L’épatant photographe écossais Rankin s’expose à Knokke
Parti de presque rien, le Britannique Rankin s’est bâti une réputation en réalisant des photos qui mettent toujours l’humain au centre de son art. Ses clichés pour Dazed & Confused, le magazine culte qu’il a cofondé, sont mis à l’honneur dans une nouvelle monographie et une exposition à Knokke-Heist.
Dans les années 90, le Royaume-Uni est submergé par une vague de créativité et d’optimisme. Le film Trainspotting, la britpop et Alexander McQueen deviennent des ambassadeurs du mouvement «Cool Britannia». Et si un magazine documente ce courant comme aucun autre, c’est bien Dazed & Confused, plus tard abrégé en Dazed.
John Rankin Waddell – plus connu sous le nom de Rankin – était toujours étudiant en photographie lorsqu’il a cofondé ce magazine culte en 1991. Mais il doit surtout sa notoriété aux portraits et aux photos de mode qu’il a réalisés au cours des trois dernières décennies pour de grands titres. Nombre d’entre eux seront bientôt exposés à Knokke-Heist, une ville qui a accueilli Rankin en tant qu’invité principal du FotoFestival il y a seize ans déjà.
Pourtant, l’Ecossais ne veut pas être considéré comme un photographe de mode ou de célébrités. «Ce qui m’intéresse, ce sont les gens et les idées, explique-t-il chez lui, à Londres, lorsque nous le rencontrons. Je me sers de la photographie conceptuelle pour tendre un miroir aux modèles et exprimer mon regard sur le monde d’aujourd’hui.»
Comment avez-vous découvert la photographie?
C’est arrivé assez tard, car j’ai grandi dans une famille de la classe moyenne inférieure où l’art n’avait que peu d’importance. Les pochettes d’albums de The Jam ou des Rolling Stones étaient mon seul lien avec la photographie. Durant mes études en comptabilité, je partageais une maison avec des étudiants en école d’art et, à 21 ans, j’ai fini par emprunter l’appareil photo d’un ami. J’ai compris tout de suite que la comptabilité n’était pas ma vocation. Enfant, je n’avais jamais eu d’exutoire créatif et soudain, je pouvais partager une certaine vision du monde avec d’autres personnes. C’était incroyable.
Comment envisagiez-vous l’avenir à l’époque?
J’étais très engagé socialement et j’ai d’abord voulu devenir photographe documentaire. Mais je me suis vite rendu compte que je n’étais pas le nouveau Don McCullin ou W. Eugene Smith. Mon talent était de photographier les gens, alors j’ai suivi le conseil de mon père: «Fais quelque chose pour lequel tu es doué. Sinon, tu ne fais que te compliquer la vie.»
Vous et Jefferson Hack étiez encore étudiants en photographie lorsque vous avez fondé Dazed & Confused…
Nous faisions partie de l’équipe du magazine étudiant du London College of Printing. Nous avions donc pu constater le bonheur qu’offre la liberté de travailler sans contraintes extérieures. En outre, la Grande-Bretagne était en pleine récession en 1991. Les emplois se faisaient rares, surtout pour les jeunes. Alors, comme beaucoup de mes pairs, je me suis dit que je devais me débrouiller seul. Sur le plan du contenu, nous voulions surtout être une plate-forme pour les nouveaux talents et nous fonctionnions comme un collectif. Pour tout financer, nous organisions des soirées dans le monde de la nuit londonien, ce qui nous a permis de rassembler une communauté créative autour de nous.
Vous avez travaillé avec toutes sortes de modèles et écrit sur l’homosexualité, les droits des personnes transgenres et l’âgisme. Et ce dans une Grande-Bretagne conservatrice à l’époque…
Nous voulions faire changer les choses, et nous n’avons pas reçu que des compliments, en effet. A nos yeux, tout le monde devait être libre de s’exprimer, et les mannequins en une des magazines ne devaient pas forcément être blancs, blonds, aux yeux bleus. Aujourd’hui, ce combat a porté ses fruits, la diversité et l’inclusion sont désormais la norme dans les photos de mode et de publicité. Mais le monde est aussi beaucoup plus polarisé qu’il ne l’était à l’époque. A gauche comme à droite, les opinions sont de plus en plus extrêmes, et font de plus en plus de bruit.
Depuis 2006, vous vous concentrez sur votre travail de photographe. Vous étiez lassé du magazine?
Je suis toujours copropriétaire de Dazed, mais comme Jefferson, j’ai voulu me retirer à temps. La quarantaine, c’est trop vieux pour vouloir être la voix des jeunes. Nous sommes des personnes créatives, et nous avons toujours suivi notre propre voie. Il était temps de laisser la place à nos jeunes collaborateurs.
Comment décririez-vous votre style?
Je n’en ai pas. J’ai beaucoup de respect pour les photographes qui ont une signature et qui ne cessent d’approfondir leur style, mais je m’ennuie trop vite pour suivre leur exemple et j’aime trop explorer les possibilités qu’offre la photographie. Présenter chaque cliché selon la même technique me semble restrictif. Je travaille donc en fonction de la situation. Mais j’ai une approche propre. Que je travaille avec des modèles, des acteurs ou des inconnus, j’essaie toujours d’établir une relation avec mon sujet et de l’impliquer activement dans le shooting. Le concept, la sélection des images: c’est un véritable processus de collaboration.
Vous mettez toujours le côté humain des célébrités que vous immortalisez en avant. Comment procédez-vous?
J’ai souvent l’impression d’être à moitié psychologue, à moitié comédien. Une grande partie du travail consiste à observer: comment une personne se sent dans sa peau, ce qu’elle aime ou pas, etc. L’autre partie consiste à mettre les gens à l’aise, même si cela implique de l’autodérision. A condition que l’on se fasse confiance et que l’on travaille ensemble, car je ne veux surtout pas imposer ma vision. Le meilleur compliment que les modèles puissent me faire, c’est qu’ils puissent être eux-mêmes.
Certains clichés ont été explicitement retouchés. Pourquoi?
Je suis surtout inquiet. Dans les années 90, Photoshop était critiqué, mais au moins, on en parlait. Aujourd’hui, le problème ne vient plus des magazines et des pubs – les graphistes font attention depuis que les consommateurs peuvent s’indigner sur les médias sociaux – mais plutôt des enfants de 10 ans. On les abreuve d’outils de retouche photo et on trouve normal que les jeunes se déforment et se perfectionnent à l’infini. Pourquoi ne parlons-nous pas des effets psychologiques de cette pratique, du fait que tant de jeunes se rendent chez un chirurgien esthétique avec leurs photos retouchées comme objectif? Ils sont les cobayes de notre culture numérique et nous restons les bras croisés.
La photographie s’est démocratisée. Un smartphone suffit désormais…
Il y a deux ans, j’ai présenté The Great British Photography Challenge sur BBC Four, une masterclass expliquant tout le travail nécessaire à la réalisation d’une photo de qualité. Aujourd’hui, tout le monde peut prendre des photos. Mais les gens comme moi ne se contentent pas de prendre des photos, ils les imaginent et les construisent à partir de rien, la prise de vue n’étant que l’étape finale. Je ne crois pas à la chance ni au hasard, tout dépend de nos connaissances et de nos compétences.
Rankin: the Dazed decades, Cultuurcentrum Scharpoord, à 8300 Knokke-Heist, fotoknokke-heist.be, jusqu’au 11 juin. Livre éponyme publié par Rankin Publishing. rankin.co.uk
Rankin en bref
– Il naît en 1966 à Glasgow, en Ecosse.
– Il cofonde Dazed & Confused en 1991, suivi plus tard par les magazines lifestyle Another, Another Man et Hunger, entre autres.
– En tant que photographe de portrait et de mode, il collabore avec Vogue, Harper’s Bazaar et GQ notamment.
– Sa plus célèbre campagne publicitaire est celle intitulée Real Women pour Dove, en 2005.
– Depuis 2009, il parcourt le monde avec Rankin Live, une exposition interactive où il photographie des gens numériquement, puis édite, imprime et accroche les images en l’espace d’une demi-heure. Près de 20 000 personnes y ont déjà participé.
– Il réalise des clips pour Miley Cyrus, Sheryl Crow et d’autres, ainsi que des documentaires sur la photographie, l’Afrique et les personnes atteintes de maladies en phase terminale pour la BBC.
– Il travaille régulièrement pour des ONG et des organisations caritatives, sur des thèmes tels que la famine, la pauvreté et la lutte contre le cancer.
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