Kidorama: « Dis-moi comment tu t’habilles, je te dirai qui tu es, mon enfant »

Robes de baptême, mini crinolines, robes à smocks ou encore tenues assorties mère-fille pour l’Expo 58… Kidorama dresse le portrait de 200 ans de mode enfantine. © photos: Musée Mode & Dentelle Emmanuel Laurent / Musée Mode & Dentelle A. Anoni
Anne-Françoise Moyson

Avec Kidorama, le Musée Mode et Dentelle de Bruxelles expose, dès ce 8 juillet, les trésors de sa collection et interroge la mode pour les 0-12 ans à la lumière de son histoire. Dis-moi comment tu t’habilles, je te dirai qui tu es.

Dans les entrailles du Musée Mode & Dentelle, on trouve des robes de baptême, des mini crinolines, des costumes marins, des robes à smocks, des déguisements, des micro Converse, des silhouettes labellisées belges – Dujardin, Noukie’s ou Max et Lola –, des vestes durables et même des tee-shirts à messages. Autant de vêtements taille 0-12 ans qui racontent la place de l’enfant au sein de notre société. Tout cela valait bien une expo. Rencontre avec Catherine Gauthier, conservatrice du musée, et Mathilde Semal, assistante scientifique aux collections, toutes deux co-commissaires de ce parcours.

Pourquoi une telle expo?

Nous avions envie de valoriser notre grande collection de mode enfantine. Parmi nos 15 000 pièces de dentelle, vêtements, accessoires datant du XVIe siècle à nos jours, 10 à 15% concernent les enfants. Ces vêtements sont souvent conservés dans les familles, parce qu’ils ont une charge émotionnelle et mémorielle et que l’idée de transmission est importante. Nous avons par exemple une kyrielle de robes de baptême, à tel point que nous refusons dorénavant les dons. Récemment, nous avons fait un état des lieux de la collection. Cela nous a servi de base pour écrire le scénario de notre expo, à la fois chronologique et thématique: nous voulions interroger la mode actuelle pour les 0 à 12 ans à la lumière de son histoire.

La question de l’unisexe et du non-genré est très prégnante mais on n’a jamais autant genré les bébés.

Et qu’avez-vous découvert?

La permanence des sujets de société sous-jacents au vêtement pour petits: la question du genre, de l’économie, de la durabilité, de la mode. Ces thèmes nous permettent de créer un dialogue avec nos pièces historiques pour montrer que les questions que l’on se pose ne sont pas nouvelles.

La mode unisexe occupe aujourd’hui le devant de la scène. Comment l’abordez-vous?

Kidorama débute avec cette question: «Du rose pour les filles, du bleu pour les garçons?» On vient secouer les idées reçues. On expose des ensembles qui datent du XIXe siècle et début XXe siècle, le rose porté par un garçon et le bleu par une fille, et en miroir, un tee-shirt Jacquemus de sa collection unisexe Pink de 2021. Nous faisons ainsi dialoguer les pièces historiques et contemporaines pour essayer de déconstruire les stéréotypes et amener enfants et adultes à réfléchir. Tous les jours, on s’habille, parfois sans réfléchir à ce que l’on met, mais on porte toujours un message social sur l’identité que l’on désire refléter.

La robe est aussi un bel exemple de stéréotypes de genre…

Si l’on remonte au XIXe siècle, on constate que le petit garçon reste en robe jusqu’à 6 ou 7 ans, «l’âge de raison». A partir des années 20, dès que le bébé commence à marcher, la genrification apparaît, le garçon quitte la robe pour la culotte courte. Ce qui a changé, c’est l’âge de la petite enfance, il s’est réduit de plus en plus. Jusqu’à ce paradoxe contemporain: la question de l’unisexe et du non-genré est très prégnante mais on n’a jamais autant genré les bébés avec la possibilité de connaître le sexe avant la naissance. Les parents sont alors vite orientés dans les choix de layette, quoique la layette non genrée refait son apparition. Par contre, aujourd’hui, à la sortie de maternité, si on désire habiller son bébé en mini adulte, c’est possible, on peut mettre un costume à son nouveau-né, ce qui n’existait pas avant.

Ce mimétisme se retrouve à l’extrême dans la tendance contemporaine du «mini me», où adulte et enfant s’habillent pareil…

Historiquement, si on remonte aux années 20, on peut déjà parler d’une sorte de «mini me» mais plus assorti que similaire. Et cela devient à la mode dans les années 50, nous montrons d’ailleurs une tenue assortie mère-fille créée pour visiter l’Expo 58.

Mathile Semal et Catherine Gauthier, co-commissaires de l’expo. © photos: E. Danhier

Quand sont nées les marques pour enfants?

Les marques de luxe sont pionnières, on cite souvent la ligne Baby Dior qui date de 1967. Mais elle n’était pas la seule, nous exposons d’ailleurs une petite robe en cuir Cardin des années 60, spécifique du Space age. Quelques créateurs se sont donc tôt positionnés sur le marché de l’enfance. Ils seront ensuite copiés par des marques de grande diffusion. Des motifs neufs, ainsi que de nouvelles coupes et couleurs intègrent le vestiaire enfantin, confortable, ludique et pensé pour l’enfant. Cela va du ciré jaune de Petit Bateau à ce jogging Sonia Rykiel, c’est ce que l’on appelle le leisure wear, qui est très présent dans la mode adulte mais qui y est entré par l’enfant. On l’habille en survêtement car c’est plus pratique, cela peut être sali et lavé souvent. Dans les années 70, la jeunesse devient prescriptrice, elle fait entrer dans la garde-robe adulte des modèles kids.

C’est évidemment une expo «kids admis»…

A chaque étage, nous avons conçu un module de manipulation, qui donne une nouvelle grille de lecture et permet de voir les pièces de plus près. Et dès l’entrée, avec deux silhouettes, une fille et un garçon, on pose la question aux enfants: «Regarde comment on s’habillait il y a 200 ans. Trouves-tu que c’est très différent de ce que tu portes aujourd’hui?» On a voulu qu’ils en tirent leurs propres conclusions.

Kidorama, 200 ans de mode enfantine, Musée Mode et Dentelle de Bruxelles, 12, rue de la Violette, à 1000 Bruxelles. fashionandlacemuseum.brussels Du 8 juillet au 5 mars 2023.

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