Comment partir en vacances avec sa (belle-)famille sans s’étriper
Vous passez quelques jours avec vos parents, beaux-parents, frères, cousins… et vous appréhendez. Car même si vous aimez tout ce petit monde, difficile d’éviter les petites (ou grosses) tensions qui font le sel des vacances en famille. Nous avons demandé à Lee-Ann d’Alexandry, psychologue et autrice de l’ouvrage Les Familles explosives, de nous donner quelques tips pour passer un été cool, belle-maman comprise!
La scène – toute ressemblance avec des personnages existants serait purement fortuite – se passe sur la route des vacances. « J’espère que ta soeur ne va pas tirer la tronche comme l’année dernière »… « Ce coup-ci on fait un pot commun? Histoire d’éviter qu’on se tape toujours les courses… » Ça vous dit quelque chose? Si depuis les années 60, de plus en plus de Belges voyagent entre amis ou en solo, passer quelques jours avec ses parents, beaux-parents, frères, soeurs reste un classique des familles.
Comme une sorte de syndrome des fêtes de Noël, ou natalophobie, soit le trouble anxieux qui survient à l’approche de Noël, la perspective de retrouver le cercle familial pour un séjour plus ou moins long peut devenir pour certains une véritable source de stress, même quand ce dernier s’entremêle à la joie des retrouvailles.
Appréhension et crispations
Maria, la quarantaine et maman de deux enfants, appréhende toujours un peu les vacances avec sa belle-famille, pour de nombreuses raisons, à la fois de celles qui, elle l’admet, réveillent sans nul doute des blessures profondes, mais aussi pour des raisons bien plus triviales. « Nos enfants ont grandi et c’est – enfin! – un peu plus simple au quotidien, confie la jeune femme. Ils sont plus autonomes, dorment mieux, nous sollicitent moins. Alors quand les neveux et nièces de mon mari, encore tout petits, se réveillent en fanfare à 6 du mat’, je l’avoue, j’ai du mal. »
Et puis, il y a tout le reste, les petites réflexions en apparence parfaitement anodines mais qui, jour après jour, finissent par aboutir à des crispations. « Cela peut aller du sens dans lequel on met les couverts dans le lave-vaisselle à notre façon de faire avec nos enfants. Au début, tu t’en fiches, mais au bout de quelques jours, la moindre petite remarque finit par te donner envie de sauter dans la voiture et mettre les voiles », sourit la jeune femme qui dit exagérer un peu, avant de se raviser en avouant presque honteusement avoir vraiment mal vécu certains moments censés être agréables. Alors année après année, elle s’est mise à réellement appréhender ces vacances…
« Je travaille à plein temps, on est speed toute l’année, avec très peu voire jamais de relais avec nos enfants », ajoute-t-elle, dans ce qui pourrait sonner comme une tentative de justification. « Mes vacances, c’est précieux, j’ai aussi besoin de me reposer, qu’on ne me demande rien ou presque, avec une envie de plus en plus forte de ne plus avoir à prendre sur moi. En gros, plus je vieillis, plus j’ai envie d’être peinarde! » (Rires)
« Chacun retrouve un peu la petite case dans laquelle on l’a mis dès l’enfance. »
C’est d’abord sur cette appréhension que l’on questionne la psychologue et autrice Lee-Ann d’Alexandry, qui, dans son ouvrage, donne des pistes pour désamorcer les conflits de famille ou, à tout le moins, mieux les vivre. « Avant tout, il y a l’appréhension des retrouvailles, répond la psychologue. Parce qu’on craint de voir des problématiques familiales se réactiver dans ce qui est censé être de bons moments, puisqu’il y a, malgré tout, l’envie d’être ensemble. On connaît les bons comme les mauvais côtés de chacun et on a tendance parfois à se focaliser sur certains traits qui nous exaspèrent, d’où cette crainte: que va-t-on retrouver sur notre lieu de vacances? »
Théorie des systèmes
Pour l’autrice des Familles explosives*, le contexte dans lequel on arrive sur notre lieu de séjour est alors primordial. Pour reprendre le parallèle avec les fêtes de fin d’année, on arrive souvent en vacances comme on débarque au réveillon de Noël, c’est à dire lessivés, et les premiers jours avec la smala ne sont pas forcément ceux où l’on se sent le plus zen. Et c’est dans cette configuration qu’une nouvelle dynamique se met en place, analyse Lee-Ann d’Alexandry. « Chacun a ses moyens de se calmer, de déstresser, de prendre du recul, et soudain, on se retrouve tous enfermés dans une nouvelle dynamique. C’est le contexte idéal pour que ça pète! Il faut retrouver une façon d’être les uns avec les autres. »
C’est ce qu’illustre Maria quand elle confie avoir l’impression que son mari retrouve sa place d’enfant lorsqu’il passe du temps avec sa mère à lui. « C’est normal, on vit tous ce phénomène avec nos parents, explique-t-elle. Chacun retrouve un peu la petite case dans laquelle on l’a mis dès l’enfance. Mais c’est vrai que c’est parfois un peu pesant, il m’est arrivé d’avoir l’impression d’avoir douze ans alors qu’on en a quarante et qu’on est parents nous-mêmes », sourit-elle encore.
Cette nouvelle dynamique, c’est ce qui caractérise l’homéostasie, selon Lee-Ann d’Alexandry, soit la stabilisation d’un système, lorsque l’organisation de celui-ci change, grâce aux stratégies mises en place par les personnes composant ce tout. « Nous avons une façon de fonctionner propre à chaque famille nucléaire, avec nos enfants, notre partenaire… Et on arrive en vacances avec ce système familial dans nos bagages. Les interactions avec les membres de nos familles vont replacer chacun dans une place un peu différente de celle qu’il a dans sa vie de tous les jours. Une dynamique inverse se met en place et vous devez ensuite retrouver votre dynamique, avec des règles propres à votre famille à vous et pas à celle de la famille élargie. »
Positive attitude
Sur le trajet retour, ça donne souvent un petit (long) débriefing entre les partenaires qui, d’après notre experte, n’est pas forcément une mauvaise chose, pour autant qu’il fédère le couple plus qu’il ne le divise. « Le débrief, c’est plutôt sain! Ce n’est pas parce que vous parlez d’elle que vous n’aimez pas votre (belle-)famille. Car même si on l’adore, elle peut nous exaspérer. Or, on n’est pas obligés d’être bienveillants, dans le sirupeux tout le temps, et verbaliser les choses peut permettre de continuer à avoir des relations saines avec nos proches. » Et au diable cette bonne vieille culpabilité qui nous colle à la peau?
Pour Maria, pas si simple. Elle se sent souvent coupable de ressentir ces sentiments ambivalents et encore plus d’avoir le besoin de les exprimer. « J’ai envie de dire que, si on part en vacances ensemble plusieurs jours, c’est que ça part d’une volonté commune de passer du temps ensemble! », rassure d’emblée la psychologue, résolument positive. « C’est bon signe, cela veut dire qu’on n’est pas à un point de rupture. Et puis vous pourriez tourner cette culpabilité en quelque chose de positif en vous disant que vous faites plaisir à vos parents. Vous avez le droit de ne pas passer une semaine 24 heures sur 24 avec eux, c’est normal! »
« L’idée, c’est de soigner le système avant d’arriver à l’explosion. »
Demandez-vous plutôt ce que, maintenant que vous êtes là, vous pourriez faire pour vous faire plaisir. « Si l’on glisse du système parental papa-maman ou co-parent au sous-système enfants de nos parents, on peut en profiter pour renforcer le lien petits-enfants-grands-parents », continue Lee-Ann d’Alexandry avant de conseiller, lorsque c’est possible, de déléguer à ses parents ses propres enfants pour prendre un peu de temps à deux ou pour soi. En somme, on voit le positif – c’est top, les grands-parents! – et on sort de cette angoisse du conflit familial. Une sorte de méthode Coué – ça va bien se passer – des familles.
C’est vraiment là que tout se joue finalement. « Si on part avec une vision un peu différente en se disant qu’on peut s’éviter certains moments pénibles, on ne sera plus dans l’appréhension, mais dans l’anticipation, reprend notre experte. Avoir conscience qu’il y a une dynamique, une homéostasie, qui va se mettre en place avec des glissements de rôles et de fonctions, permet aussi de mieux l’accepter. L’idée, c’est de soigner le système avant d’arriver à l’explosion. »
Certains, comme Jean-Baptiste, marié et père de deux enfants, ont tranché. Depuis quelques années, avec sa femme, ils ne partent plus dans l’appartement de famille en Bretagne. L’affaire est réglée. Probablement pas définitivement, mais en attendant, ils s’épargnent tout tracas dans l’organisation de leurs vacances. « Ma femme bosse toute l’année et se décarcasse pour que tout roule pour nous, nos enfants, son job, notre couple. J’ai décidé de ne plus lui imposer certaines contraintes liées à ma famille et de me les épargner par la même occasion. »
Anticiper pour mieux profiter
Fort heureusement – et ceci est valable même si belle-maman vous tape sur le système – avant de prendre une telle décision, des solutions existent. « Si vous avez l’impression de porter votre croix à chaques vacances, c’est qu’il y a peut-être effectivement d’autres façons de repenser le lien familial sans pour autant être dans la rupture, avec des formules un peu aménagées » propose, pragmatique, notre spécialiste des conflits familiaux. « Un séjour en famille sur un temps plus court, par exemple. Votre mari part avec les enfants, et vous les rejoignez un peu plus tard. Votre mère peut garder ses petits-enfants plus longtemps, si elle a envie de passer plus de temps avec eux. On peut aussi décider que chacun fait ce qu’il veut, et qu’on n’est pas contraints de tout faire ensemble tous les jours… Il y a plein de petites façons d’aménager son séjour pour s’épargner des vacances plombantes, tout en faisant en sorte que chacun y trouve son compte. »
Et la psychologue d’encourager à garder ces moments à deux qui sont autant de moyens de soigner la communication, d’exprimer ses besoins et d’écouter ceux de l’autre. Comme ces débriefs dans la voiture, lors d’un resto ou même d’un aparté rapide. Ces temps de parole vont aider à dédramatiser, à relativiser et à prendre conscience d’une situation.
Attention cependant, dans le cas d’un séjour avec la belle-famille, que ces discussions ne se transforment en calvaire pour l’autre qui pourrait n’entendre qu’une suite de reproches sur sa famille alors que vous avez simplement besoin d’exprimer vos ressentis. Mieux vaut s’éviter la double peine de créer des tensions au sein du couple. Si vous sentez que vous êtes en terrain glissant mais que vous avez besoin de vous défouler, préférez l’oreille d’une personne de confiance. Le fameux joker de l’appel à un.e ami.e. Vous pourrez avoir une discussion avec votre conjoint.e plus tard pendant les vacances ou au retour, si vous en ressentez encore le besoin.
Pas comme d’habitude
Autre conseil de notre experte des familles: casser les cycles. Demandez-vous s’il y a certaines activités, certains jeux, certaines habitudes qui « font famille », qu’on pourrait créer ou inventer pour casser les routines mises en place depuis tellement d’années.
Maria nous donne un parfait exemple de cette proposition, elle qui nous raconte être parvenue à instaurer le pique-nique. « Pour ma belle-famille, les repas sont hyper importants. Ils passent beaucoup de temps à penser aux menus, faire les courses et préparer les repas. Je suis ravie d’en profiter, mais j’ai réalisé qu’on sortait de table tous les jours à 15h30, et moi, j’avais envie de faire autre chose! L’été, j’adore pique-niquer sans chichis. On embarque de bons produits, un Opinel, et on casse la croûte en balade, assis par terre. Le bonheur! Mon mari a pris goût à ce petit rituel lors de nos vacances à quatre, et petit à petit, on est parvenus à l’instaurer avec sa famille. Tout le monde ne nous suit pas forcément, mais c’est pas grave. Chacun fait ce qu’il veut, je n’ai pas envie d’imposer quoique ce soit! »
Lee-Ann d’Alexandry nous suggère un autre outil pour aider à répartir la charge mentale et pratique des vacances, notamment en cas de grosse tribu: un planning d’organisation. Courses, coup de balai, débarrassage de table… Vous pouvez proposer, pourvu que tout le monde soit d’accord, une petite routine qui permettra d’organiser cette nouvelle dynamique familiale en mettant à contribution les enfants, au moins pendant un petit bout de temps. Il est probable que tout roule et que vous puissiez très vite vous en passer! L’idée n’étant pas de vous transformer en camp militaire, au contraire.
Petites piques
Car il ne manquerait plus que votre frère vous balance que vous êtes control freak… A propos de ces petites réflexions justement, comment réagir? Evidemment la situation ne sera pas la même selon qu’il s’agisse de sa propre famille ou de sa belle-famille. Cela ne veut pas dire que c’est plus facile à vivre dans un cas que dans l’autre, mais qu’on peut se sentir plus à l’aise d’envoyer balader papa que beau-papa, déjà parce qu’on n’a pas peur de se mettre en porte-à-faux avec son partenaire qui pourrait se sentir tiraillé entre son père et vous.
« Ce qu’on prend pour des petites piques n’est pas toujours orienté contre nous. »
« On peut se fixer une échelle d’importance, une sorte de barème intérieur de ce qu’on peut supporter ou pas », affirme notre experte, qui invite à s’interroger: « Qu’est-ce que je tolère car au fond, je m’en fiche un peu, et quelles sont mes limites? Est-ce que j’en parle ou ça ne vaut pas la peine? »
Face aux réflexions qui heurtent notre susceptibilité, la psychologue envisage trois postures. Un recadrage pédagogique d’abord: « Il arrive que l’autre pose une question toute bête, sans arrière-pensée, et qu’on l’interprète comme un jugement, explique-t-elle. A ce moment-là on doit se poser la question: ai-je besoin de faire un recadrage ou plutôt d’expliquer? Ce qu’on prend pour des petites piques n’est pas toujours orienté contre nous ». On peut aussi se remettre en question, en se demandant si on a nous-même eu une attitude adaptée face à une situation – il nous arrive sûrement, à nous aussi, d’être maladroit et de blesser l’autre – et enfin, on pourra faire une petite introspection en se demandant si l’on n’a pas une sensibilité spéciale sur le sujet qui fâche.
La psychologue modère, il ne s’agit pas de trouver de (se) trouver de mauvaises excuses mais d’essayer d’avoir une vision claire de la situation. On peut bien sûr recadrer gentiment mais fermement son proche. Dire que lui fait comme ça mais que nous, nous faisons autrement. L’autre insiste? Quittez simplement la pièce, sans drame ni fracas. Mieux vaut s’éloigner le temps d’apaiser sa colère. Si vraiment vous en avez gros sur le coeur, la communication non violente (CNV) peut être intéressante dans le sens où elle permet d’exprimer vos besoins rapidement sans que cela ne devienne conflictuel. Elle peut aider à éviter l’escalade… Tout comme l’humour, mais encore faut-il savoir le manier habilement quand on se sent vulnérable et que la répartie nous vient bien plus tard, en pleine insomnie… (Toute ressemblance avec des personnages existants…)
The clash
Et quand ça explose alors? « Il ne faut pas avoir peur des moments où ça pète. Tant que ça reste correct, qu’il n’y a pas d’insultes, ce n’est pas mauvais en soi, ça veut dire qu’on est arrivé à un moment où de toute façon, il y avait un blocage quelque part. Et parfois, la personne qu’on a en face de soi a tout simplement une tension particulière à ce moment-là de sa vie. C’est juste que ça arrive au mauvais moment – après tout c’est les vacances! Il faut réussir à faire un pas de côté et à voir là une opportunité de pouvoir communiquer. »
Ce pas de côté, Lucie et son mari sont parvenus à le faire avec respectivement leur belle-soeur et soeur, avec laquelle les tensions surviennent souvent autour des enfants. Tous les parents le savent: les risques de crispations entre adultes augmentent drastiquement autour de nos chères têtes blondes. Les écrans, le sucre, les punitions… Tout peut faire sauter la cocotte-minute d’un instant à l’autre parce que nous n’avons pas les mêmes principes éducatifs et que c’est un sujet sensible.
Lucie nous rapporte ainsi les anicroches avec sa belle-soeur du fait d’habitudes différentes, alors même que ces habitudes sont souvent amenées à changer pendant les vacances au sein de la famille nucléaire: on a le droit de se coucher un peu plus tard, de manger des glaces… Lucie donne l’exemple de la télévision, prohibée par son beau-frère et sa belle-soeur parce que c’est les vacances, il faut faire autre chose. « Sauf que nous, on regarde très peu la télé pendant l’année, et en vacances, on trouve que c’est le bon moment justement! » regrette-t-elle, avant de continuer avec une histoire de fraise chipée par sa fille qui a semé la discorde. « Mon beau-frère a fait une remarque, ma belle-soeur s’est énervée, mon mari lui a dit de se calmer et elle est partie pleurer dans sa chambre. J’étais désolée, mon mari aussi en même temps qu’il était agacé par sa soeur. Mais au final, ça a eu le mérite d’éclaircir une situation: ma belle-soeur avait besoin de nous dire des choses que, visiblement, elle contenait depuis longtemps. Cet épisode est survenu dans un contexte de deuil familial encore récent, ça dit aussi que les non-dits ressortent dans les moments plus difficiles que traverse une famille. »
Cette anecdote de la fraise qui fait déborder le vase est un bel exemple de ce qu’affirmait plus haut notre psychologue: au-delà des sentiments de culpabilité, de colère et de honte, le clash a été une opportunité de parler. Et, comme conclut Lee-Ann d’Alexandry, ce n’est pas parce qu’une année, ça été un peu difficile en famille – ici, dans un contexte chargé émotionnellement – que ce sera la même chose l’an prochain.
Alors cet été, si un fruit chipé, des couverts à l’envers ou la 453e même remarque de votre mère vous donne des envies de meurtre, rassurez-vous: tout est normal, et il est même possible pour ne pas dire certain que vous aurez envie de le remettre, le couvert, l’été prochain.
(*) Les familles explosives, par Lee-Ann d’Alexandry, éditions Payot.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici