Féministes engagées au quotidien, elles témoignent

Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web
Aurélie Wehrlin Journaliste
Julie Nicosia Journaliste

Du secteur associatif au cinéma en passant par l’entrepreneuriat, pour celles qui ont la fibre engagée, c’est la Journée internationale des droits des femmes toute l’année.

La Journée des droits des femmes – et non la « Journée de la femme » comme l’ont renommée celles et ceux qui y voient l’occasion de promouvoir aspirateurs, bouquets de fleurs et autres cadeaux genrés.

Ayant provoqué un premier mouvement de mécontentement il y a quelques années, les dénonciations de ces tactiques marketing pour le moins maladroites ont fait place récemment à des protestations plus institutionnalisées.

Des groupements féministes à l’associatif, voire au sein de certains partis politiques, le 8 mars est désormais l’occasion de boycotts symboliques en marge des marches qui voient défiler partout dans le monde des femmes réclamant la parité entre les sexes.

Laquelle, qu’il s’agisse des carrières, des salaires ou simplement des normes sociétales, semble loin d’être acquise, surtout si on regarde le calendrier et qu’on constate qu’une seule Journée des droits des femmes par an, ça en laisse par définition 364 dédiées aux hommes, ce que dénoncent les antagonistes de ces vingt-quatre heures symboliques.

Ceux-ci préfèrent s’engager toute l’année, à l’image des femmes rencontrées pour les besoins de ce reportage. Car ainsi que le souligne l’entrepreneuse bruxelloise Alba Pregja, à l’origine du coworking féminin Womade, « s’il faut une date arbitraire pour conscientiser aux inégalités, pourquoi pas, mais cela doit être un combat de tous les jours ».

On ne naît peut-être pas engagé·e pour les droits des femmes, mais on peut le devenir, pour paraphraser de Beauvoir, et nos huit interviewées donnent l’exemple.

Nos 8 portraits de femmes engagées

Alba Pregja: « Pour moi, la sororité implique de comprendre qu’il y a de la place pour nous toutes »

Passée par les bancs de l’ULB et les bureaux du média international Politico, cette maman de deux enfants originaire d’Albanie déconstruit les croyances limitantes héritées du patriarcat, un cliché à la fois.

Alba Pregja © STUDIO JOLI JAUNE

« C’est quand je suis tombée enceinte de mon premier enfant, une fille, que j’ai eu le déclic », se souvient Alba Pregja. Chez elle, le désir de prouver à sa petite Ella, 5 ans aujourd’hui, « que sa maman osait suivre ses rêves » mais aussi, qu’à son échelle, elle construisait « un monde meilleur pour elle » a débouché sur la création de Womade, un espace de coworking et d’incubation d’idées entièrement féminin.

Comme une forme d’exclusion inversée, dans un monde aux airs de boys club gigantesque ? Que du contraire : « A l’époque, il n’existait pas encore de lieu de ce type en Belgique, et expliquer mon projet n’a pas été simple parce que notre vision du monde est biaisée par des siècles de patriarcat. Plusieurs hommes ont déjà postulé pour rejoindre le coworking. Je ne dis jamais non et je les invite à visiter l’espace pour leur expliquer la synergie du projet. Ils peuvent louer l’espace et sont les bienvenus à nos événements, mais le coworking est réservé aux femmes. »

« Cet entre-soi est important parce qu’il renforce la synergie qu’il peut y avoir entre nous. Les femmes qui viennent travailler ici ne le font pas tant parce que c’est 100 % féminin que parce qu’elles aiment l’ambiance qui s’en dégage. On s’inscrit dans une forme d’entraide bienveillante et si une des coworkeuses célèbre un succès professionnel, ça motive toutes les autres qui n’ont pas encore réalisé leurs rêves et peuvent se nourrir de cette énergie. »

« Les femmes ont le devoir de s’engager »

Alba Pregja

Un changement de paradigme dont Alba reconnaît qu’il demande un peu d’effort à la mise en place. « Je regardais Cendrillon récemment avec ma fille, et ses demi-sœurs la cachent littéralement pour exister. C’est l’antithèse de la sororité : si une femme brille plus que les autres, cela ne veut pas dire que les autres n’existent pas. Pour moi, la sororité implique de comprendre qu’il y a de la place pour nous toutes », assure Alba. Qui s’étonne de rencontrer chez Womade des femmes « qui disent qu’elles ne sont pas féministes, comme si c’était un gros mot » : « Ça m’énerve, parce qu’il existe des différences de traitement selon le sexe, et il y a encore beaucoup de travail à faire pour les gommer.

Pour moi, les femmes ont toutes le devoir de s’engager pour bousculer ce statu quo, en fonction de l’énergie et du temps dont chacune dispose. »

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Géraldine Doignon: « On est parvenues à se rendre indispensables. Et désormais, on ne peut plus nous ignorer. »

Cette réalisatrice et professeur à l’IAD transpire la passion du cinéma, celle de raconter les gens. Et depuis cinq ans, de rendre ce milieu plus juste pour les femmes, qui n’ont toujours pas leur place sur la photo. Une place pourtant légitime, dans la lumière et en sécurité.

Géraldine Doignon @Dominique Houcmant

« Ça a été un véritable choc pour moi. » Il aura suffi d’une photo, en juin 2017, pour que Géraldine Doignon se mobilise pour plus d’égalité dans le monde du cinéma. Un cliché qui rassemblait pour les 50 ans du cinéma belge ses représentants, soit 41 hommes et… 6 femmes.

Cette violence symbolique, elle ne l’avait pas vue venir, n’ayant jamais été confrontée au sexisme de son milieu. « Avant cela, je travaillais dans mon coin, l’envie de faire des films et la volonté farouche d’y arriver chevillées au corps », dit-elle. Indignée, elle se coordonne avec d’autres réalisatrices belges et elles publient leur propre photo de famille ainsi qu’une tribune, « un droit de réponse qu’on s’est octroyé pour que ne soient pas oubliées celles qu’ils n’avaient pas voulu mettre en lumière (….) L’idée était vraiment de dire : on ne veut plus de cette situation. »

Le fameux cliché des 50 ans du cinéma belge à l’origine de l’engagement de Géraldine

Depuis, elle joue collectif, avec pour objectif de sécuriser son monde professionnel et faire tomber les obstacles. « Trop de femmes quittent ce milieu pour se protéger. Parce que ce milieu est sexiste et les conditions de tournage fragilisent les femmes et augmentent les facteurs de risques. Aussi parce que la maternité donne un sérieux coup de frein aux carrières. Les films de femmes trouvent aussi moins facilement de producteurs, de diffuseurs », dénonce Géraldine. Qui confie comme ambition « de mettre en place une sorte de code de la route, un cadre, qui établirait ce qui est acceptable – ou pas – sur le lieu de travail. Et de cette manière, évacuer les abus ».

« Le plus grave, c’est qu’on ferme la porte à presque tous les récits de femmes »

géraldine doignon

Formations, études, statistiques : tels sont les chantiers qu’elle coordonne avec ses pairs, en y consacrant en moyenne une journée par semaine. Pas rien quand on est mère de deux enfants, également investie dans leur école pour former au regard critique. Mais ce combat est aussi devenu source d’inspiration : « Toutes ces histoires sur des situations qu’on ne dit pas ou trop peu sont devenues le terreau de mes propres projets cinématographiques. » Car finalement, « le plus grave, c’est qu’on ferme la porte à presque tous les récits de femmes ». Et de pointer un manque cruel de diversité dans le monde du cinéma, peu représentatif de la société, ni même des écoles d’art.

Même si elle se réjouit du chemin parcouru, des collaborations avec les ASBL, du soutien des pouvoirs publics, mais aussi des acteurs privés. « On est parvenues à se rendre indispensables. Et désormais, on ne peut plus nous ignorer. » Et, même si la route est encore longue, elle se félicite du bilan : le monde du cinéma est en train de changer et cette grande famille de s’affranchir de ses démons.

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Mariama Bah: « C’est important d’oser questionner notre rôle dans la société »

Arrivée en Belgique en 2017 après la mort de son mari, Mariama a dû affronter nombre d’obstacles pour reconstruire une carrière semblable à celle qu’elle avait en Guinée. Et a choisi de la dédier à celles qui, comme elle, ont vécu l’excision, via le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles.

Mariama Bah © ID / BART DEWAELE

« En tant que réfugiée, trouver du travail a été un défi, parce que mes diplômes n’étaient pas reconnus en Belgique et que je n’avais pas d’expérience professionnelle dans le pays. Un jour, on est allé jusqu’à me dire que ma voix n’était pas adaptée au profil des clients belges, et ça m’a donné envie de changer de voie et de faire partie des personnes qui mettent la multiculturalité de la Belgique à profit. C’est comme ça que je suis passée de l’administration des affaires au secteur socio-culturel, parce qu’il me semblait offrir un terreau fertile pour faire changer les mentalités. Le temps que je finisse ma formation, un poste s’est libéré au Gams et j’y ai postulé. »

C’est qu’en Guinée déjà, Mariama, qui a elle-même été excisée à l’âge de 6 ans, luttait contre les mutilations sexuelles. « C’est une pratique qui cause énormément de problèmes de santé, mais en même temps, c’est important de ne pas donner l’impression aux communautés concernées qu’on les rabaisse ou qu’on déshumanise leur culture. Je suis fière d’être Peule, mais ça ne m’empêche pas de questionner des pratiques qui nuisent à la santé », explique celle pour qui cet engagement est une forme de guérison.

« Même si c’est trop tard pour moi, ce n’est pas trop tard pour les autres. »

Mariama Bah

Même si Mariama n’est pas immune au burn-out militant : « Ce n’est pas simple tous les jours, parce que ça fait écho à mon histoire et certains témoignages sont très difficiles à entendre, mais je ne lâche rien, parce que même si c’est trop tard pour moi, ce n’est pas trop tard pour les autres ».

Et pour cette maman de cinq enfants, l’engagement est aussi l’affaire de toute une année. « C’est tous les jours qu’il faut mener le combat pour les droits des femmes, car il y a encore énormément de chemin à parcourir », martèle celle qui a d’abord enseigné à ses fils qu’il ne fallait pas pleurer, avant de réaliser son erreur. « En tant que femmes, on reproduit parfois inconsciemment le schéma d’oppression dans lequel on grandit, c’est important d’oser questionner notre rôle dans la société. »

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Nadine Plateau: « Je me suis aperçue à quel point j’étais colonisée par une culture patriarcale et sexiste »

Professeure de langues de formation, dès les années 70, cette enseignante aujourd’hui à la retraite décide de mener une vie militante en parallèle à sa carrière.

Nadine Plateau © SDP

« J’ai eu 20 ans dans les années 60, des années porteuses sur le plan du rejet de l’autorité, des hiérarchies et de la domination. J’ai été proche des groupuscules de gauche mais je ne me sentais pas totalement concernée, si ce n’est sur le plan de la justice sociale. C’est d’ailleurs cette trame qui m’a animée dans le féminisme », explique cette militante qui n’est pas près de raccrocher et qui s’est d’abord engagée sur la question de l’avortement.

« J’ai eu une enfance privilégiée, j’étais pleine d’illusions et lors des discussions avec les groupes de femmes, je me suis aperçue à quel point j’étais colonisée par une idéologie, une culture patriarcale et sexiste emmagasinée de manière tout à fait inconsciente. J’étais pourtant affectée de la même manière que les autres femmes. Cette prise de conscience ne m’a plus lâchée ! »

Au sein de la Maison des Femmes, sortie de terre en 1974 à Bruxelles, « ce sont la qualité des rencontres, l’effervescente, le dynamisme, le plaisir de construire quelque chose ensemble qui m’a marquée. C’était vraiment la joie quotidienne d’être ensemble et de se dire ‘Voilà, on peut changer le monde’, même si on le changeait de manière extrêmement minime ».

« Je me suis aperçue à quel point j’étais colonisée par une culture patriarcale et sexiste »

Nadine plateau

Et d’ajouter sur la sororité : « Ce n’est pas parce qu’on est femmes qu’on est sœurs. C’est parce qu’on est des femmes avec un projet commun d’agir ensemble qu’on est des sœurs. La sororité, dans l’espace de la Maison des Femmes, s’est construite dans la conscience du pouvoir que nous donnait le collectif dans notre vie individuelle et dans la conscience du plaisir de cet entre-femmes. »

L’engagement de Nadine Plateau ne s’est pas arrêté là, puisqu’elle a aussi fondé le réseau belge des études de genre, Sophia, dans lequel elle s’est engagée des années 90 à 2007. Aujourd’hui, la militante s’inscrit dans un processus de désengagement progressif : « A un certain âge, on peut laisser la place aux autres. Et puis, il y a un moment où il faut se taire ou parler ailleurs. Depuis les années 2000, je retourne à mes préoccupations d’adolescente et de jeune femme : les questions de racisme, d’impérialisme, de colonialisme en travaillant avec des petits collectifs. »

Et de conclure : « C’est très difficile d’articuler le travail, l’action de ces petits collectifs et le mien, comme je n’ai plus d’association derrière moi pour tirer, mais c’est là que j’ai envie de continuer. »

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Maïté Meeûs: « Plus tu fais face à l’injustice, plus tu développes cette envie d’agir »

Elle est à l’origine du compte Instagram « Balance ton Bar » qui a libéré la parole de jeunes femmes victimes d’agressions sexuelles dans des lieux de fêtes. Récompensée du Prix Amnesty Jeune en 2022, la jeune activiste continue de se battre contre les injustices.

Après avoir étudié l’économie, elle a finit par choisir le social. Aujourd’hui, Maïté Meeus, 24 ans, lutte contre la soumission chimique, à savoir l’administration à des fins criminelles ou délictueuses de substances psychoactives à l’insu de la victime. Pour ce faire, elle a créé le compte Instagram Balance ton bar, qui recueille les témoignages des victimes, et ainsi dénonce les agressions sexuelles.

«Plus tu fais face à l’injustice, plus tu développes cette envie d’agir». Cette prise de conscience Maïté l’a eue dès l’enfance, au contact de son entourage. « J’observais comment les femmes étaient traitées autour de moi et je commençais à me poser des questions, à me dire que ce n’était pas normal. »

En octobre 2021, plusieurs témoignages circulaient sur les réseaux sociaux, de plus en plus de plaintes concernant les serveurs d’un café du quartier étudiant de Bruxelles : plusieurs jeunes femmes y auraient été droguées. Un mouvement se crée alors et une manifestation s’organise pour dénoncer les faits.

Maïté décide alors de lancer un appel à témoignages, de le recenser et rendre public en via un compte Instagram qu’elle baptise Balance ton bar, en écho au Balance ton porc apparu quelques années plus tôt en France. Il n’aura suffi que de quelques heures pour cela prenne. Et les messages d’affluer.

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« Mon compte je le vois comme une manière de libérer la parole. Le but est de relayer un maximum d’informations sur les aides et assistances qui existent. »

Un point compliqué car « bien souvent, les personnes ne savent pas si elles peuvent porter plainte, où elles peuvent se diriger, ne savent pas ce qu’est un CPVS – Centre de Prise en charge des Violences Sexuelles. Il est important de réduire cette détresse-là ».

« Quand je me retrouve face à la souffrance, à la détresse, je ne peux pas rester sans agir »

maïté Meeûs

La jeune femme constate aussi que le grand public commence à prendre vraiment conscience du phénomène de soumission chimique, mais aussi des violences sexuelle et sexistes. Et le nombre de témoignages provenant d’autres villes, à l’instar de Liège ou Marseille par exemple, d’augmenter. « Je ne pouvais pas tout centraliser moi-même, c’est donc mieux que chaque ville ait son propre compte Balance ton bar, afin qu’il ait un suivi efficace et rapide ».

Il existe actuellement pas moins de 60 de ces pages qui agrègent les témoignages pour le territoire belge bien sûr, mais aussi pour la France, l’Espagne et la Tunisie. « Il est important de bien s’accrocher et de continuer de se battre » répète Maité, « même si ces sujets sont durs, quand j’aide ces personnes, je me sens bien et alignée avec moi-même. »

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Pascale Urbain: « Ce n’est pas grâce à moi seule que ça fonctionne, mais bien grâce à l’ADN de l’équipe de Brise le silence »

Après être passé par différents secteurs d’activité, Pascale commence à travailler avec les victimes grâce aux réseaux sociaux en animant des groupes de parole. En 2015 elle décide de créer l’association Brise le silence, une aide aux victimes de violences sexuelles.

« J’ai presque toujours fait ça, c’est une vocation pour moi. Dans ma vie, j’ai rencontré beaucoup de victimes et parfois même sans le vouloir. Que ce soit dans un train ou dans un magasin, les gens viennent et se confient naturellement à moi. »

Pour Pascale Urbain, Brise le silence a rapidement eu du succès car rien n’existait avant et qu’il y avait un manque cruel dans l’accompagnement d’une victime de violences sexuelles. Elle constate à regret que certaines victimes rencontrent encore des professionnels qui leur disent d’oublier leur passé.

« Avec Brise le silence, il existe une véritable horizontalité dans la communication entre nous, les participantes et les animatrices. Cela permet d’entretenir une relation de confiance sans une potentiel emprise de la part d’un psychologue ou d’un expert ».

« Lorsqu’une personne subi un viol cela déclenche une dissociation. On se protège pour éviter une crise cardiaque », explique Pascale. «Ta tête quitte le corps et tu deviens presque spectateur, tu ne sais plus ce qu’il se passe».

« Ce n’est pas grâce à moi seule que ça fonctionne, mais bien grâce à l’ADN de l’équipe de Brise le silence »

Pascale Urbain

La mission de l’association est de rappeler aux victimes qu’elles ne sont pas uniquement des victimes. Ce sont des femmes, des hommes, un père ou une mère avec des goûts et des envies.

Brise le silence est un projet imaginé par Pascale Urbain, auquel elle n’a pas eu la chance d’accéder dans son propre parcours. Un suivi qui comporte une écoute, sans jugement, de la part d’un duo composé  d’une psychologue et d’un membre – que l’on appelle ici une « paire aidante ».  Mais aussi des ateliers de gestion des émotions, de développement personnels, de confiance et d’affirmation de soi, des groupes de paroles mis en place afin d’exorciser ces émotions.

« Nous sommes comme une bulle qui comporte plusieurs petites bulles qui interagissent les unes avec les autres en toute sécurité. Chaque bulle est fragile et avance avec sa propre temporalité ».

Il arrive que certaines des personnes qui ont bénéficié d’un suivi ici deviennent elles-mêmes bénévoles au sein de l’association. « Je suis fière d’elles car c’est un vrai symbole de résilience et d’évolution. Ici, nous travaillons tous les jours avec nos trippes et notre cœur, corps et âme. C’est ça qui importe finalement. »

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Marie Dosquet: « Les hommes gardent plus facilement leurs activités passion »

Il y a deux ans, Marie, la petite trentaine et jeune maman, se lance dans l’aventure féministe. Pas la bruyante, militante et bravache. Plutôt celle qui nous arme pour la vie de tous les jours, qui donne confiance aux femmes, qui les sort de leur isolement pour leur (re)donner du jus, du temps.

Marie Dosquet
Marie Dosquet © Louise Servan

A ce moment-là, Marie est une toute jeune maman. Un moment-clé, « la maternité, l’isolement qui s’ensuit, l’exclusion de l’espace public. Mais aussi le scandale des crèches trop chères et en nombre insuffisant. Sans oublier le bouleversement identitaire qu’elle provoque. » Tout ça vient servir de point de bascule à une sensibilité à la cause féministe qui ne date pas d’hier.

D’autres leviers avaient déjà été levés depuis longtemps: « le harcèlement de rue, des situations problématiques avec des personnes d’autorité, des profs par exemple. Puis l’entrée sur le marché du travail. J’ai senti que je devais vachement plus faire mes preuves en tant que femme, qui plus est jeune, pour avoir une chance de décrocher un contrat.

À l’époque (2013), je travaillais dans un journal et pour le 8 mars une collègue plus expérimentée m’a proposé de contribuer à un supplément sur l’égalité dans le monde du travail. J’ai parlé avec des personnes super intéressantes et ça m’a bien fait ouvrir les yeux. À partir de là j’étais très alerte sur cette question dans le monde professionnel, puis ça a été comme une paire de lunettes qu’on enfile et qui rend visibles toutes les inégalités et les discriminations dans tous les domaines. Impossible de faire marche arrière. »

« J’ai l’impression que les hommes cis parviennent plus facilement à garder leurs activités “passion” parce qu’ils les considèrent comme une priorité et qu’ils culpabilisent beaucoup moins. »

Quand l’urgence des bouleversements liés à la maternité se fait jour, elle repense aux années qui l’ont précédée. En 2020, elle était fraîchement revenue d’un séjour de deux ans en Australie, où elle était partie vivre pour des raisons professionnelles. « Je n’y connaissais personne, et mon compagnon travaillait souvent le soir. Je me suis retrouvée avec beaucoup de temps libre. J’ai alors repris goût à des activités que j’avais quand j’étais plus jeune : la peinture, la danse, le sport. En Australie, c’est tout à fait normal de consacrer beaucoup d’énergie à ses passions, au même titre que son travail ou sa famille, ses amis. Ça m’a beaucoup inspiré. »

Après avoir été frappée par le changement de vie que provoque l’arrivée d’un enfant, «j’ai eu besoin de rassembler des gens et de créer un espace “safe” à nous. Nait alors le projet les allié·e·s. Il s’adresse à toutes les personnes sexisées, c’est-à-dire qui sont victimes du sexisme et du patriarcat (femmes cis, personnes trans et personnes non binaires). L’idée est de se rassembler le temps d’un week-end autour de différentes activités créatives. J’ai remarqué autour de moi que souvent on a délaissé nos passions au fur et à mesure pour se consacrer à son travail, son foyer, ou des choses “d’adulte”. »

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L’idée est d’offrir ces plages de découverte de soi, d’épanouissement, de créativité. «  C’est dommage parce que c’est très précieux d’avoir ces pratiques comme exutoire, à fortiori quand on subit des discriminations et qu’on vit des choses parfois dures. De leur côté, j’ai l’impression que les hommes cis parviennent plus facilement à garder leurs activités “passion” parce qu’ils les considèrent comme une priorité et qu’ils culpabilisent beaucoup moins. Sans compter le fait qu’ils ont encore majoritairement plus de temps libre étant donné le déséquilibre persistant dans le partage des tâches domestiques, l’éducation des enfants, la charge mentale, etc. ».

Depuis, elle organise régulièrement des stages comme des bulles salvatrices. « Il y a chaque fois aussi un atelier d’écriture. Autres activités des précédentes éditions: danse, céramique, intro à l’œnologie, slam, formation sur la lutte antiraciste. C’est toujours super gai de réfléchir au programme, de trouver le bon dosage entre des activités amusantes, inspirantes, parfois plus chargées émotionnellement… »

Une mission que cette jeune maman active s’est fixée et qui lui demande un engagement de tous les jours, pour trouver et mettre en place les activités adaptées à ces quelques précieuses heures de liberté, faire appel à des structures existantes pour les réaliser, des artistes, des associations, etc. Puis en faire la promotion, trouver les participant·es, le convaincre de se consacrer du temps, monter un groupe.

Ses petites victoires à elle, c’est assister à la naissance de complicités entre les participantes après quelques heures passées ensemble. Mais aussi rassembler des personnes d’horizons, de générations différentes, etc. Et « collaborer avec des personnes qui m’inspirent et les faire découvrir à d’autres (la slameuse Joëlle Sambi, la sommelière Sandrine Goeyvaerts, l’autrice Claire Deville, l’autrice et animatrice d’ateliers d’écriture Alice Legendre…).»

Une difficulté? « Parvenir à monter un groupe réellement diversifié quand on est soi-même blanche, cis genre et en couple hétéro, ça demande un travail de déconstruction et je dois bien me rendre à l’évidence que ça ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut accepter que ça soit un processus. »

Retrouver les allié.e.s sur Instagram @lesalliees

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Hannah Geeraeerts: « Pourquoi les protections hygiéniques ne sont pas disponibles dans les toilettes? »

Hannah Geeraeerts a fait de la précarité menstruelle son cheval de bataille. Elle est coordinatrice à BruZelle, une organisation qui lutte contre la précarité menstruelle en distribuant des produits menstruels gratuitement et en dispensant des formations dans les écoles.

precarite menstruelle hannah bruzelle

Être réglée plus tôt que prévu et devoir demander une protection hygiénique à des amies, des collègues ou au secrétariat : une situation peu agréable que toutes les femmes connaissent. Une jeune femme sur huit serait confrontée à ce scénario chaque mois. Pourtant, la précarité menstruelle n’est presque jamais abordée. « C’est un double tabou ».

D’après une enquête réalisée par la branche flamande de l’organisation contre la pauvreté Caritas, en Flandre, environ 12 % des jeunes filles n’ont parfois pas d’argent pour acheter des produits menstruels, et 5 % ont déjà dû manquer les cours pour cette raison. Derrière ces chiffres se cachent des histoires de filles ou de femmes qui doivent redoubler de créativité en utilisant du papier toilette, des chaussettes usées ou de vieux pantalons à la place de protections dignes de ce nom. Et qui doivent parfois mettre leur vie en pause chaque mois parce que la honte est trop lourde.

« Beaucoup de filles ne demandent pas de serviettes hygiéniques ou de tampons à la maison. Parce qu’elles n’osent pas, ou parce qu’elles savent que leur famille n’a pas assez d’argent pour en acheter. Un double tabou entoure ce problème », nous explique Hannah Geeraeerts, de BruZelle, une organisation qui lutte contre la précarité menstruelle de manière très concrète. « Presque toutes les écoles sont convaincues que la précarité menstruelle ne touche pas leurs élèves. Par expérience, je sais que ce n’est pas vrai : la précarité est partout. Il n’y a pas de place pour la mauvaise foi lorsque certaines élèves sont absentes quelques jours par mois. »

Les règles n’ont rien à voir avec les émissions nocturnes

La précarité menstruelle couvre trois aspects: l’absence d’accès aux produits menstruels, l’absence d’accès à des installations sanitaires et le manque de connaissances au sujet des menstruations. Cette dernière catégorie touche beaucoup plus de personnes qu’on pourrait le croire. « Les cours classiques dispensés dans les écoles sont axés sur la biologie et sont très pragmatiques, nous explique Hannah, l’aspect social est totalement ignoré, ce qui crée un énorme tabou. De nombreux jeunes n’osent tout simplement pas poser leurs questions. Et je ne parle pas que des jeunes défavorisés, cela s’applique à presque tout le monde. Les garçons de 12 ou 13 ans pensent souvent que les menstruations sont l’équivalent des émissions urinaires nocturnes. Et beaucoup de filles ne savent pas que le vagin et l’urètre sont deux choses différentes. Je suis toujours étonnée de voir à quel point peu de jeunes filles s’intéressent à ce qu’elles ont entre les jambes. »

La sensibilisation aide, selon Hannah. « Après chaque formation, les élèves remplissent un formulaire d’évaluation. Après une heure de cours, ils cochent encore qu’ils ont une certaine réticence à parler des menstruations. Après deux heures, ils admettent souvent être prêts à discuter ouvertement du sujet. Une seule heure peut déjà faire toute la différence ».

Sale et impur

La précarité menstruelle s’inscrit souvent dans un cadre plus vaste. Les familles les plus vulnérables utilisent souvent leur argent pour acheter du pain ou d’autres produits alimentaires de base. Les produits menstruels étant chers, ils font alors rarement partie des achats. Alors que ce sont aussi des produits essentiels. Nous constatons également des problèmes dans les familles où les finances sont gérées par un homme. Il ne se rend pas toujours compte de l’importance de ces produits, qui sont donc facilement oubliés dans les dépenses. Aux yeux de nombreuses personnes, les menstruations sont encore quelque chose de sale et d’impur. Merci le patriarcat. »

« On constate fréquemment que de nombreuses organisations de lutte contre la pauvreté négligent également l’importance des produits sanitaires. Les sans-abri peuvent se rendre dans les banques alimentaires ou demander un toit pour la nuit, mais les tampons ou les serviettes hygiéniques font rarement partie des services proposés. Je ne comprends vraiment pas pourquoi les serviettes hygiéniques ne sont pas simplement disponibles dans toutes les toilettes, gratuitement et discrètement. C’est aussi essentiel que le papier toilette. Nous ne nous promenons pas dans la rue avec un rouleau de papier toilette dans notre sac à dos. Alors pourquoi trimballons-nous des serviettes hygiéniques partout où nous allons? Là encore, nous pouvons remercier le patriarcat. »

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