La salle d’attente de la vie: confidences de trois jeunes transgenres

Fine Wesselink, Kato Ooms et Finn Van Batenburg © Jules August
Elke Lahousse
Elke Lahousse Journaliste

Etre garçon dans un corps de fille, ou inversement, cela commence parfois dès l’enfance, comme en témoignent les trois jeunes personnes transgenres que nous avons rencontrées. Depuis un an et demi, une cellule du CHU de Liège prend en charge les transitions infantiles. Sans freiner ni encourager.

La difficulté de naviguer dans le spectre de l’identité de genre n’est pas réservée aux adultes mais touche aussi les enfants et adolescents. C’est le cas de Fine, Kato et Finn (lire par ailleurs), nés dans un corps qui ne leur appartient pas. Pour eux, un long processus de transition s’annonce. Le temps d’attente pour obtenir un entretien avec une Genderteam – comprendre une équipe de médecins ayant pour but d’aider une personne transgenre dans sa transition – peut atteindre deux ans. Des délais qui peuvent décourager et alourdissent encore plus la souffrance que la dysphorie de genre peut causer.

Jusqu’en 2019, la seule équipe qualifiée dans le domaine était celle de l’UZ Gent. Celle-ci étant surchargée – outre le problème de la barrière de la langue pour les jeunes francophones -, une seconde Genderteam a vu le jour. Au sein du CHU de Liège, le professeur Alain Malchair (lire également son interview complète), pédopsychiatre, aidé du professeur Anne-Sophie Parent, endocrinologue pédiatrique, forment la première cellule en Wallonie dédiée à l’accompagnement de personnes transgenres mineures. Ce suivi particulier spécialisé dans la question transidentitaire infanto-juvénile est unique en Belgique francophone.

Parce qu’il y a autant de transitions que de démarches, ce processus requiert du temps, de l’écoute et un suivi constant des personnes trans. D’autant plus lorsque l’on se trouve en face de mineurs amenés à faire des choix lourds de conséquences. Cependant, comme le rappelle le Pr. Alain Malchair: « Nous ne sommes pas là pour freiner les gens ou les décourager. Si on est présents, c’est qu’on est persuadés que ça a un sens. Mais on veut à tout prix éviter les erreurs. »

L’équipe du CHU de Liège travaille dans une démarche de protection. Elle tente d’assurer la réversibilité de toute transition jusqu’à la maturité de la personne transgenre. Le but est d’accomplir une transition raisonnée et adaptée à chaque individu. « On prend son temps, insiste Alain Malchair. Notre rôle n’est pas de donner des pilules à tout-va. Les gens ne sortent pas de la première consultation avec une prescription d’hormones. »

Dans ce contexte, il paraît d’autant plus pertinent d’encadrer correctement les jeunes en recherche d’aide dans leurs transitions. Afin qu’ils puissent s’épanouir à leur rythme.

Fine Wesselink, 8 ans.

Est en troisième primaire. Aime les Lego, le breakdance, jouer du piano et manger.

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© Jules August

« J’ai toujours pensé que j’étais un garçon, jusqu’à ce que maman m’explique que j’étais une fille. Je ne m’en souviens pas, mais quand j’étais petit, je testais d’autres prénoms. Je me réveillais le matin et je disais: « Aujourd’hui, je m’appelle Max. » Puis j’accrochais une étiquette sur mon lit avec mon nouveau nom.

Parfois, maman me pose des questions difficiles auxquelles je ne sais pas répondre. Elle me demande si je voudrai prendre un médicament plus tard qui me permettra d’avoir une barbe ou une moustache. Mais moi, je préfèrerais tout simplement grandir comme je suis. »

Maman: « Un jour, avec Fine et ses grandes soeurs, nous étions en train de parler de puberté et des filles qui attrapent de la poitrine, des poils sous les aisselles et qui ont leurs règles. Fine s’est exclamée: « Ouf! Je suis content d’être un garçon! » C’est à ce moment que je lui ai dit qu’un médecin pouvait lui donner un médicament pour ne pas que tous ces changements féminins opèrent sur son corps. »

Fine: « Quand j’avais 6 ans, nous sommes allés à l’hôpital pour parler avec un docteur. Je me souviens qu’elle m’a demandé de jouer avec des jouets de filles ou de garçons. Mais je n’en avais pas envie. »

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© Jules August

Maman: « Fine n’avait que 4 ans lorsqu’elle nous a dit qu’elle était un garçon. Nous étions tous à table et mon mari a dit: « Je suis le seul homme assis à cette table. » Fine a rigolé: « Papa, tu ne sais pas compter! » « Comment ça, tu vois un autre garçon? » a-t-il répondu. Ce à quoi Fine a rétorqué: « Oui, moi! » Ses soeurs ont éclaté de rire. « Où est ton zizi alors? » Fine s’est arrêtée net. C’est la première fois qu’elle réalisait que quelque chose clochait. C’est à ce moment-là que nous avons compris pourquoi elle ne voulait jamais enfiler une culotte de fille lorsqu’elle avait un accident à la crèche. Ou pourquoi elle avait hurlé le jour où je lui avais mis une robe pour aller au restaurant.

Quand Fine avait 4 ans, nous avons appelé le Genderpoli (NDLR: un centre qui aide les enfants et les jeunes qui ne se sentent pas bien dans leur corps) à Amsterdam, aux Pays-Bas, où nous vivons. Après deux ans d’attente, on lui a diagnostiqué une dysphorie de genre. Pendant cette période, j’ai été mise à rude épreuve. En tant que parents, vous avez envie d’aider votre enfant et de le voir heureux. Heureusement, Fine sait très bien ce qu’elle veut. Le psychologue nous a conseillé de continuer à utiliser le pronom « elle », tant que cela ne la blesse pas, afin de garder la sexualité cognitive ouverte.

Pourtant, quand Fine était plus jeune, elle était très heureuse quand un serveur demandait: « Et qu’est-ce que le petit garçon veut boire? » »

Fine: « Mais à présent cela ne me fait plus rien du tout. Tout le monde peut être ou dire ce qu’il souhaite. Nous sommes plus que des garçons et des filles. Nous sommes des cellules, une énergie, des mammifères. »

Kato Ooms, 18 ans.

Suit une formation en techniques de la scène. Est en sixième secondaire. Aime la musique, la communauté Queer de Gand et s’habiller en drag-queen.

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« Je me décris comme une demi-fille. Certains jours je me sens plutôt non binaire, ni homme ni femme, tandis que d’autres, je me sens femme. Je n’ai pas besoin d’être mise dans une case, mais je sais que la plupart des gens aiment les étiquettes.

Il y a un mois, j’ai fait mon coming out en tant que Kato, un nom que j’ai choisi en concertation avec mes parents. Je voulais le faire depuis longtemps, mais tant que mon changement n’était pas officiel, mon école ne voulait pas prendre en compte ma nouvelle identité. Sur papier, Ostende, où je vis, est peut-être la ville balnéaire la plus branchée de la côte, mais en réalité, les mentalités y sont encore parfois arriérées. Les différentes identités de genre existantes ne sont pratiquement jamais abordées dans les cours d’éducation morale et je constate que tous les enseignants ne sont pas correctement informés sur ce sujet.

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© Jules August

A l’exception de deux andouilles, mes camarades de classe ont bien réagi à mon coming out. Toutefois, certains profs, dont on attendrait un rôle d’exemple, n’ont pas pu s’empêcher de faire des remarques, du genre: « Quand vas-tu sortir du placard? » Ou « Tu as de vraies mains de nana », juste parce que je portais du vernis à ongles. Un jour, une enseignante s’est mise à me crier dessus en m’aperçevant dans les toilettes des femmes. Elle pensait que je voulais y faire l’amour, alors que je cherchais simplement à uriner en paix. Heureusement, mon école a depuis lors fait quelques progrès, comme celui d’ériger un drapeau arc-en-ciel à l’entrée.

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Pendant longtemps, j’ai pensé que j’étais non binaire. Et puis, j’ai dû admettre que c’était bien plus que ça et que j’avais besoin d’une aide médicale. Cela fait neuf mois que je suis sur la liste d’attente pour un entretien avec l’équipe chargée des questions de genre à l’hôpital universitaire de Gand. C’est le seul endroit en Flandre où l’on peut suivre l’ensemble du processus de changement de sexe, jusqu’à la chirurgie transgenre, si on le souhaite. Le délai pour un entretien peut aller jusqu’à deux ans. Heureusement, j’ai déniché un psychologue spécialiste du genre qui me reçoit déjà en attendant, ainsi qu’une bonne adresse pour l’épilation définitive du visage. Ce mois-ci, je vais consulter un endocrinologue afin de discuter d’un traitement hormonal. J’espère que je ne devrai pas patienter trop longtemps avant de pouvoir commencer à prendre des hormones féminines. J’attends avec impatience les changements physiques qui en découleront, mais mentalement, j’espère aussi que la féminisation de mon corps m’apaisera. Je comprends pourquoi 66% des personnes aux prises avec leur identité sexuelle ont déjà fait une tentative de suicide. Dans les médias et les séries télévisées, la diversité des genres fait défaut. Les gens écrivent sur les hommes et les femmes trans, mais pas sur toutes les gradations entre les deux. »

Finn van Batenburg, 16 ans.

Etudie les sciences humaines en quatrième secondaire. Aime jouer du piano et regarder Netflix.

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© Jules August

« Avec le temps, c’est devenu de plus en plus évident: je suis un garçon. Chaque matin, je me dis que je perds encore une journée à ne pas pouvoir être la personne que je suis. Quand je dors, je ne porte pas de bandage de poitrine. Du coup, lorsque je me couche sur le ventre, la réalité me frappe de plein fouet. C’est comme si j’oubliais que j’avais encore un corps de femme. Idem quand j’ai mes règles… Dans ma tête, ça fait bien longtemps que toutes ces caractéristiques féminines ont disparu.

En sixième primaire, j’ai vu pour la première fois une vidéo sur une personne trans et j’en ai regardé plein d’autres sur Youtube. Malgré tout, je suis passé par une phase de déni où je faisais semblant d’être très féminine. Au début de la deuxième secondaire, je l’ai avoué à mes parents et en mai 2019, à tout le monde. Si j’avais le choix, je ne serais pas transgenre. Certaines personnes pensent qu’il s’agit d’une mode. C’est faux: la dysphorie de genre est tout sauf agréable à vivre. Surtout lorsqu’on sait ce qu’implique une transition.

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© Jules August

J’ai dû attendre près de deux ans pour décrocher un rendez-vous avec la Genderteam de l’hôpital universitaire de Gand. Ils m’ont expliqué que le temps d’attente pour une chirurgie est de six à sept ans. C’est plutôt démotivant. En prime, les bloqueurs de puberté ne sont pas une option, car je suis déjà trop âgé pour ça.

Plus ma puberté évolue, plus je suis dégoûté par mon corps. Ce mois-ci, j’ai rendez-vous avec un endocrinologue pour discuter d’un traitement hormonal. J’ai vraiment hâte que ma voix devienne plus grave et que mes poils poussent, peu importe où sur mon corps. Je dois également rencontrer le service de médecine reproductive, avec qui nous allons discuter de la possibilité de congeler mes ovocytes. Je ne suis pas impatient de raconter à nouveau toute mon histoire. Je l’ai tellement fait, que ce soit à l’école ou à ma famille.

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© Jules August

Depuis octobre, je ne vais plus à l’école. Même si mes camarades de classe ont réagi positivement à mon coming out, je n’y arrive plus. Mes parents sont très inquiets pour moi. Ils me soutiennent, mais le dialogue sur la situation est très difficile. Ils ont choisi le prénom Finn. C’est un nom scandinave, comme celui de mes frères, et il comporte encore trois lettres de mon ancien nom. J’ai beaucoup de chance d’avoir ma famille. Ma grand-mère a lu tous les livres et regardé tous les films qui existent sur les personnes trans. Elle fait de son mieux pour m’accepter.

Parmi les choses qui rendent ce processus plus supportable, il y a les petits changements comme mon nouveau prénom, et certaines personnalités comme le vlogueur et musicien britannique Noah Finnce ou Noah Adams, qui représente beaucoup pour moi. C’est la première personne transgenre que j’ai admirée. Les réseaux sociaux permettent de découvrir des individus hors du commun comme lui, mais c’est aussi un endroit propice aux messages de haine. »

À découvrir en images

Retrouvez Fine et Kato dans le livre et l’expo No Babes, un projet accompagné des photos de Morgane Gielen qui aspire à ouvrir la parole sur les sujets difficiles. L’expo se déroulera du 9 juin au 7 juillet au Broei de Gand.

Broei, 1, Geraard de Duivelstraat, à 9000 Gand. broei.be

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