Blanket La Goulue, drag à Bruxelles: « Être dans la rue en drag, c’est très compliqué. C’est même très violent… »
Blanket La Goulue, artiste drag bruxellois·e, nous raconte son parcours du métier de chef·fe de cuisine à l’engagement militant dans le drag. Car malgré les avancées législatives, la réalité du quotidien à Bruxelles reste complexe avec des discriminations et des violences toujours présentes. Témoignage.
« J’ai d’abord bossé en tant que cuisinier·ère puis le drag a pris de plus en plus de place dans ma vie. Comme je voulais m’investir à 100% dedans, j’ai fini par quitter mon autre métier. À la base je viens d’un drag plus punk, alternatif et militant. J’ai de plus en plus professionnalisé mon drag au point d’arriver maintenant à un drag à la croisée du pailleté et du politisé. On est à la fois sur quelque chose de politique mais aussi d’extrêmement divertissant, drôle et éducatif. »
« Playback » : une main tendue
« J’ai co-créé Playback: un drag show itinérant qui se produit dans des bars hétéros à Bruxelles. Le projet est né d’une volonté de professionnaliser le drag en Belgique et de donner une place à des drag(s) moins conformistes et moins mainstream à Bruxelles. Avec « Balance Ton Bar », on ne se sentait plus à l’aise dans les bars en général, mais aussi dans les bars gays, en tant que personne trans. C’est là qu’est née l’idée d’approcher des propriétaires de bars hétéros pour voir s’ils seraient chauds d’accueillir un événement queer. Tout ça pour permettre à leur bar de redevenir plus safe et, petit-à-petit, pour conscientiser le monde hétéro qui ne nous connait pas forcément.
« Moi je voulais que le public des bars vienne, et qu’après il puisse se dire « Si j’ai un enfant LGBTQIA+, c’est ok. » »
Avec « Playback », c’est ok de se tromper parce qu’on est là pour apprendre, sans condescendance. On va vous montrer ce que c’est que d’être nous, ce qu’est un corps trans, un corps queer, etc. Souvent, les performances sont assez politisées tout en restant bienveillantes, pour créer des ponts entre les hétéros et la communauté LGBTQIA+. »
Une réception positive
« Au début, ce n’était pas facile parce qu’on s’adressait à un public qui nous connaissait pas, donc on avait beaucoup d’ami·e·s qui venaient au spectacle. C’était génial de voir un public LGBTQIA+ dans ces bars, mais moi je voulais que le public des bars vienne. Qu’on soit pas forcément en terrain conquis et qu’après les personnes puissent propager la nouvelle et se dire, par exemple, « Si j’ai un enfant LGBTQIA+, c’est ok. ».
Tout doucement, ces publics cibles sont venus, et ce public est maintenant fidèle, il revient. On performe dans des bars à Ixelles, Schaerbeek, Saint-Gilles mais on fait aussi des dates à la Vénerie, le centre culturel de Watermael-Boitsfort. Il y a plein de personnes âgées et des membres de maisons de quartier qui viennent. Ça, c’est une victoire parce que ça signifie qu’on a vraiment réussi à adapter ces spectacles. Ce n’est pas une confrontation avec le public mais plutôt une collaboration main dans la main. »
Le quotidien à Bruxelles
« Le côté LGBTQIA+ friendly de la ville découle de l’auto-organisation de la communauté. Il y a beaucoup de collectifs qui se bougent, sans attendre les pouvoirs publics. Des collectifs comme Les Peaux De Minuit, Fatsabats ou encore Barakakings créent des espaces où la communauté peut vraiment vivre de manière libre. C’est ce qui rend Bruxelles grandiose et bienveillante.
Bruxelles est la capitale de l’Europe donc je pense qu’elle se doit de faire en sorte d’être LGBTQIA+ friendly. Au niveau législatif on sait que nos droits sont défendus. Après, il y a la réalité sur le terrain et ça c’est vraiment très compliqué. »
La réalité des violences LGBTQIA+
« En tant que drag queen trans et non-binaire, les violences font malheureusement toujours partie de mon quotidien. Malgré le fait qu’on soit l’un des pays les plus avancés en matière de droits LGBTQIA+, le drag n’est toujours pas considéré comme un métier. La précarisation dans le milieu du drag, elle est énorme. Ne pas savoir manger, ne pas savoir payer ses factures, c’est une forme de violence en soi.
« Beaucoup d’entre nous ont déjà été agressé·e·s dans le quartier gay »
Avec la mainstreamisation du drag et comme on est dans un milieu festif, on attire un public qui ne connait bien pas cet art et qui parfois se permet de toucher les performeur·euses ou crier des choses du style « à poil ! ». Puis, dans ma vie quotidienne, je sais que je peux pas sortir en drag dans la rue, je dois toujours prendre un taxi. Et pour les artistes dans mon show, j’essaie toujours de trouver des loges pour ne pas les obliger à se déplacer en drag jusqu’au lieu. Être dans la rue en drag, c’est très compliqué. C’est même très violent… »
Hier je suis sorti·e et comme c’est les premiers jours d’été, j’ai mis un petit top et je me suis fait·e insulté·e une dizaine de fois en une matinée. Une dizaine. Je suis hyper positif·ve dans la vie donc j’essaie vraiment de passer au-dessus mais c’est vraiment affligeant. Du coup, dans l’après-midi, j’ai remis mon pull. Globalement, il y a un vrai problème d’intolérance, alimenté par la montée de l’extrême droite dans le monde. Cela rend la transphobie omniprésente. Des fois c’est juste des regards méchants dans la rue et d’autres fois des crachats ou des insultes.
De manière assez paradoxale, l’insécurité est assez présente dans le quartier Saint-Jacques, alias le quartier LGBTQIA+. Il est en plein centre-ville. C’est une position très importante en termes de visibilité mais c’est aussi une position extrêmement dangereuse. Il attire toutes sortes de populations, toutes formes de tourisme et aussi des personnes souvent très alcoolisées. Souvent, quand on en parle avec des ami·e·s, on se rend compte que les agressions LGBTQIA+phobes se produisent dans le centre-ville et beaucoup d’entre nous ont déjà été agressé·e·s dans le quartier gay. C’est assez impressionnant et ça en dit long. Le quartier est extrêmement important mais il est difficilement protégeable, même s’il y a la police à côté qui, malheureusement, ne fait pas grand-chose. »
Une Pride en évolution
« Le 18 mai il y a d’autres Prides organisées, indépendamment de la Brussels Pride. Entres autres, la Pride « Back To The Roots » qui met en avant des artistes queers et surtout racisé·es. Il y aura aussi une Pride Calme à la Brussels Art and Pole School, pour les personnes qui ont envie de se poser sans affronter tout ce monde, tout ce bruit et tout cet alcool dans le centre-ville. Tout ça se fait parce qu’il y a vraiment tout un public qui ne se reconnait plus dans cette Pride dite « des institutions » ou « corporate ». explique Blanket.
Avoir un mois des fiertés c’est vraiment génial pour mettre la communauté en avant car on a toujours besoin de visibilité. Mais dans le milieu culturel, ce qu’on note tout le temps c’est qu’en fait beaucoup d’artistes LGBTQIA+ travaillent pendant le mois des fiertés et ne sont plus appelé·e·s en dehors. Il y a comme une volonté des institutions d’utiliser l’image des LGBTQIA+ et parfois un certain oubli des réalités, des combats et des LGBTQIA+phobies qui continuent malheureusement toute l’année. » conclut Blanket. »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici