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La vie n'est pas toujours tendre avec les hommes plus petits que la moyenne - Getty Images

Petits hommes, grands problèmes? Entre complexes et clichés, témoignages de taille

Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Ce n’est pas la taille qui compte, vraiment? Pourtant, la vie n’est pas toujours tendre avec les hommes plus petits que la moyenne. Tantôt loués, tantôt décriés, ils questionnent notre rapport aux normes.

«Les hommes de petite taille seraient plus psychopathes que les autres.» En décembre 2022, l’affirmation, tirée d’une étude publiée dans la revue Elsevier Personality and Individual Differences, avait fait les gros titres de la presse internationale. Et ce, quelques mois seulement après le «short spring king», qui avait vu les hommes plus petits que leur compagne célébrés pour leur stature, l’acteur Tom Holland et le chanteur Joe Jonas en tête.

L’article à l’origine de cet emballement médiatique, résultat d’une étude internationale sur un échantillon de 300 personnes, était intitulé «Le complexe de Napoléon revisité: les personnes membres de la Triade Noire sont insatisfaites de leur taille et sont petites». La triade en question, théorie de la personnalité développée par Delroy L. Paulhus et Kevin M. Williams, regroupe trois traits auxquels il ne fait pas bon d’être associé: la psychopathie, le narcissisme et le machiavélisme. Surtout si, comme ce fut le cas, l’hiver dernier, pour les «petits hommes» pointés du doigt par les médias, on se voit épinglé alors même que d’emblée, les chercheurs précisent que ce sont bien les «personnes» complexées par leur taille qui présentent des tendances antagonistes. Et que les liens entre variantes de taille et Triade Noire se vérifient quel que soit le sexe.

Winston Churchill: 1,67 m - Nicolas Sarkozy : 1,66 m - Daniel Radcliffe : 1,65 m
Winston Churchill: 1,67 m – Nicolas Sarkozy : 1,66 m – Daniel Radcliffe : 1,65 m

Taille-toi

Le fait que cela se transforme en cabale sexuée dans la presse rappelle un problème de taille: il ne fait pas toujours bon être plus petit que la moyenne, entre complexes, clichés, et études (pseudo-)scientifiques qui leur prêtent tous les péchés, de la psychopathie à l’agressivité en passant par une incapacité à s’épanouir au sein du couple. Tout ça, basé sur le chiffre sur la toise?

Michael J.Fox : 1,63 m - Prince : 1,54 m - Danny De Vito : 1,52 m
Michael J.Fox : 1,63 m – Prince : 1,54 m – Danny De Vito : 1,52 m

Lequel est lui-même sujet à interprétations: une recherche rapide révèle un tas d’hommes célèbres «plus petits que vous ne le pensez», parmi lesquels Pharrell Williams, Eden Hazard (1,75 m tous les deux) ou encore Emmanuel Macron (1,73 m au compteur). Et si, dans l’imaginaire collectif, 1,80 m semble faire figure chez ces messieurs de frontière entre les grands et les autres, c’est seulement à partir de moins d’1,70 m (1,55 m pour les femmes) que l’on est considéré(e) «comme anormalement petit(e) par le corps médical», rappelle la publication Medipedia. Une taille qui est incidemment plus petite à celle de Napoléon, qui, du haut de son 1,68 m, est pourtant entré dans l’histoire comme un grand dirigeant de petite stature, avec tout ce que celle-ci implique dans l’imaginaire collectif (lire notre encadré). Mais pourquoi tant de haine?

‘C’est comme s’il devait forcément toujours y avoir des dominants et des dominés, des forts et des faibles, et que la taille était forcément un critère.’ Dimitri Haikin, psychologue

« Ce n’est pas la taille qui compte »… sauf pour les hommes plus petits que la moyenne

Pour le psychologue clinicien bruxellois Dimitri Haikin, spécialiste de l’assertivité et de la confiance en soi, «c’est important de se demander à qui profite le crime, et qui est à la source des pseudo-recherches qui associent ces qualificatifs négatifs à certains hommes. C’est comme s’il devait forcément toujours y avoir des dominants et des dominés, des forts et des faibles, et que la taille était forcément un critère».

Et le thérapeute d’expliquer ces préjugés par le fait que nous sommes programmés pour être dans la norme: «Malgré l’évolution, l’être humain reste quelqu’un de très normatif, avec la fâcheuse tendance à se comparer aux autres dès l’enfance. Une période lors de laquelle le garçon grandit en se demandant ce que c’est d’être un homme, une question qui passe aussi par celle du corps et de son rôle social. Le fait d’avoir une image de soi et de son corps suffisamment valorisée permet de se sentir à l’aise avec les autres.» Malheureusement, c’est encore loin d’être le cas pour ceux qui ne franchiront jamais le cap fantasmé du 1,80 m.

«Beaucoup d’hommes que je rencontre en consultation m’expriment qu’être de taille plus petite que la moyenne est très difficile à vivre pour eux. Au niveau des représentations internes, cela conduit à des dévalorisations, et notamment à la conviction qu’ils sont moins susceptibles de séduire que d’autres, plus grands.»

Dimitri Haikin

Une croyance limitante? Si, en 2015, une équipe de chercheurs de l’université de Chapman, en Californie, assurait que les hommes de petite taille auraient moins de conquêtes que les autres, une étude publiée en 2021 dans le Journal of Sexual Medicine a depuis révélé que ces derniers auraient une vie sexuelle plus active, tandis que des chercheurs de l’université de New York publiaient dans la foulée que ces messieurs feraient de meilleurs partenaires amoureux, et seraient également 32% moins susceptibles de divorcer que les autres. Signe des temps, en marge des compilations qui toisent les célébrités mesurant moins d’1,80 m fleurissent désormais en ligne des articles qui compilent toutes les raisons de «craquer pour un petit homme», entre esprit d’autodérision, disparition du rapport classique de domination et, de manière plus anecdotique, possibilité de prendre un bain à deux sans risquer l’inondation.

Jamie Cullum : 1,64 m - Louis De Funès : 1,64 m - Martin Scorsese: 1,63 m
Jamie Cullum : 1,64 m – Louis De Funès : 1,64 m – Martin Scorsese: 1,63 m © DR

Plus sérieusement, des publications scientifiques rassemblent également les bénéfices à être plus petit que la moyenne, du risque réduit de cancer de la prostate ou de caillots sanguins au «gène de longévité», alias F0X03, découvert par une équipe de chercheurs japonais et responsables d’une taille inversement proportionnelle à l’espérance de vie, plus longue que la moyenne. Tout bon, donc?

Surmonter la honte

Pas si vite, regrette Dimitri Haikin. Qui pointe que la question de la taille, particulièrement du côté masculin, reste majoritairement absente du débat sur la positivité qui occupe l’espace médiatique depuis plusieurs années: «Comme s’il fallait réduire au silence ce qui est petit. On ne valorise pas assez le charisme qui peut se développer en dehors de la taille, ce qui est incompréhensible parce qu’au fond, c’est quoi être petit? Tout dépend à qui on le demande, et pourtant, cela reste un des premiers vecteurs de complexes.» Et celui qui aide ses patients à surmonter ces derniers à l’aide d’exercices face à un miroir installé dans son cabinet de concéder, même s’il regrette qu’elles réactivent «des croyances négatives et limitantes», que toutes les études liant taille et traits de personnalité ne sont pas forcément sans fondement.

Woody Allen : 1,65 m - Bruno Mars : 1,65 m - Jamel Debbouze : 1,65 m
Woody Allen : 1,65 m – Bruno Mars : 1,65 m – Jamel Debbouze : 1,65 m

Même s’il n’existe pas non plus de fatalité: «Les caractéristiques physiques sont susceptibles d’influencer le trajet psychologique de chacun, mais il est aussi possible de stabiliser son estime de soi au fil du temps. C’est la honte qu’il faut surmonter, et une fois qu’on l’a dépassée, tout devient possible», assure le psychologue bruxellois.

Selon lui, plus que la taille, c’est la représentation qu’on a de soi dans l’espace, et l’image qu’on se fait de soi-même, qui a un impact sur notre personnalité. «Ce ne sont pas les ‘hommes de petite taille’ qui sont agressifs, mais bien les gens frustrés de leur image, qui sont agressifs parce qu’ils sont en colère que la nature ne leur ait pas donné 15 ou 20 centimètres de plus. Sortir de la frustration pour aller vers l’acceptation de son image permet d’aller mieux», affirme Dimitri Haikin. Qui rappelle qu’occuper la place qu’on mérite ne tient pas au chiffre que nous renvoie la toise mais bien à l’assertivité dont on fait preuve. Une différence… de taille.

Petit, Napoléon, vraiment?

Dans le langage courant, qu’il soit qualifié de complexe ou de syndrome, le nom de Napoléon est devenu synonyme d’une myriade de défauts prêtés aux hommes étant considérés comme petits. Et pourtant, du haut de son 1,68 m (ou 69 selon les sources) l’empereur déchu était plus grand que la plupart de ses compatriotes, la taille moyenne de ses contemporains étant d’1,65 m. Mieux encore: avec deux (ou trois) centimètres de marge, le Corse le plus célèbre de l’Histoire n’est techniquement pas petit non plus selon les critères modernes.

N’en déplaise à l’image persistante qu’on se fait de lui et de sa petite stature, propagée par les Anglais. Non contentes d’avoir inspiré le hit éponyme d’Abba, les mornes plaines de Waterloo auraient aussi fourni un terreau fertile à la légende de la petitesse de Napoléon, lequel, par comparaison à sa garde impériale, coiffée de chapeaux hauts de 30 centimètres, avait en effet l’air plus menu. Un effet d’optique de taille, puisqu’il persiste deux siècles plus tard.

«Ma taille ne m’a jamais complexé»

Du haut de son 1,66 m, Kevin, 35 ans, l’affirme: sa taille ne lui a jamais posé problème, ni causé de complexes. Au contraire, même.

«Je faisais 1,40 m quand je suis rentré en humanités et j’ai dû arrêter de grandir vers l’âge de 15 ou 16 ans. J’ai toujours été le plus petit de chaque classe dès les primaires, mais ma taille ne m’a jamais complexé», assure-t-il. Peut-être parce que dans sa famille, ils sont tous petits, même si, en l’occurrence, avec deux grands-mères qui culminent à 1,30 m, c’est Kevin le plus grand du clan. Peut-être aussi parce que «le fait qu’on vive bien avec notre taille empêche qu’elle se transforme en sujet de moquerie», dit-il. «Ce n’est pas comme si c’était une faille dans laquelle les autres peuvent s’engouffrer: si tu réponds ‘c’est pas vrai, je suis dans la moyenne à 1 cm près’ à quelqu’un qui te charrie, tu lui donnes du grain à moudre, tandis que si tu en rigoles, ça met fin au dialogue», explique le jeune Liégeois, premier à «prendre part aux rigolades tant qu’elles sont bienveillantes».

Et au fond, pourquoi ne le seraient-elles pas? «A mes yeux, être petit n’est pas un extrême, dès l’instant où on ne sort pas des paramètres physiques considérés comme normaux de manière problématique. Ce n’est pas comme si ma taille m’empêchait de pouvoir réaliser certaines activités».

Au contraire, même: attentif à son apparence et adepte d’une allure de dandy moderne, Kevin y voit plutôt un avantage. «J’adore les fringues, et je m’habille en S voire XS, des tailles qui sont tout le temps en stock, et souvent hyper bradées aux soldes.» Autre avantage: «Mes muscles sont petits, certes, mais très compacts. J’adore le jogging, et je peux courir vite et longtemps, sans jamais être essoufflé.»

Et en couple, alors? «Ma compagne mesure 1,79 m, ce qui est très grand pour une femme. Quand on s’apprête pour une soirée et qu’elle est déjà en talons alors que je suis pieds nus, on dirait presque un montage gag, la différence nous fait rire, mais la taille n’est pas un sujet dans notre relation.» Ni même, exception faite de cet entretien, dans le quotidien de Kevin, pour qui cela fait toute la différence. «Souvent, les hommes complexés par leur taille sont trahis par leur posture. Ils bombent le torse, voire portent des chaussures spéciales, et on voit qu’ils se sentent petits, ce qui les caractérise comme tels dans l’imaginaire. Quand on ne complexe pas, la taille ne se remarque pas, mais dès qu’on essaie de tricher, on ne voit plus que ça.»

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