Jane Austen
Jane Austen égérie de la Gen Z DR Weekend

Comment Jane Austen est devenue l’icône romantique de la Gen Z

Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste

Génération ultraconnectée, la Gen Z l’est aussi à ses sentiments, et elle a trouvé dans les écrits d’une auteure pour le moins analogue un écho à son rapport aux relations: de TikTok à Instagram, Jane Austen fait sensation.

Oui « la » Jane Austen, née il y a plus de deux cent ans et entrée à la postérité grâce à des romans tels que Raison et Sentiments, Orgueil et Préjugés, Persuasion ou encore Emma. Des ouvrages à l’approche résolument réaliste du quotidien des ses pairs et du décalage entre le peuple et la bourgeoisie britannique, trame de fond de plus d’une relation amoureuse contrariée dans ses écrits. Lesquels, bien que considérés comme modernes pour une époque pétrie de sentimentalisme, voire même, féministes avant la lettre, peuvent parfois paraître désuets, ou du moins, à mille lieues des préoccupations de la jeunesse actuelle. Laquelle a pourtant érigé Jane Austen au rang d’égérie romantique surprenante sur les réseaux sociaux.

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Signe des temps (et de l’engouement), sur TikTok, le hashtag Jane Austen comptabilise plus de 600 millions de vues. Soit, à titre de comparaison, plus de 30 fois le nombre d’exemplaires d’Orgueil et Préjugés vendus à ce jour dans le monde. Un emballement qui n’est pas dû (uniquement) à la qualité de sa prose mais bien, ainsi que l’a révélé une étude académique récente de l’université de Cambridge, intelligemment intitulée « OMG Jane Austen », au fait que celle-ci, ainsi que les adaptations qui en ont été faites, soient extrêmement « meme-ifiables ». Et les auteurs de l’étude d’aller jusqu’à affirmer que Jane Austen est l’auteur à la source du plus de memes après Shakespeare himself.

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Dont acte: sur Instagram, une variation de comptes au nom en offrant une variante avec ou sans « s » et barre de soulignement partagent des « Jane Austen Memes », et Pinterest n’est pas en reste, des planches entières de la plateforme étant dédiées aux inspirations pour meme-ifier Elizabeth Bennet ou M. Darcy. Mais l’auteure britannique est bien plus que la somme des bons mots et autres idyosincrasies de ses personnages, et si elle trouve un tel écho aujourd’hui, c’est paradoxalement parce qu’elle offre une alternative au rythme effréné de notre société ultra connectée.

#MeToo, la masculinité toxique et Mr Darcy

Pour Julia Golding, tellement fan de l’oeuvre de la romancière qu’elle lui a consacré un podcast et une série de romans policiers pour enfants, « Jane Austen offre à chacun d’entre nous la possibilité de faire un pas de côté et de s’offrir une respiration bienvenue au sein des univers qu’elle crée. Et dans lesquels, une fois qu’on y est immergés, on réalise qu’on a bien plus de points communs avec le passé qu’on ne pourrait le penser ». À commencer par le fait que bien qu’il n’y ait eu ni smartphones in Internet ni même de télévision à l’époque de Jane Austen, les membres de la société étaient tout autant observés à la loupe, leurs moindres faits et gestes distordus non pas par le prisme des réseaux sociaux mais bien par celui des commérages et de l’examen social minutieux inhérent à l’époque.

Pour Shreya Goswami, qui s’est penchée sur le sujet pour le compte de la plateforme indienne féministe et collaborative Her Circle, « la manière dont elle reflète les moindres aspérités de la société fait que ses livres restent modernes. Le fait que les histoires qu’elle a choisi de raconter résonnent encore auprès des femmes plus de deux siècles après leur écriture, et continuent d’épingler des aspects malheureusement toujours présents de notre société, font d’elle une auteure que nous devrions tous lire au moins une fois dans notre vie ». D’autant que si son Mr Darcy se prête particulièrement à la création de memes en tout genre, il offre aussi à une génération en perte de repères une image différente de la masculinité, à mille lieues des propos masculinistes tenus par un Andrew Tate.

Darcy vs. Darcy! (We'll take both!) #LiteraryMeme #JaneAusten #NeverTooMuchDarcy

Posted by The Jane Austen Centre, Bath on Wednesday, November 2, 2016

Dans un contexte où la notion de masculinité a été bousculée par une série de mouvements sociétaux allant de #MeToo à la fluidification des normes de genre, Mr Darcy s’inscrit à contre-courant des revendications violentes qui ont émergé, et fait à nouveau figure d’homme idéal des années après que Colin Firth en ait convaincu des générations de fans, d’abord dans le rôle titulaire puis en tant qu’éponyme dans la saga Bridget Jones. Et là où par le passé, il pouvait être épinglé pour la manière dont il gardait ses émotions sous contrôle, c’est aujourd’hui vu comme une bonne chose, tout comme l’équilibre entre sa force de caractère et sa sensibilité, pourtant raillé par certains de ses rivaux. Tant sa « virilité délicate » que la manière dont il n’hésite pas à se remettre en question pour être digne de l’amour d’Elizabeth Bennet vont droit au coeur d’une génération lassée de swiper – et d’accumuler une collection de dick pics indésirables au passage.

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Pour Katerina Kitsi-Mitakou, co-auteure de l’étude académique OMG Jane Austen avec Maria Vara, en parvenant à faire coexister harmonieusement ce qui est conventionnellement considéré comme des qualités masculines avec de la sensibilité et du respect pour les femmes, le héros d’Orgueil et Préjugés « est le parfait antidote aux types de comportement qui ont donné naissance au mouvement #MeToo ». Et la chercheuse d’ajouter une raison supplémentaire pour expliquer comment l’auteure du 19e siècle est devenue l’icône d’une génération née aux abords du cap d’un nouveau millénaire. « Les memes sont des répliques culturelles qui séduisent leur public en lui offrant de mini-doses d’ironie. Or c’est pile ce qu’Austen faisait dans ses livres, en recontextualisant d’autres oeuvres pour exposer de nouveaux points de vue sur la société qui l’entourait ». Et si Katerina Kitsi-Mitakou concède que de par leurs thématiques et leur format, les Jane Austen Memes ne nécessitent pas d’avoir lu le moindre de ses livres pour être compris, ce serait dommage de passer à côté de l’opportunité de découvrir son oeuvre plus en profondeur.

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