De marotte de mamy à hobby hype, décryptage de l’engouement moderne pour la couture

La couture vit une renaissance - Getty Images
La couture vit une renaissance - Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste
Nathalie Le Blanc Journaliste

Longtemps vue soit comme un passe-temps de grand-mère, soit comme une corvée imposée faute de budget, la couture a vécu une véritable renaissance ces dernières années. A la fois durable et méditative, sa pratique devient un véritable mode de vie.

«Blush», «Criter», «Couture Club»… Si cette liste a des airs d’énumération de jeunes marques de mode branchées, il s’agit en réalité des noms de quelques-uns des ateliers de couture qui ont récemment ouvert à Bruxelles. Décor instagrammable, communication soignée et propositions qui vont du traditionnel forfait de cours annuel aux formations plus spécifiques, notamment pour apprendre à réaliser un de ces tapis tuftés qui cartonnent sur les réseaux. Pas de doute, la couture est la céramique 2.0, le nouveau passe-temps favori d’une jeune génération en quête de sens, qui le retrouve en se connectant non pas à son smartphone mais bien au concret, à la matière, et à la transformation de cette dernière en réalisations qui n’ont rien de virtuel.

Surprenant? Pas tant, d’autant que le contexte d’hyper-connectivité actuel permet paradoxalement de promouvoir ces loisirs qui encouragent à une pratique minutieuse et consciente. Récente convertie aux joies du fil et de l’aiguille, Aylin Koksal, journaliste pour ce magazine, n’hésite ainsi pas à mettre la toile à profit pour s’inspirer et dénicher des patrons japonais ou les dupes de labels scandinaves pointus.

Et elle n’est pas la seule membre de la rédaction à entretenir cette passion, même si dans le cas de notre consœur (et co-autrice de cet article) Nathalie Le Blanc, elle dure depuis bien plus longtemps. Quarante ans, pour être précis. Enfant des années 70, elle est alors entourée de femmes qui cousent tant par nécessité que pour le plaisir, et c’est donc tout naturellement qu’elle se met elle aussi aux travaux d’aiguille à l’adolescence, pour enchaîner les périodes de production et d’inactivité au gré des décennies suivantes. Mais en 2019, tout change quand elle décide d’arrêter d’acheter des vêtements et d’en fabriquer autant que possible elle-même, des robes aux manteaux d’hiver en passant par les déshabillés.

Nouvelle ère pour la couture

Ainsi qu’elle l’explique, «j’en avais assez de la fast fashion, l’offre de vêtements disponibles dans ma taille me déprimait, et puis j’avais aussi envie de mettre ma colossale collection de tissus à profit, d’autant que la couture est devenue beaucoup plus amusante ces dernières années». Un sentiment auquel fait écho Evelien Cables, fondatrice de la marque belge de patrons en ligne Notches, qui y voit un passe-temps «gagnant-gagnant-gagnant», tant pour la créativité que pour l’allure ou encore ce fameux selfcare dont on n’a de cesse de souligner l’importance. Car au fond, qu’y a-t-il de plus méditatif que l’enchaînement de gestes techniques, couplé au plaisir sensoriel du contact avec la matière?

Depuis la ravissante île britannique de Guernesey, où est basée sa boutique en ligne de patrons Experimental Space, Andrea, couturière passionnée, loue ainsi la manière dont «les mouvements doux et répétitifs de la couture peuvent aider l’esprit et le corps à se sentir plus calmes, réduisant ainsi le stress et l’anxiété. En nous concentrant sur la couture, nous pouvons faire une pause dans les exigences de la vie quotidienne et profiter d’un moment de tranquillité pour nous-mêmes». Même si, ces dernières années, le rythme de cette activité s’est quelque peu accéléré – ce qui contribue aussi à son regain de popularité.

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«Notre style vestimentaire a changé, tout est plus ample et plus décontracté que jamais, explique Catherine Everaert, qui enseigne la couture aux adultes depuis quarante ans. Les techniques chronophages et le long travail préparatoire nécessaire à chaque projet ont été remplacées par des patrons simplifiés. Certains motifs complexes nécessitent toujours d’avoir une expertise plus avancée, mais pour le reste, les procédés sont simplifiés et on travaille principalement sur des créations qui sont prêtes plus rapidement.» Et Mila Moisio, du magazine de couture culte Tauko, de renchérir: «Autrefois, la couture était quelque chose d’inaccessible. Il n’y avait qu’une seule façon, souvent difficile, de faire les choses. Aujourd’hui, on sait qu’il existe des centaines de manières d’arriver au même résultat.» Et cette nouvelle approche a permis d’élargir, mais aussi de rajeunir le public.

De fil en aiguille

A la tête de la «mercerie attentive» liégeoise Coton Urbain, qui propose matériel mais aussi cours et ateliers, Lara Perini est bien placée pour en juger. Du haut de ses 30 ans, cela fait douze ans qu’elle s’est mise à coudre «par hasard”, parce qu’elle devais faire un cadeau de cacahuète bricolé à sa cousine. “J’ai demandé à ma grand-mère de me filer un coup de main pour réaliser une petite trousse, et j’ai adoré le processus», se souvient celle qui a été séduite par la satisfaction ressentie en créant quelque chose de toutes pièces, mais aussi, par le fait qu’à l’époque personne ne cousait autour d’elle. “C’était un peu un terrain inexploré et je trouvais ça très cool de pratiquer une activité que personne d’autre ne faisait», se rappelle-t-elle. Une dizaine d’années et un nombre incalculable de réalisations plus tard, celle qui a planté son Coton Urbain, il y a trois ans, ne peut plus en dire autant: «Quand je me suis lancée dans la couture, je suivais des cours où la moyenne d’âge tournait autour de 60 ans. Aujourd’hui, c’est moi qui donne des cours, et l’âge médian est plutôt de 25-30 ans.»

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Un rajeunissement que la Liégeoise explique en partie par la pandémie: «Durant les confinements, beaucoup de gens ont été forcés de trouver une activité à la maison, ce qui a joué en faveur de la couture. Ma génération s’inscrit aussi dans une volonté de retrouver une consommation plus locale, porteuse de sens, et cela vaut pour les vêtements. La combinaison de ces deux facteurs a amené un autre rapport à la création et au raccommodage, ainsi que plus d’attention au choix des textiles et à leur origine.»

Vite fait bien fait

Un point de vue partagé par Max Niereisel, créateur de mode (notamment pour Top Vintage) mais aussi professeur de couture. «Les 22 à 30 ans sont à la recherche d’un passe-temps tactile en ces temps numériques. Et coudre leur permet de reprendre le contrôle sur leur manière de s’habiller, ce qui fait vraiment plaisir à voir à l’heure de la fast fashion. C’est agréable de constater le changement qui se produit chez mes étudiants après quelques semaines de cours, quand ils réalisent toutes les possibilités qui s’offrent à eux et qu’ils laissent parler leur créativité», s’enthousiasme celui qui note toutefois que pour ce nouveau public Millennial, il s’agit de ne pas s’éterniser sur les explications, «parce que c’est la rapidité compte». Et de confier avoir pour ce faire régulièrement recours aux patrons de Mood Fabrics, «gratuits et à la pointe de la mode».

De quoi achever de séduire un jeune public soucieux d’être à la fois responsable et tendance. «J’ai commencé à coudre parce que j’étais déçue de la piètre qualité des vêtements que je trouvais en boutique», confie Aylin Koksal. Qui préfère aux patrons «souvent trop classiques» les vidéos postées par les couturières 2.0 sur les réseaux.

Merci, patrons !

S’il existe encore des couturières qui dessinent leurs propres patrons, jusqu’à il y a une quinzaine d’années, la majorité d’entre elles s’inspiraient de Burda, de Knip ou bien, pour les plus audacieuses, de Vogue. Niveau patrons, Cathérine Everaert en connaît un rayon, «mais leurs fiches sont souvent complexes et les descriptions nécessitent beaucoup de connaissances préalables», regrette-t-elle. Heureusement, il n’en va pas de même avec les nombreuses nouvelles marques de patrons. Un choix délibéré, explique Britt Geutens de Notches: « Si tout est bien expliqué, avec des illustrations, vous avez besoin de moins de connaissances techniques, ce qui abaisse le seuil d’entrée.»

Autre attrait pour les apprentis couturiers: la prolifération de labels qui proposent des modèles modernes, dans toutes les tailles et tous les styles. Du cottage core au minimalisme japonais, en passant par le style scandicool ou vintage. Et s’il existe de nouveaux magazines, la plupart des fabricants de patrons les proposent aujourd’hui sous forme numérique, à imprimer chez soi pour se mettre à l’ouvrage en quelques clics de souris.

“Cela dit, si le Covid a stimulé ce mode de fonctionnement, il trouve toutefois ses origines vers 2010, avec des blogs et des livres comme All Skirts by Madame Zsazsa”, explique Britt Geutens de Notches. Tandis que sa collègue Evelien Cabie souligne que l’inclusivité est importante: “Nos patrons vont jusqu’à la taille 62. Il y a peu de gens qui font cette taille, mais nous le faisons par principe : tout le monde doit pouvoir s’habiller chez nous. » Et c’est une bonne chose, car de nombreuses personnes se retrouvent derrière une machine à coudre parce qu’elles ne trouvent rien dans leur style ou leur taille en boutique. «Des vêtements bien adaptés à chaque silhouette sont une motivation récurrente pour ceux qui cousent, affirme Britt Geutens. Cela fait des merveilles pour la confiance en soi.»

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Un passe-temps inclusif

«Nous voulions éloigner la couture de son image gentiment ringarde, explique Teresa Bosteels, fondatrice et directrice de la création de Fibre Mood, un magazine et un site Web belges consacrés aux patrons. Nous avions besoin d’une ambiance plus moderne si nous voulions toucher un public différent.» Ce public, ce sont les femmes pour qui la couture est un moment de détente. «Fibre Mood se veut également social: l’une de nos idées de base est de permettre à chacun de s’inspirer des autres, poursuite-elle. Nous demandons à nos lecteurs de partager les photos de leurs créations sur les réseaux sociaux. Nous donnons les patrons, mais nous encourageons chacun à en faire ce qu’il veut.» Résultat la version papier de la revue connaît un grand succès en France et dans le reste de l’Europe, et les modèles en ligne sont vendus dans le monde entier.

Lorsque la marque de mode durable de la Finlandaise Mila Moisio ne s’est pas développée comme elle l’espérait, elle a pivoté vers un magazine de couture en 2022. «Il s’est avéré que la communauté des couturiers en ligne appréciait la durabilité et la diversité autant que nous, explique le label. Nous avons donc décidé de créer un magazine dans lequel les créateurs pourraient proposer leurs patrons à un public international.”

C’est ainsi qu’est né Tauko, que l’on trouve non seulement dans les ateliers de couture, mais aussi dans les boutiques de design et de mode. «Nous avons des lecteurs dans le monde entier, si bien que l’on voit parfois des conversations sur les médias sociaux entre un hipster de Tokyo et une femme au foyer du Texas. Quelle joie de les voir séduits par le même patron ! En tant qu’humains, nous exprimons notre identité par ce que nous portons, et cela peut être très personnel, voire politique. Si vous fabriquez vos vêtements vous-même, si vous choisissez le tissu et les détails, vous vous sentez en adéquation avec qui vous êtes.”

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Matière à réflexion

La Belge Maya Jacobs, 21.000 followers au compteur pour son pseudo Instagram @Hemelbreker, dit elle aimer “fabriquer des choses, de préférence des choses qui ne sont pas saisonnières ou similaires à ce que l’on trouve dans la fast fashion”: “Ma grand-mère m’a enseigné des techniques traditionnelles, mais aujourd’hui, je travaille avec beaucoup moins de règles. Parfois, j’aime coudre lentement et soigneusement, mais souvent je veux quelque chose tout de suite, et je n’ai pas l’énergie mentale de me pencher sur un ouvrage pendant quinze jours.  Comme j’ai bien assez de vêtements, il m’arrive aussi de tricoter, de coudre et de réaliser des objets décoratifs. Durant le Covid, j’ai découvert une vaste communauté sur les réseaux sociaux et j’ai plongé dans le monde des patrons indépendants. Il y a un choix immense, et j’aime particulièrement les livres de couture japonais, vraiment beaux à regarder. La durabilité est importante, et une approche zéro déchet, qui consiste à utiliser chaque morceau de tissu, est à la fois intéressante et logique. Mon objectif est d’obtenir des vêtements bien faits, ce qui nécessite des tissus de qualité.» Qu’elle déniche notamment aux Fabric Sales, même si, budget oblige, il lui arrive aussi de fouiner du côté de Drag Street. «Ce qui est bien, c’est que l’éventail des tissus est désormais très large, continue la passionnée. Les vêtements, les nappes et la literie anciens sont utilisés pour la couture, et on voit même des vestes fabriquées à partir de vieilles courtepointes. C’est  contesté, parce que cela impliquede découper le travail de quelqu’un d’autre, mais c’est intéressant d’y réfléchir.”

Si les personnes qui se lancent dans la couture uniquement pour des raisons écologiques forment une niche retreinte, elle existe et grandit. “Ma fille adolescente achète beaucoup de vintage et de seconde main, témoigne Evelien Cabie. Sa génération est beaucoup plus sensibilisée aux vêtements et à la fast fashion. La seule chose que les gens oublient, c’est que la couture n’est pas un loisir bon marché. Mais ceux qui cousent eux-mêmes apprennent la valeur des vêtements et en prennent davantage soin.»

Mila Moisio en est convaincue: «Si vous y mettez votre propre empreinte, vous regardez les vêtements différemment. Le fait maison est l’antithèse de la fast fashion, et je constate un changement culturel qui nous permet d’apprécier à nouveau ce qui est fait à la main et sur mesure.» D’autant que toutes choses étant égales, et en prenant en compte la qualité des matières et le temps nécessaire, « le sur-mesure n’est pas beaucoup plus cher que les vêtements qu’on trouve dans les grandes enseignes», assure Lara Perini.

Un apprentissage tout en finesse

Reste que même si la couture est beaucoup moins complexe aujourd’hui, il s’agit toujours d’une compétence qu’il faut apprendre. Mais là aussi, le seuil est plus bas que jamais, affirme Evelien Cabie. Il existe encore des cours «traditionnels», mais ceux qui ne veulent pas s’engager sur la durée peuvent, par exemple, opter pour un atelier où l’on apprend à réaliser un patron en une journée. Les cours en ligne sont aussi parfois une première étape.

«Beaucoup de mes élèves ont commencé par créer des sacs et des pochettes en regardant des vidéos sur YouTube, et ils ne font le switch vers les cours que lorsqu’ils commencent à confectionner des vêtements», raconte Catherine Everaert.  Pour Max Niereisel, le fait qu’il existe une quantité infinie d’infos en ligne est un avantage considérable, même lorsque l’on prend des cours: «Quand j’explique une technique délicate, comme une fermeture Eclair invisible, je recommande des vidéos, afin que les élèves puissent les regarder chez eux si nécessaire.» Et notre consœur Nathalie Le Blanc d’ajouter que si elle doit réaliser quelque chose de compliqué, elle consulte son Guide complet de la couture du Readers Digest de 1976. “Mais je ne suis certainement pas opposée à une vidéo YouTube bien ciblée, complète-t-elle. De nombreux experts proposent des tutos, ce qui est particulièrement rassurant pour les débutants. J’ai une silhouette un peu particulière, avec un haut de corps rond sur des jambes fines, et pas de taille mais un ventre ferme, ce qui m’obligeait à beaucoup bricoler pour que tout soit bien ajusté. Aujourd’hui, je découvre le FBA (full bust adjustment) en ligne, une “couturière” toujours disponible à qui on peut demander 1.436 fois la même chose.» Si Mamy avait vu ça…

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