobres baskets, et à laquelle, sérieux, chacune peut s’identifier, vient de sortir, et c’est la Barbie trisomique 21 ». Avant d’ajouter, pince-sans-rire, que « grâce à Mattel l’inclusive, nous connaissons enfin le syndrome duquel nous souffrions toutes depuis de si longues années à notre insu ».
Et si tout le monde n’a pas le verbe aussi haut que l’artiste principautaire, sa réaction à cette nouvelle poupée dont « la silhouette moins élancée et le visage plus rond », dixit Mattel, ne font pas tant écho à ceux des trisomiques qu’à ceux de la majorité des femmes, fait écho à un questionnement dans l’air du temps: Barbie peut-elle vraiment être féministe, ou à tout le moins, un vecteur de changement positif?
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« Ni féministe ni cool »
S’il faut en croire la bande-annonce du biopic de Greta Gerwig, mi-récit d’émancipation de la poupée et mi-moquerie de la niaiserie inutile de Ken, il est tentant de dire que oui. Après tout, la réalisatrice américaine n’est-elle pas elle-même connue et célébrée pour son oeuvre et son positionnement personnel engagés?
Pas si vite, rétorque l’actrice Amy Schumer, un temps pressentie pour incarner Barbie à l’écran avant d’abandonner le projet et de céder sa place à Margot Robbie. Lors de son passage sur le plateau de Watch What Happens Live, Amy Schumer avait ainsi révélé que si elle avait évoqué des soucis d’agenda à l’époque, la vraie raison pour laquelle elle avait décidé de se retirer du film était parce qu’il n’était « ni féministe ni cool », et que la seule manière pour elle d’interpréter Barbie était en tant que créatrice, alors que le studio la voyait plutôt comme une création. Une malédiction pour la poupée?
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Barbie, féministe pop ou bimbo féministe?
Pour la docteure en études littéraires Sandrine Galand, qui a consacré un essai au sujet, Barbie est en effet l’archétype de la « féministe pop », aux côtés d’autre icônes telles que Madonna ou les Spice Girls. Leurs traits communs? « Elles sont belles. Elles sont riches. Elles sont populaires. Elles sont des superstars, et elles se disent féministes.Mais on leur reproche de faire fructifier leurs prises de position ainsi que d’édulcorer les idées politiques dont elles se réclament. Simple plus-value à leur image de marque ou résistance authentique ?
Et si leur discours relevait à la fois de l’une et de l’autre ? » interroge l’autrice, pour laquelle le féministe pop, mercantile et ambivalent, est aussi imparfait qu’efficace, car si les femmes (ou les poupées) qui l’incarnent jouent le jeu du patriarcat contre lequel elles sont pourtant en lutte, c’est justement ce qui leur permet d’attirer l’attention des masses. Et de mobiliser celle-ci pour faire bouger les choses, avance celle pour qui Barbie n’est pas tant un corps qu’un canevas, une certaine idée de la page blanche qui ne demande qu’à être écrite, de préférence en évitant les clichés usés.
Une vision idéalisée de celle qui a récemment soufflé ses 64 bougies sans jamais avoir pris la moindre ride? Depuis sa création, Barbie a exercé plus de 200 métiers différents, dont celui de CEO, de pédiatre ou d’astronaute, contribuant dans la foulée à, si pas créer des vocations, du moins, éveiller dans les consciences enfantines le rêve d’une carrière différente. Un vaillant effort, dont les effets positifs sont toutefois quelque peu mitigés par le constat que sa plastique « fantastique » contribue à mettre la minceur sur un piédestal dans l’esprit (ô combien influençable) des enfants. Et tant pis si depuis le lancement des films qui lui sont dédiés au début des années 2000, la Californienne tient le rôle principal et résout les problèmes prévus dans le scénario sans l’aide d’aucun homme: elle reste majoritairement vue comme une potiche de plastique.
Probablement parce que malgré les efforts de Mattel pour la rebrander en tant qu’icône féministe moderne, son engagement est non seulement imparfait, mais aussi relativement peu diversifé, lié à une forme d’hétéronormativité blanche et cisgenre à l’heure d’un féminisme qui se veut inclusif et intersectionnel. Disons que la poupée est un parfait exemple du « bimbo féminisme », concept a priori antinomique et pourtant bel et bien réel, dont le positionnement de niche explique pourquoi, à l’heure d’écrire ces lignes, il existe autant de billets d’opinion et d’articles pseudo-scientifiques défendant l’argument que la poupée créée par Ruth Handler est (ou non) féministe. Pas surprenant pour un « canevas » qui invite après tout chacun et chacune à y associer un récit subjectif.
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