Infidélité: faut-il se mêler des amours des autres? Avis d’experts et témoignages
Franchise et communication sont des piliers incompressibles de toute relation solide. Mais doit-on pour autant se mêler des amours de ses amis ? Décryptage et témoignages.
« Bien sûr que je voudrais qu’on me le dise », s’exclameront certains, tandis que d’autres jureront ne surtout pas vouloir savoir. Abordée entre amis, la chimère de l’infidélité n’a pas son pareil pour diviser, avec d’un côté ceux qui partent du principe que ce qu’on ignore ne peut pas nous blesser, et de l’autre, les partisans d’une transparence totale. Et au centre, des proches parfois un peu désemparés, car de la théorie à la pratique, il y a un fossé. Surtout que dans les faits, il n’est pas toujours simple de savoir comment se comporter, qu’il s’agisse d’une incartade apprise de manière fortuite ou bien d’un ressenti sur la personne qui partage la vie de notre ami.
To dire or not to dire ?
Pour la psychologue liégeoise Jennifer Moers, il est important de (se) rappeler que « le lien de proximité que l’on entretient avec des personnes n’est pas forcément une invitation à donner son avis quoi qu’il en coûte. Il faut faire attention à la franchise à outrance sous prétexte d’une amitié manifeste. Et toujours prendre soin de sonder votre motivation à intervenir si vous en ressentez le besoin, afin de ne pas fonctionner sous forme de projections personnelles, teintées par votre vécu ». En d’autres mots : ce n’est pas parce que votre ex vous a laissé le cœur en miettes qu’il faut faire preuve de méfiance envers toute romance potentielle – qu’il s’agisse des vôtres ou de celles de vos proches.
Mais s’il ne s’agit pas de simples a priori ? Comment réagir quand le silence sonne comme une forme de trahison, et que l’on devient bien malgré soi garant d’un secret lourd à porter ? Si la tentation est grande de faire part à nos proches d’une infidélité éventuelle, par exemple, là aussi, Jennifer Moers recommande la prudence. « Aussi proche soit-on des personnes, on ne connaît jamais l’entièreté de ce qu’elles expérimentent et vivent. Pas plus qu’on ne connaît les termes de leur « contrat » de couple. Chaque couple a sa propre définition de la fidélité et de la loyauté, et il peut donc s’avérer risqué de s’aventurer sur ce domaine. » Surtout à l’heure du polyamour et autres remises en question de la vision traditionnelle du couple – avec toutes les implications que cela peut avoir pour les relations amicales.
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Je t’aime, moi non plus
De son Astrolove, « manifeste pour une vie amoureuse épanouie grâce aux astres », à Am(e)our, son guide pour mieux aimer et être aimé·e, Shana Lyès, alias Astrolya, n’a de cesse de s’intéresser à l’amour sous toutes ses formes. Et confie que sa curiosité ne l’empêche pas d’avoir des valeurs bien arrêtées : « J’ai déjà cessé de voir une amie en sachant qu’elle trompait son partenaire. Je n’ai jamais interféré dans son couple, car je pars du principe que tout se sait tôt ou tard, mais je n’ai pas continué à voir cette personne qui ne partageait pas les mêmes valeurs que moi. » Son mari, Vincent, n’est pas si catégorique : « J’ai des copains qui sont d’excellents amis, mais de très mauvais partenaires pour leurs compagnes… J’ai appris à faire la distinction entre « un bon ami » et un « bon mari » : je sais que je peux passer du bon temps avec eux, partager des loisirs et de chouettes moments… Mais je sais aussi à qui je ne pourrais jamais demander de conseils relationnels, rit-il. Je n’ai jamais brisé une amitié à cause d’une tromperie, ni trahi la confiance de mes amis, mais si j’estime que la personne se comporte mal, je n’hésiterai pas à le lui dire. » Un réflexe qui semble tout aussi naturel qu’il interroge : au fond, pourquoi ressent-on le besoin de se mêler des affaires de cœur des autres ?
Le cœur a ses raisons
« Mais parce qu’on les aime, enfin », marmonnez-vous peut-être à la lecture de cette question. Et sans doute est-ce la réponse en ce qui vous concerne, même si Jennifer Moers pointe plutôt d’autres explications un peu moins nobles. Soit, en premier lieu, une tendance à l’impression d’être responsable des autres, surtout si, dès l’enfance, on a appris que pour se sentir aimé et valorisé, il fallait prendre soin de notre entourage. Il se peut aussi que cette propension à scruter la vie d’autrui soit une forme de distraction, « parce que se remettre en question demande du courage, et s’intéresser aux problèmes des autres apparaît alors comme un moyen de détourner l’attention de ses propres difficultés ». A moins qu’il ne s’agisse d’une manière de combler un vide intérieur. Ou encore, épingle notre psychologue, d’un effet miroir. « Parfois, des personnes ou des couples font émerger en nous des émotions telles que le jugement ou l’indignation. Dans ces cas-là, la critique et le jugement sont une manière de se rassurer en se disant que nous fonctionnons mieux qu’eux », ajoute notre spécialiste.
Un sentiment qui peut être poussé à son paroxysme, la Liégeoise pointant que « dans certains cas, les valeurs d’une personne lui servent de boussole et lui permettent de garder le contrôle. Si elle constate que des amis proches ont un fonctionnement qui vont à l’encontre de ses principes, elle peut ressentir un besoin de rétablir une forme de cohérence interne au détriment des autres ». Non pas, comme Shana, en coupant simplement les ponts, mais bien en exposant la personne qui agit d’une manière qui ne s’aligne pas avec nos valeurs cardinales, quitte à sacrifier son couple au passage.
Aussi proche soit-on des personnes, on ne connaît jamais l’entièreté de ce qu’elles expérimentent et vivent.
Jennifer Moers
Psychologue
Ainsi que le rappelle Gabrielle Bernstein, conférencière et coach de vie chouchou d’Oprah Winfrey mais aussi et surtout autrice du best-seller international Et si on arrêtait de juger, « la frontière entre soutenir nos proches et essayer de les « réparer » est ténue. Or, même si on a tendance à se rendre responsable du bonheur des autres et que cela peut nous sembler égoïste de ne pas intervenir, chaque personne est responsable de son propre bonheur ». Bien sûr que ce n’est pas simple pour vous de voir votre ami·e en couple avec quelqu’un qui n’est pas à la hauteur, « mais se mêler du bonheur des autres a toujours l’effet inverse de celui escompté », martèle Gabrielle Bernstein. Chacun pour soi et mieux pour tous ?
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Aviser au cas par cas
Si les incursions dans la vie sentimentale de nos proches sont déconseillées, elles ne sont pas à proscrire pour autant. Chaque couple est unique, chaque situation aussi, et certaines d’entre elles invitent au dialogue. Ainsi, pointe Jennifer Moers, « si on a un accord préalable du type « si ceci ou cela arrive, je souhaiterais que tu me le dises » avec la personne, il faut l’honorer, tout comme on peut également s’exprimer en cas de demande d’aide ou de conseils explicite. Si la situation devient dangereuse, par exemple en cas de violence conjugale, il y a un devoir d’intervention, tout comme en cas de non-respect manifeste des lois. Enfin, si les choix émanant du couple en question viennent directement impacter votre vie, vous êtes évidemment en droit de monter au créneau puisque vous devez porter un bagage qui n’est pas le vôtre. Il est alors important de pouvoir poser ses limites ». Mais aussi de se rappeler qu’en amitié comme dans la vie (de couple et de tous les jours) la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Libre à vous, donc, de vous mêler des amours d’autrui si le cœur vous en dit – tout comme ils sont libres de vous répondre que cela ne vous regarde pas.
Ils ont parlé (ou pas) et le regrettent (ou non)
« C’est une situation perdant-perdant »
Charles, 39 ans, ne se mêle sous aucun prétexte des affaires de cœur de ses proches.
« Je pars du principe que nous sommes tous des adultes et qu’il appartient à chacun de faire ses choix, en particulier en ce qui concerne l’intimité. Je ne m’y immisce pas, parce que cela ne peut être que dommageable pour toutes les parties impliquées : soit on n’est pas d’accord avec la personne qu’on conseille, et on risque de se brouiller avec elle, soit la personne écoute les conseils, et si elle regrette son choix par la suite, on en porte le blâme. La plupart des gens sont émotionnellement volatiles, et prompts à se rabibocher aussi vite qu’ils se déchirent, donc la moindre parole, même si elle va dans le sens de notre proche sur le moment, peut nous être rejetée au visage plus tard. Attention, en cas de situation violente ou toxique, le silence n’est évidemment pas de mise ! »
« Cela a causé des fissures irréparables »
Anne, 32 ans, a fait les frais d’une intervention amicale.
« Quand mon mari est rentré d’un jogging avec un pote et qu’il m’a demandé si je n’avais rien à lui dire, je lui ai répondu en riant que non, vu que ça faisait moins d’une heure qu’on s’était quittés. Face à sa persistance et à la colère sourde qu’il peinait à contenir, je lui ai demandé d’arrêter de jouer aux devinettes et de me dire ce qu’il y avait, et c’est là qu’il m’a appris qu’il était au courant que je l’avais trompé. Problème : je n’avais jamais ne fût-ce que jeté un regard sur un autre que lui depuis qu’on était ensemble. Après de nombreux recoupements et pas mal d’éclats de voix, on a fini par comprendre que la petite amie du copain en question avait inventé l’histoire de toutes pièces, pour des motifs qui m’échappent encore aujourd’hui. L’incident étant symptomatique de son caractère instable, l’ami de mon mari a fini par la quitter, mais des années plus tard, je ne lui ai toujours pas pardonné d’avoir colporté un mensonge pareil sans même avoir tenté de recouper les faits. Et si je dois être parfaitement honnête, j’en veux encore un peu aussi à mon mari d’avoir si facilement cru que j’aurais pu le trahir. »
« Vingt ans plus tard, je regrette encore de m’être tue »
Solange, 43 ans, a gardé le silence et le regrette.
« On venait à peine de sortir de l’université quand une de mes meilleures amies m’a annoncé qu’elle était fiancée avec un homme plus âgé qu’elle fréquentait depuis un an, et qu’elle voulait que je sois son témoin. Son fiancé était une plaie, un véritable éteignoir qui n’avait de cesse de la manipuler, mais j’étais jeune et désemparée et je craignais de juste lui gâcher son bonheur si je lui faisais part de mes doutes. Très rapidement après le mariage, elle est tombée enceinte et alors qu’elle approchait du terme, j’ai appris que son mari la trompait éhontément. Là aussi, je me suis tue, ou plutôt, j’en ai parlé à sa sœur, en me disant qu’elle saurait mieux que moi quoi faire. J’avais très peur de l’impact que pourrait avoir la nouvelle sur sa grossesse, et je n’ai su que bien plus tard que sa sœur ne lui en a rien dit, quand mon amie a enfin décidé de quitter ce triste sire. C’était il y a dix ans, et malheureusement, alors qu’on était si proches, on n’a jamais su réparer notre lien. Elle m’a avoué m’en vouloir de ne rien lui avoir dit de mes doutes au moment de son mariage, ni de l’infidélité, m’assurant que si elle l’avait su, elle l’aurait quitté bien plus tôt. Même si je le regrette et je trouve qu’elle n’a pas à me faire porter ce poids-là. »
« A refaire, je le ferais plus tôt »
Aymeric, 27 ans, est ravi d’avoir dit ce qu’il avait sur le cœur.
« Après une rupture difficile, ma sœur est tombée dans les bras d’un pauvre type trop content de trouver une proie si facile. Elle était au fond du trou émotionnellement, et lui voyait clairement en elle une gentille petite marionnette qu’il allait pouvoir modeler à sa guise. J’ai d’abord mordu ma langue, parce qu’elle me disait être heureuse avec lui, et je n’avais pas envie de la chambouler alors qu’elle tentait d’aller de l’avant, mais quand j’ai appris qu’il lui avait fait des commentaires sur son poids, j’ai vidé mon sac. J’ai dit à ma sœur tout le mal que je pensais de son mec, et même si sur le moment, elle ne l’a pas très bien pris, cela a été le déclencheur de discussions avec ses amies, qui ont toutes fait écho à mon avis. Finalement, elle sera restée un peu moins d’un an avec ce tocard, et si c’était à refaire, je lui dirais mon avis bien avant pour qu’elle ne perde pas autant de temps avec lui. »
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