Le photographe Anton Corbijn expose les portraits de ses Ikonen

Anton Corbijn © Wouter Van Vaerenbergh

Elevé dans un petit village de Hollande méridionale, Anton Corbijn (67 ans) s’installe dès 1979 en Angleterre, où sa caméra le met en contact avec des légendes telles que Joy Division et Siouxsie Sioux. Jusqu’au 16 avril prochain, le photographe et réalisateur expose à Anvers les portraits de ses Ikonen.

Famille

A la maison, la gravité des récits était oppressante. Du côté paternel, je viens d’une famille de pasteurs protestants. Ma mère avait étudié la théologie et tout tournait toujours autour de l’église. Mon père, un homme très consciencieux, se rendait au chevet de villageois en phase terminale et le soir, à table, on nous détaillait à quel point tout le monde allait mal. Je ne pouvais pas gérer ça, j’aurais préféré qu’on parle de choses moins pesantes. A l’adolescence, j’ai cherché une échappatoire et je l’ai trouvée dans le rock’n’roll.

Religion

La religion s’est mise entre mes parents et moi. Aujourd’hui, j’ai pris de la distance par rapport à la chose religieuse et il me serait plus facile de dialoguer librement avec eux, mais malheureusement, ils ne sont plus de ce monde. Mon père est décédé en 2007, juste avant la sortie de mon premier film, Closer. C’est dommage, parce qu’il ne comprenait pas que je puisse vivre de la photographie. Pas même lorsqu’il a assisté à l’inauguration de mon exposition au Stedelijk Museum d’Amsterdam en 1994. Mon travail était bien trop abstrait pour lui.

‘J’ai longtemps considéré les relations comme une sorte de marchandise.’

Négativité

La négativité ne mène à rien. Cela vous détruit. Si je pouvais parler au jeune homme que j’étais jadis, je l’exhorterais à profiter davantage de la vie et à moins se couper les cheveux en quatre. J’étais bien trop sévère, en ce compris envers moi-même, et j’évacuais la colère qui me rongeait en critiquant le travail de mes pairs. Agir négativement me donnait l’illusion de me sentir plus fort.

Amour

L’amour rend heureux. J’aurais préféré le réaliser un peu plus tôt. J’avais une approche cavalière des relations, que je voyais comme une sorte de marchandise, échangeable à l’envi. Sauf que je donnais trop peu de moi-même en retour. L’année derrière, je me suis marié. Avant ça, le mariage ne signifiait rien pour moi, mais notre cérémonie, très intime, s’est avérée être un moment fort et précieux.

Vraie vie

La vraie vie a lieu en dehors du monde numérique. Je suis contre les projets d’introduction de monnaies numériques, parce que cela donne le contrôle au gouvernement. On dit que ça rend le blanchiment d’argent impossible, mais quid si le gouvernement en abuse? On ne veut pas évoluer vers une société semblable à celle de la Chine. Le Forum économique mondial est très clair sur sa vision de l’avenir: «Vous ne posséderez rien et vous serez heureux.» Je ne pense pas qu’il soit possible de s’affranchir de tout, ce n’est pas comme ça qu’on est câblés.

Cœur

Suivez votre cœur et vous ne le regretterez pas. Même si quelque chose que vous voulez vraiment ne se concrétise pas, c’est un réconfort de savoir que vous avez essayé et rencontré des personnes intéressantes en cours de route. Ce n’est jamais du temps perdu. J’ai accepté des missions parce que je pensais qu’elles seraient bonnes pour ma carrière, mais la réalité s’est toujours montrée très différente. Les projets qui me rapportaient très peu d’argent se sont avérés occuper une place très importante dans mon travail.

Intuition

Une préparation minutieuse diminue le plaisir. Si vous planifiez tout à l’avance dans les moindres détails, la photographie devient trop de travail, alors que je la vois principalement comme une aventure. Je me fie beaucoup à mon intuition. Lorsque vous avez dans votre studio une configuration à la Richard Avedon, vous n’avez essentiellement qu’à cliquer lorsque votre sujet est face à vous. Cela ne me tente pas. J’aime le contact personnel avec la personne représentée et je recherche chaque fois une facette qui n’a pas encore été montrée. Ce n’est pas toujours possible, mais c’est le but. J’aime l’idée que les choses peuvent mal tourner et l’électricité que cela apporte.

Reconnaissant

Chaque matin, je suis reconnaissant de vivre une nouvelle journée. En 1988, je devais prendre le vol Pan Am 103 pour passer Noël à New York avec ma petite amie. Nous devions arriver le soir, mais on a finalement décidé qu’atterrir en pleine nuit ne nous disait rien et on a choisi de prendre un vol plus tard. Quand j’ai appris que l’avion dans lequel nous étions censés être à l’origine avait explosé au-dessus de la ville écossaise de Lockerbie, j’ai eu l’impression qu’on m’avait accordé une vie supplémentaire.

Ikonen, Handelsbeurs Antwerpen, à Anvers, jusqu’au 16 avril.

Les livres photo qui accompagnent Ikonen et Katoen Natie – The People sont publiés par Hannibal Books.

antoncorbijexpo.com, hannibalbooks.be

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