L’arnaque des « nouveaux pères », ces hommes « qui font les malins alors qu’ils en font tellement moins que leur partenaires »
Après Les Contraceptés, leur enquête sur la contraception masculine, les journalistes Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain unissent à nouveau leurs forces pour dénoncer « l’arnaque des nouveaux pères », ces hommes qui en font des tonnes alors que dans les faits, ce sont toujours leurs partenaires qui assument le gros du boulot.
Tirez une vignette de la parentalité au hasard. Ici, une réunion de parents d’élèves, là, une couche qu’il s’agit de changer en public, et vite. Cela peut aussi être un biberon donné en terrasse, une main maintenant le poupon tandis que l’autre tente d’acheminer verre ou fourchette vers la bouche de l’adulte en charge du bibi de Junior. Ou bien une virée shopping, un passage à la bibliothèque ou encore la transformation en taxi pour amener Mini à son tourbillon d’activités du mercredi. Réalisées par une maman, ces activités sont banales, normales, tellement attendues qu’on ne les remarque même plus. Mais si d’aventure, c’est un papa qui s’y colle, soudain, place à l’émerveillement et à l’extase. Bienvenue dans l’arnaque des nouveaux pères, dénoncée avec un humour mâtiné de rigueur journalistique par nos confrères français Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain.
Lesquels avait déjà choisi de s’attaquer à ce qu’ils qualifiaient alors de « dernier tabou », c’est à dire la contraception masculine, et poursuivent avec L’arnaque des nouveaux pères (illustré par Antoine Grimée et paru aux éditions Glénat) leur déconstruction de cette masculinité dont la toxicité se cache derrière une façade « d’allié ». Entre tentative de définition du « père éthique » et remise en question des rôles genrés, rencontre avec deux journalistes engagés.
Votre ouvrage dénonce « l’arnaque des nouveaux pères »… De quoi s’agit-il?
Stéphane Jourdain: “Il nous a semblé que les pères ou en tous cas pas mal de pères se racontaient un peu une histoire. Ils donnent plus de biberons et changent plus de couches que leur pères certes mais ils en font tellement moins que leur partenaire que ça n’a pas beaucoup de sens de faire les malins sur Instagram… Donc le point de départ du livre c’est ça: “est-ce que les pères se voient plus beaux qu’ils le sont ?”. On a dû bien gratter pour trouver des stats mais on n’a pas eu besoin d’aller très loin pour trouver des témoignages de femmes et les deux concordent: on est loin d’un monde égalitaire… »
Guillaume Daudin: « Ce qui est intéressant, c’est que ça fait 40 ou 50 ans qu’on parle de nouveaux pères… Les nouveaux pères d’aujourd’hui sont donc déjà des nouveaux pères par rapport à leurs pères, qui eux-mêmes auraient été des nouveaux pères. On voit bien le flou de cette notion qui n’est pas très théorique. Ce qui n’est pas flou, en revanche, c’est qu’elle est constamment utilisée pour évoquer un engagement accru des pères dans la parentalité. Accru par rapport à leurs parents, oui, pourquoi pas, et encore, mais alors par rapport à leurs compagnes, il reste encore du chemin ».
Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’explorer ce sujet?
SJ: “Moi en tant que journaliste, ça m’intéresse quand des êtres humains se racontent une histoire, quand ils se rassurent en travestissant un peu la réalité. C’était aussi un peu le sens des Contraceptés: il y a un tabou que les hommes ne veulent pas regarder, mettons un coup de lampe torche dessus… »
GD: “Le couple hétérosexuel, c’est quand même le coeur nucléaire de l’organisation d’une bonne partie de la société, même si ça tend à diminuer. Voir à quel point il est fondé sur une inégalité qui persiste mérite d’être interrogé. Cela a déjà été fait par de nombreuses écrivaines féministes, qui se sont beaucoup intéressées à la place des femmes dans cette situation inégalitaire. On voulait interroger l’autre versant, la place des pères là-dedans et le fait qu’ils tardent à abandonner leurs privilèges patriarcaux ».
Même s’il y a parfois une forme « d’arnaque », n’assiste-t-on pas toutefois à une évolution positive, surtout par rapport à la génération d’avant pour qui la parentalité était une affaire de femmes?
SJ: “L’évolution est clairement positive. Il y a même des situations, assez rares, où les hommes en font plus. Mais à ce rythme là, dans combien de temps allons nous arriver à un monde vraiment égalitaire ? Dans une génération ou dans 300 ans ? C’est toute la question. Si on peut participer à mettre un trés léger coup d’accélérateur, on en sera content…”
GD: “En France, les hommes faisaient 21% des tâches parentales en 1986. En 2010, c’est 30%. D’après Doctolib, en 2023, 83% des rendez-vous médicaux pour les enfants sont pris par les mères. On voit bien l’évolution positive, mais surtout le fossé qui perdure encore entre l’implication des femmes et celle des hommes dans les couples hétéros, et ce alors que la charge mentale est difficilement mesurable. C’est ce qu’on a voulu retenir, ce besoin d’une égalité qui progresse bien plus vite manifesté par de nombreuses mères hétéros ».
Pour vous, ce serait quoi un nouveau père qui n’arnaquerait pas sa partenaire? Faut-il même parler de « nouveaux pères »?
GD: “Un nouveau père éthique peut se regarder dans la glace et être regardé par sa compagne hétéro sans que les deux ne se disent qu’il triche, qu’il occupe une place minimale. Et profite de la situation en délaissant structurellement et durablement la majorité des tâches du foyer à sa compagne qui en retour doit se sacrifier pour que la maison tourne. Un père “éthique” ferait cela, ce partage égal, mais sans le revendiquer ou s’en vanter. Il est parent à part entière, et c’est normal ».
Comment expliquer qu’en 2024, on n’ait toujours pas atteint la parité de la parentalité? Et surtout, comment pourrait-on l’atteindre selon vous?
SJ: “Il y a deux choses qui me semblent assez nécessaires dans un premier temps. La première c’est d’avoir un congé paternité aussi long que celui des femmes pour éviter que dès le départ, l’homme soit dans une situation de personne qui seconde la femme, de personne qui tend l’oreille quand on lui prodigue des conseils puisque de toutes façons, il sait qu’il va vite retourner au boulot. La deuxième c’est que l’entreprise s’adapte un peu plus aux besoins des pères (et des mères). Qu’il soit plus facile de prendre du temps pour ses enfants, le pédiatre, gérer les activités para-scolaires etc. etc; quand on est un jeune père quitte à travailler plus à d’autres moments ».
GD: “Ce que Stéphane dit est juste: j’ajouterais à ces raisons politiques et structurelles évidentes la nécessaire remise en cause des pères hétéros, qui doivent abandonner un certain nombre de privilèges patriarcaux par lesquels ils échappent à leur vie familiale et domestique ,pour justement pleinement réinvestir celle-ci. Sans cette volonté d’avancer, y compris par du militantisme, cela ne changera pas ».
Les femmes ont-elles aussi une responsabilité dans cette arnaque? Si oui, laquelle?
GD: “C’est la question glissante qui nous a été soumise par de nombreuses femmes et/ou mères qu’on a interrogées pour l’enquête. Nombre d’entre elles disaient aussi que les femmes devaient lâcher du lest et lâcher des tâches à leurs compagnons si elles voulaient être un peu plus tranquilles. Derrière ça, les écrits féministes montrent le poids de la double assignation pesant sur les femmes: on leur demande à la fois d’être plus cool au foyer tout en les rendant responsables de la bonne tenue de celui-ci, de la bonne éducation des enfants. Si elles voient que leur compagnon ne tient pas la route, elles ont tendance à reprendre la place qui leur est assignée, ce qui leur économisera aussi parfois de l’énergie qu’elles pourraient perdre à éduquer leur +1″.
Avez-vous un message à faire passer aux pères qui disent qu’ils « babysittent » quand ils doivent s’occuper seuls des enfants si leur femme s’absente?
GD: “Pour moi, à partir du moment où on fait un enfant et qu’on est en mesure de tenir une place de parent, on doit prendre la pleine mesure des responsabilités qui en découlent. Le fait que ça prend du temps, que parfois c’est dur, mais qu’on ne peut pas se défiler et forcer l’autre à gérer tout en sacrifiant inéquitablement une partie de sa vie ».
Planches et visuel de couverture tirés de L’Arnaque des nouveaux pères, de Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain, aux éditions Glénat / Plus d’infos via @lescontraceptes
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