Couple en vacances: ça passe… ou ça casse?

Aurélie Wehrlin Journaliste

Pour les couples, surtout quand la situation est tendue, les vacances peuvent s’avérer décisives. Mais comment faire pour que ce moment hors du temps soit aussi tendre qu’espéré et ne vire pas au cauchemar… et au divorce?

Aaah les vacances, on les attend 340 jours dans l’année, 340 jours pendant lesquels on court. Alors, c’est inévitable, on a souvent tendance à les fantasmer. Promesses de plaisir, détente et découverte, elles sont aussi souvent perçues, quand on est en couple, comme l’occasion de casser le rythme frénétique du quotidien et cette routine un tantinet mortifère pour toute love story. Et ce encore plus quand on a des enfants. Cette parenthèse prend alors des airs de moment rêvé pour se retrouver. Mais si l’on a vite fait de croire que l’harmonie va venir d’elle-même, l’osmose est loin d’être garantie…

Dans son livre Faits, II, sorti en 2007 chez Gallimard, le romancier américain Marcel Cohen évoque le retour en voiture comme un moment privilégié par les hommes aux Etats-Unis pour annoncer le désir de mettre fin à une relation. Obligeant l’automobiliste à garder le regard rivé sur la route, dans l’impossibilité d’affronter celui de l’autre, la voiture offrirait un boulevard d’aisance pour dévoiler l’inéluctable.

C’est de l’incident, de l’imprévu, de ce qui n’était pas censé arriver que renaît la complicité à deux.

Pauses pas si parfaites

C’est que les escapades hors de la maison sont en réalité plus qu’une pause parfaite pour profiter de la vie à deux. A l’instar des photographies qui jusqu’à il y a encore quelques décennies peuplaient nos albums-souvenirs, les vacances jouent souvent un rôle de révélateur: de contrastes, de distances, de malentendus. Ou en tout cas de loupe sur des aspects de l’autre qui seraient moins visibles dans son milieu naturel. Les congés loin de tout ont dès lors, plus qu’on ne le pense, une responsabilité cruciale dans la relation. Un fait que la sexologue et thérapeute relationnelle Rika Ponnet confirme, soulignant que ce n’est pas un hasard si cette période estivale est systématiquement suivie d’un pic dans les procédures de divorce, mais aussi dans le recours à la thérapie en duo.

couple séparation
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On n’ira pas jusqu’à dire que «les vacances, c’est la pire épreuve du couple», comme ça semble être le cas pour celui formé par Jonathan Cohen et Camille Chamoux dans le très drôle Premières vacances (2018). Mais pour qu’il soit bénéfique à une relation, ce moment de l’année se travaille, parce que comme dit le proverbe: «L’école de la vie n’a point de vacances», elle. D’autant que partir avec sa moitié signifie souvent être 24 h/24 avec elle, sans les échappatoires habituelles, dans un contexte inconnu qui peut être stressant et trahir un tempérament plus ou moins adaptable. Même si le voyage pourrait aussi, comme l’avance la psychothérapeute de couple Cécilia Commo, être le moyen de sauver un amour essouflé.

Crash test

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Pour la psychanalyste, sexologue clinicienne et autrice du récent Le couple parfait n’existe pas (Flammarion), «les vacances sont un révélateur de la bonne santé du couple». Selon elle, même si on se ment parfois, finalement, quand ça va mal, on le sait déjà… Mais encore faut-il en être tous les deux conscients. «J’ai souvent entendu, dans un couple qui revenait de congé, l’un dire «c’était pas mal», quand l’autre pensait clairement «c’est fini»», raconte l’experte. Celui qui ressent que la relation s’étiole a tendance à visualiser les vacances à deux ou en famille comme une période test ou de réflexion. Mais le plus souvent, pas grand-chose de différent de l’habitude ne se produit. D’autant que celui du couple qui n’est pas au courant n’a pas non plus les armes pour rivaliser.»

Vacances à 2… +1

Et les choses sont encore plus compliquées pour ceux qui ont une histoire parallèle et qui misent sur cette parenthèse pour voir naître un retour de la flamme. «Quand on passe les vacances à penser à l’autre, ce n’est plus à deux que l’on part, mais bien à trois», illustre la spécialiste. Dans cette situation, quitter l’autre au retour a pour conséquence de générer un sentiment d’extrême trahison. «Cette comédie, cette dissimulation est très mal vécue et cette façon de faire ne manque évidemment pas de faire penser à celui qui reste sur le carreau qu’on s’est moqué de lui», souligne la thérapeute.

« Celui qui ressent que la relation s’étiole a tendance à visualiser les vacances à deux ou en famille comme une période test ou de réflexion. Mais le plus souvent, pas grand-chose de différent de l’habitude ne se produit. « 

Quelle que soit la situation, envisager les vacances comme un ultime test n’est donc jamais une bonne idée, sauf si la volonté est d’avancer ensemble vers l’inconnu. C’est alors le meilleur moyen d’optimiser les bienfaits de l’évasion pour la relation. Mais hélas, et à tort, on emmène souvent dans les valises les griefs que l’on a contre l’autre et la liste de ce qui ne va pas ou plus. Il faudrait au contraire se dire que l’on profite de ce séjour pour aborder les problèmes. En faire un moment positif où on va prendre le temps de parler de ce qui ne va pas dans nos comportements respectifs. Les vacances peuvent offrir le contexte propice à mettre à plat ce qui a été difficile. Pourvu qu’on sache s’y prendre. Parce que le final miraculeux du couple Katherine (alias Ingrid Bergman) et Alex (alias George Sanders) Joyce, du si douloureux Voyage en Italie de Roberto Rossellini, se produit rarement dans la vraie vie.

A l’aventure

Mais comment mettre toutes les chances de son côté? On aurait tendance spontanément à penser que pour que le moment soit agréable et bien vécu, il faudrait qu’il ne présente pas d’aspérités. «Je me rappelle une patiente sollicitant un rendez-vous en urgence, prétextant le départ imminent de son couple qui partait à vau-l’eau. Quand j’ai appris qu’elle avait réservé un resort 5-étoiles sur l’île Maurice pour leur permettre de se retrouver, j’ai su que c’était cuit!», confie Cécilia Commo.

Pour elle, c’est tout l’inverse qui pourrait permettre de sauver la mise: «C’est de l’incident, de l’imprévu, de ce qui n’était pas censé arriver que renaît la complicité à deux.» Il faut donc s’efforcer de s’extraire de la logique du confort comme générateur de sentiments forts et rassurants. Il faut tâcher de faire l’expérience de la nouveauté en tandem. A contrario, les vacances redondantes ne servent pas à grand-chose pour l’histoire d’amour. Sortir de l’ordinaire semble vraiment salvateur.

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Et c’est assez logique finalement: quand l’être humain tombe amoureux, son cerveau flotte littéralement dans un bain d’hormones – dopamine, sérotonine – généré par la rencontre. Quand on se lasse, celles-ci disparaissent.

«C’est de l’incident, de l’imprévu, de ce qui n’était pas censé arriver que renaît la complicité à deux.»

Cécilia Commo

Il s’agit alors de réinjecter de ces substances qui nous font tant de bien. C’est cela même que les situations imprévisibles sont capables de faire, reproduisant ce bain de jouvence initial. «L’idée est de réussir à voir, à regarder l’autre autrement que ce qu’on a pris le pli de faire. Parce qu’il se sera montré sous un jour différent, à l’instar de John McClane (alias Bruce Willis) dans Die Hard, méprisé par son ex au début du film, qui, après une folle journée, redevient l’objet de son affection», observe encore notre interlocutrice.

Enfants et notifications non admis

Si le but est de rendre les vacances profitables au couple, il est aussi nécessaire de dégager du temps sans enfants. Faire comprendre à sa progéniture qu’il existe un temps pour les adultes – qui ne seraient alors plus des parents – est en réalité bénéfique pour tous. De manière évidente pour les parents, évidemment, mais aussi pour les petits, à qui ce moment mystérieux est encore interdit, mais auquel ils pourront accéder plus tard. C’est un excellent moyen de leur donner envie de grandir: ce temps dont ils ignorent tout a le pouvoir de les faire rêver. «S’ils profitent de tout comme les adultes, à quoi bon grandir, si ce n’est pour avoir seulement en plus les soucis qui viennent avec l’âge», avertit Cécilia Commo.

Quand j’ai appris que cette patiente avait réservé un resort 5-étoiles sur l’île Maurice pour leur permettre de se retrouver, j’ai su que c’était cuit!

Dans beaucoup de familles se pose toutefois la question de comment créer ce tête-à-tête, pratiquement. Notamment si l’on n’a pas de back-up.

Il faut alors pallier par son imagination et encore plus sans doute par son organisation. Dans cet esprit, après une journée bien remplie, «pas de scrupules à mettre les enfants au lit à 20 heures, pour profiter à deux de la soirée. Avec en tête une règle: ne pas faire ce que l’on fait le reste de l’année», résume l’autrice. Traduction: bannissez la télévision, Netflix et autre divertissement sans surprises.

Autre règle d’or: il faudra oublier portables et réseaux sociaux, au moins en soirée. Dès qu’un, voire deux téléphones restent dans la pièce, c’est le monde entier qui s’attable avec vous. «J’entends souvent mes patients me dire que traîner sur les réseaux sociaux, notamment en vacances, les détend. Mais cette impression de détente est fausse, puisqu’elle a vite fait de se mouvoir en déprime», poursuit l’experte.

Avoir le nez dans la vie des autres, ou plus précisément dans ce que les autres en donnent à voir, plutôt que dans la sienne, est rarement une bonne idée. Il faut battre en brèche cette impression de rater quelque chose si on s’éloigne de ces médias et ne pas relayer non plus en direct ou presque son album de vacances, ce qui détruit tout espoir de créer de l’intimité. «L’imagerie du couple sur Instagram et consorts fait beaucoup de mal à monsieur et madame Tout-le-monde, tout simplement parce qu’elle est irréaliste», prévient Cécilia Commo.

Libido ex nihilo?

Quant à la libido, Cécilia Commo ne cesse de le répéter, parce que d’expérience, cette évidence semble avoir disparu des esprits de personnes qui font couple: «Des conditions préalables existent toujours.» La libido n’est pas un phénomène qui émane ex nihilo. La vision que l’on a de l’autre, mais aussi de soi-même est un élément essentiel pour la qualité de la sexualité.

«Il faut se renarcissiser», pour regagner une estime de soi peut-être en berne

Ainsi faudrait-il garder à l’esprit que, pour maintenir le feu sacré, il faut savoir redevenir un·e inconnu·e pour l’autre. Et la sexothérapeute d’appuyer qu’«il faut se renarcissiser», pour regagner une estime de soi peut-être en berne, et générer du désir chez son partenaire. Et les vacances, parce qu’elles nous sortent de la routine, sont peut-être la période la plus propice. C’est le moment de se replonger dans sa mémoire pour se souvenir de ce qui nous a tant plu chez l’autre qu’on a décidé de partager sa vie. A cela s’ajouteront le soleil et les corps délestés du textile, autant de facteurs qui vont permettre de séduire et d’être séduit à nouveau, et ont le pouvoir de remettre une pièce dans la machine pour la relancer… Tout n’est pas perdu!

Catherine, 54 ans

«Avant d’être officiellement ensemble, nous avons été amants un an et fait à l’époque quelques échappées belles. Quand nous avons officialisé notre relation, Paul est vite venu vivre avec moi. Une vie commune qui a duré trois ans. Une très bonne amie m’avait alors dit: «Avant d’emménager avec lui, je te conseille de partir en voyage ensemble.» Mais le souvenir de nos escapades m’avait convaincue. On a ensuite fait plusieurs voyages – à Barcelone, des road trips à vélo… – et à chaque fois au retour, quelque chose passait mal.

L’hiver dernier, une série de coïncidences a allumé dans nos esprits notre envie commune d’aller découvrir un petit coin de Bretagne. La route, qui devait fournir son lot d’aventures, ne fut constituée que de kilomètres à avaler le plus vite possible. Arrivés sur place, la tuile: le chauffage de notre chambre d’hôte n’était pas au top. Mais plutôt que d’enfiler trois pulls et d’en rigoler, cet incident a fini de congeler l’ambiance. Partis à la découverte du coin, on s’est retrouvés dans un bourg désert. J’ai alors proposé de boire une bière sur un banc, mais monsieur n’en voyait pas l’intérêt. On a rapidement fait le tour pour aller enfiler notre bonnet de nuit à 22 heures.

Au petit déjeuner, des produits du terroir se bousculaient à table. Mais lui ne mange que sucré le matin. Pas de plaisir partagé. Là, j’ai perçu que nous étions à ce point différents, je me suis sentie rabrouée dans mon enthousiasme. A 14 heures, on était sur la route du retour… J’ai pris la semaine pour mettre mes idées au clair, et le week-end suivant je l’ai quitté. Il avait fait de ce voyage qui avait tout pour être drôle et gourmand un moment pénible. J’ai pris conscience de beaucoup de choses sur lui et moi dans ce contexte, que notre manière de réagir aux situations inattendues était aux antipodes, et que je n’avais aucune envie de rejoindre sa rive.»

Charlène, 35 ans

«Nous étions ensemble depuis plus de quatre ans lorsque le Covid est arrivé. En mars, mon père a été hospitalisé et j’ai fait ma valise et filé chez mes parents. Trois semaines plus tard, mon père décédait, ce fut la sidération. Avec les restrictions, on ne pouvait pas se déplacer. Lucas, mon conjoint, bossait à Paris et moi j’étais restée chez ma mère pour la soutenir. Pendant les trois mois où ça a duré, on s’est vus quinze jours à peine. Je ne trouvais pas en lui une épaule réconfortante, non pas qu’il ne me l’ait pas proposée mais parce que je ne lui donnais pas ce rôle.

Avant la pandémie, nous avions planifié un voyage d’un an en Asie dès mai 2020. Au retour, nous avions prévu de nous installer en France. Mais, confinée chez ma mère, j’ai réfléchi et décidé d’aller habiter à Marseille. Et Lucas n’avait plus forcément sa place dans ce projet: j’avais envie de tout recommencer à zéro. Quand il m’a rendu visite, je lui ai avoué entre deux sanglots être paumée.

Un peu plus tard, il m’a proposé de nous retrouver pour une semaine de vacances. Sa proposition m’a soulagée. Je ne me voyais pas envisager quoi que ce soit sans que nous nous soyons reconnectés l’un à l’autre. On a loué un Airbnb en Provence. J’avais beaucoup d’appréhension mais cela s’est passé de façon naturelle. Nous avons dévoilé nos ressentis, même ceux qui font mal. Je lui ai fait part de mes doutes, tout en lui disant à quel point il comptait ; il m’a avoué sa peur de me perdre ; ça nous a apaisés. Nous avons décidé que nous emménagerions ensemble en septembre. Cette semaine nous a aussi permis de nous retrouver physiquement et le désir était très présent. Cette parenthèse a été décisive: pas sûr que nous serions restés ensemble si nous n’avions pas eu cette opportunité de nous retrouver dans un cadre neutre.»

Benjamin, 37 ans

«On s’était rencontrés hors saison, sur une plage de Sardaigne, attirés l’un par l’autre, d’un simple regard. Ce contact visuel a longtemps été la base de notre relation fusionnelle et exclusive. Une relation qu’Els qualifiait de céleste. Els est flamande, moi bruxellois francophone. Notre langue commune était l’anglais. On vivait dans notre bulle cosmique, où nous seuls existions.

Un jour, des amis à elle nous ont invités dans leur villa à Ibiza, cette même villa où nous avions assisté à leur mariage un an et demi plus tôt. Avant de partir, je sentais que c’était une mauvaise idée. Et de fait: je me suis vite retrouvé seul entouré d’une bande d’amis néerlandophones, dont je ne partageais en rien les vues politiques et culturelles. Dans notre relation en tête à tête, ces questions n’avaient pas cours. On semblait partager tacitement les mêmes valeurs.

Mais être plongé dans son monde, dont j’étais par mon identité même directement exclu, m’a fait prendre conscience du fossé idéologique qui nous séparait. La voir ainsi avec ses amis a mis en évidence des aspects de sa personnalité qu’elle n’avait pas l’occasion d’exprimer avec moi et qui m’étaient intolérables. Ce séjour m’a servi de test, ou en tout cas de prétexte solide, pour mettre fin à notre relation, ce que j’ai fait dès notre retour. C’est pourtant une femme que j’aime toujours quelque part, mais découvrir son univers dans ce contexte de vacances pseudo-idylliques a comme qui dirait fait éclater notre bulle

Cecilia Commo anime du 4 juillet au 4 août l’émission Parlons-nous, en direct du lundi au jeudi de 22 h à minuit sur RTL

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