Le congé menstruel, bonne ou mauvaise idée finalement?

L’Espagne pourrait devenir le premier pays d’Europe à instaurer un congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses. Si en France par exemple, une partie des femmes se disent favorables à cette mesure, d’autres pointent les risques de discrimination qu’elle pourrait induire.

« La veille de mes règles, ou les deux premiers jours, il m’arrive d’avoir tellement mal que me lever du lit est une véritable torture », confie Angélique, qui souhaite taire son nom de famille, 28 ans, salariée dans le secteur social.

« Je pars parfois plus tôt (du bureau), quand je sens que je ne vais pas pouvoir supporter la douleur », dit-elle à l’AFP. « En plus, mes règles sont super abondantes, je dois aller aux toilettes toutes les heures, sinon j’ai le jean taché ».

Plus fatiguée, moins productive en raison de ses douleurs « qui irradient parfois jusque dans (ses) jambes ou (son) dos », elle se dit favorable à la mise en place du congé menstruel, afin de s’assurer de ne « pas perdre de salaire ».

68% des Françaises seraient favorables à la création d’un congé menstruel, et même 78% chez les 15-19 ans, selon une étude de l’institut de sondage Ifop, réalisée en mars 2021 auprès de 1.009 femmes âgées de 15 à 49 ans.

« Rentrez chez vous »

Toutefois, pour l’association française Osez le féminisme, ce congé est une « fausse bonne idée ». « Cela peut soulager les personnes qui subissent des douleurs indisposantes, et +visibiliser+ l’endométriose, qui était jusqu’à récemment cachée », assure à l’AFP Fabienne El-Khoury, chercheuse en santé publique et porte-parole de l’association.

Mais « par cette unique solution, on dit aux femmes +ok, rentrez, souffrez chez vous+ », estime-t-elle. « On ne fait pas l’effort nécessaire pour soigner les maladies sous-jacentes qui causent ces douleurs », et le diagnostic de l’endométriose est souvent tardif, faute de « moyens alloués à la recherche ».

Pour l’instant, une poignée d’entreprises –la coopérative La Collective à Montpellier (sud) ou la start-up Louis Design près de Toulouse (sud-ouest)– ont mis en place le congé menstruel en France, via des accords d’entreprise ou des décisions unilatérales, même en l’absence de loi. Le dispositif est déjà instauré dans plusieurs pays du monde, comme au Japon où ce congé est inscrit dans la loi depuis 1947.

Pour Caroline Mouriquand, avocate en droit du travail chez Bird&Bird, « l’initiative est louable, mais elle peut desservir les femmes en créant une discrimination à l’embauche ». « Si on suivait le modèle espagnol, on leur offrirait 50% de congés payés supplémentaires » à raison de trois jours par mois, observe Me Mouriquand, une situation qui peut créer, selon elle, des « tensions et une frustration en augmentant la charge de travail des collègues ».

Secret médical

Cela « peut poser des problèmes en matière d’égalité femmes-hommes », avec des salariés non concernés qui pourraient se sentir « lésés », renchérit Jean-Marc Morel, expert Ressources humaines associé chez RSM.

« Et qui paie? » s’interroge M. Morel. « Les mesures spéciales d’arrêt maladie en raison du Covid-19 par exemple étaient mises en places par l’Etat, donc payées par la Sécu » (Sécurité sociale française). Or dans le cas d’un accord d’entreprise, le congé menstruel payé à la salariée et son remplacement sur le poste sont à la charge de l’employeur, en l’absence de loi.

La mesure est « contre-productive », pour Me Caroline Mouriquand: « Une femme souffrant de règles douloureuses ou d’endométriose est généralement suivie, et peut donc déjà bénéficier d’un arrêt maladie » sur lequel les raisons de son absence ne sont pas indiquées, « ce qui permet de protéger le secret médical », bien qu’un délai de carence s’applique dans le cas d’arrêt maladie.

« L’employeur n’a pas à savoir que l’arrêt est lié à la condition de femme de la salariée », ajoute-t-elle, afin d’éviter toute stigmatisation « émanant de collègues ou des services de ressources humaines ».

Fabienne El-Khoury, elle aussi inquiète pour le secret médical des salariées, imagine l’annonce anticipée de la grossesse d’une salariée: « Si d’un coup, elle ne prend plus son congé menstruel car elle est enceinte, elle serait contrainte de l’annoncer » contre son gré.

De son côté, « pour protéger les femmes dans cette situation, sans les stigmatiser ni rompre le secret médical », la CGT, un des principaux syndicats de salariés du pays, « ne revendique pas de droit à congé spécifique mais demande tout simplement la fin des jours de carence existants ».

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