« L’enfer, c’est les autres, surtout quand on arrête de boire de l’alcool »

Quand on arrête de boire de l'alcool, il faut être prêt·e à digérer les remarques des autres - Getty Images
Quand on arrête de boire de l'alcool, il faut être prêt·e à digérer les remarques des autres - Getty Images
Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web

Quand notre journaliste Kathleen Wuyard a pris la décision de ne plus boire d’alcool, elle l’a fait pour des raisons très personnelles. Ce qui n’empêche pas proches et moins proches d’avoir tous un avis sur la question – surtout si ce dernier n’est pas sollicité. Témoignage sur l’amer à boire.

C’est peut-être naïf de ma part, mais quand j’ai décidé d’arrêter de boire de l’alcool il y a six mois de ça, il m’a semblé qu’il s’agissait-là d’une décision qui ne concernait que moi. Une erreur de jugement qui a rapidement été rectifiée, tout comme ma conviction que je ne pouvais plus être saoûlée puisque je ne consommais plus de boissons alcoolisées.

C’était sans compter sur la gueule d’abois suscitée par le flot constant de remarques relatives à ma sobriété.

Et toi, pourquoi tu bois?

À commencer par le questionnement interloqué qui accompagne chaque commande: « pourquoi?! ». Question qui, si elle était posée dans l’autre sens, serait perçue au mieux comme étrange, au pire, comme un jugement: demander à l’autre pourquoi il ou elle boit de l’alcool revient en effet à questionner sa consommation, et donc, à remettre son comportement en question.

Surprise: quand il s’agit de s’enquérir du pourquoi du 0 degré, le ressenti est pareil. Avec la difficulté que la question est encore plus chargée. Si, dans mon cas, j’ai la chance d’avoir arrêté de boire « de mon plein gré », parce que je ne ressentais plus que les effets (toujours plus) négatifs de l’alcool sans bénéficier d’aucun de ses aspects plaisants, certaines personnes, elles, sont contraintes d’arrêter. Pour cause de dépendance, mais peut-être aussi de maladie ou d’une myriade d’autres raisons intimes et sensibles dont elles n’ont pas forcément envie de parler.

Et pourtant, s’il ne viendrait (probablement) à l’idée de personne de lâcher un « pourquoi » estomaqué au moment de la commande d’un verre de vin ou d’une bière, dans l’autre sens, le questionnement est admis et accepté. Ce qui est déjà suffisamment pénible (et potentiellement délicat) en soi, mais fait pourtant pâle figure à côté de la question subsidiaire à laquelle les femmes doivent faire face.

L’ovaire à moitié vide

Car forcément, si on est en âge de se reproduire, de sexe féminin, et qu’on ne boit pas, c’est parce qu’on est enceinte, n’est-ce pas? Allons bon, quel autre motif pourrait donc justifier pareille hérésie? On l’a vu plus haut: la dépendance, la maladie, la prise de médicaments, les préférences personnelles, aussi, car oui, il est permis de ne juste pas avoir envie de boire… Et comme dans le cas du « pourquoi », ce « t’es enceinte » lancé souvent sans malice aucune, mais sans réfléchir non plus, par automatisme, est aussi chargé que l’haleine d’un pilier de comptoir après quelques tournées.

C’est que ce n’est pas parce qu’on est une femme en âge de se reproduire que les organes impliqués choisissent forcément de coopérer, et celle à qui vous demandez, goguenard (le masculin l’emportant souvent sur le féminin dans le chef des personnes qui posent la question) si elle reste aux softs parce qu’elle attend un heureux événement, ne rêve peut-être que de ça sans que cela ne se concrétise pour autant.

Là aussi, j’ai la chance que ce ne soit pas mon cas, mais je ne peux qu’imaginer la douleur que cette question peut provoquer chez celles qui n’aimeraient rien tant que d’être maman, mais ne le sont pas pour des raisons hors de leur contrôle. À la douleur du manque, s’ajoute celle, cuisante, de son rappel, qui ne donne probablement qu’une envie: changer sa commande et boire pour oublier.

Mais peut-être est-ce qu’inconsciemment, le goujat qui a mis les pieds dans le plat n’attend que ça?

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Allez, juste un petit poison!

Car chaque personne qui a arrêté de boire de l’alcool le sait: si chaque « allez, juste un verre » s’accompagnait du paiement obligatoire d’une taxe d’un euro, il y aurait pas mal de zéros supplémentaires sur leur compte en banque. C’est qu’à moins d’avoir une « raison valable » (sic) il semble inconcevable de ne vraiment plus boire, et parfaitement admis de pousser à la consommation. C’est ainsi qu’un auteur belge renommé m’a confié préférer prétendre être alcoolique repenti afin qu’on le laisse siroter ses sodas tranquille.

Sachant les effets néfastes de la consommation d’alcool, même en petites quantités, sur la santé, on pourrait pourtant s’attendre à un respect de sa décision, voire même, soyons fous, à ce que celle-ci soit applaudie, mais non. Que du contraire, même.

Pour prendre l’exemple d’un autre produit cancérigène, disons qu’on imagine mal Machin ou Machine s’interroger sur le pourquoi du comment et encourager à fumer « juste une petite clope », parce que « ça ne fait pas de mal » en apprenant que la personne en face a arrêté de fumer. Pareil pour la consommation d’autres substances addictives, mais en ce qui concerne l’alcool, donc, il circule de manière tellement décomplexée qu’on en vient à ne pas réaliser qu’il n’est pas de bon ton d’encourager sa consommation.

Et d’ailleurs, pourquoi cette obstination?

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En verre et contre tous?

Probablement parce qu’ainsi que me le confiait mon mari, piteux, après s’être pris une tirade enflammée en réponse à son aveu que parfois, ça lui manquait que je ne l’accompagne plus quand il buvait un verre, ce choix, perçu comme personnel, renvoie les personnes qui nous entourent à leurs propres décisions. Dans une société où la consommation d’alcool est banalisée, normalisée, voire même encouragée, l’abstention des uns invite en effet les autres à questionner un comportement devenu quasiment automatique. Est-il vraiment nécessaire de sortir le champagne pour marquer une grande occasion? Un bon repas est-il amélioré par la consommation de vin en accompagnement des plats? Ce verre est-il bu par plaisir, par envie ou par réflexe?

S’il est parfaitement accepté socialement de siroter des bulles dès 10h30 du matin parce qu’il n’y a rien de tel qu’un mimosa à l’heure du brunch, ou bien de démarrer l’apéro à la sortie du travail après une journée pénible au possible, quand la personne avec qui on trinque se cantonne à une boisson non alcoolisée, cela force à se demander pourquoi on ne fait pas pareil.

Question des plus judicieuses, car ainsi que le savent les personnes qui ont arrêté de boire, des effets sur la santé physique à l’impact sur le mental en passant par la qualité de la peau, les économies réalisées ou encore le plaisir de goûter à toutes les propositions 0 inventives qui existent aujourd’hui, la sobriété « apporte tout ce que l’alcool a toujours promis », ainsi que me l’a joliment dit un restaurateur mis lui aussi au sec.

Mais tout ça, il s’agira de le découvrir par vous-mêmes, car il s’agit après tout de ne pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’il nous fît, et saoûler son interlocuteur n’est pas moins pénible quand il s’agit de vanter les mérites d’une vie sans alcool.

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